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Les 11 tendances « lourdes » qui vont structurer l’année
 
Le 10-01-2011
de Business Montres & Joaillerie

Quand elles sont fortes,les nouveautés horlogères ne naissent pas au hasard, mais elles éclosent avec une sorte de nécessité préformatée par un air du temps tissé de tendances marquantes...

(Image ci-contre : Le Mouvement Perpétuel, de Norman Rockwell)

••• C’EST SUR CES BASES STRATÉGIQUES FONDAMENTALES
QUE SE JOUERONT LES COUPS GAGNANTS DE 2011...
Un coup de projecteur sur quelques-unes des forces qui vont peser sur les nouveautés 2011 et qui contribueront à façonner le visage des collections horlogères pour le début des années 2010 (par ordre alphabétique d’entrée)...


1)
••• L’IMPLICATION GRANDISSANTE DES AMATEURS DANS LE PROCESSUS CRÉATIF...
En amont, on va assister à une multiplication des préfinancements (souscriptions ou autres : Business Montres du 19 octobre), alors que les amateurs seront de plus en plus impliqués dans les lancements en aval (événements privés qui court-circuitent les réseaux traditionnels). La tendance est encore timide dans l’horlogerie, mais elle est déjà testée dans les « montres de forums » (séries exclusives pour les membres d’un forum dédié) et on devrait assister cette année aux premières montres collaboratives – développées avec le concours d’amateurs sélectionnés. L’idée est de créer un lien direct avec le client final et une relation enrichie qui ne soit pas mutilée par les filtres habituels (agent, détaillant, etc.) : il s’agit moins d’organiser des « ventes directes » [phénomène qui ne concerne que les petites marques ou les petites séries] que de garantir une réactivité permanente et une pertinence renforcée de l’offre...
••• Danger : la pratique est réservée aux icônes horlogères qu’il faut savoir décliner et aux marques émotionnelles capables de mobiliser un cercle d’amateurs motivés...
••• Voir également : 5) L’hypersegmentation de l’offre...


2)
••• LA RÉITÉRATION DES CODES NÉO-CLASSIQUES COMME NOUVELLE GRAMMAIRE ESTHÉTIQUE...
L’horlogerie de l’orée des années 2010 rêve moins d’ovnis [sauf exceptions qui confirment la règle] que de codes réitératifs d’une tradition qu’on revisite avec ferveur et componction. Un recentrage qu’on repère parfaitement dans le grand courant de révolution conservatrice qui repolarise le corps social. L’extase devant les montres de poche de l’âge d’or (XVIIIe siècle) ramène dans les vitrines des collections marquées – pour les moins compliquées – par le « style SIHH » (heures-minutes et petite seconde à 6 h dans un boîtier aussi plat que possible : terrain de prédilection de Piaget, Audemars Piguet, Vacheron Constantin, Girard-Perregaux, Jaeger-LeCoultre), et – pour les plus subtiles – par une révision des codes horlogers dans une logique néo-classique (Laurent Ferrier en 2010, De Bethune, Heritage Watch Manufactory et beaucoup d’autres en 2011, dont A. Lange & Söhne et tous les épigones allemands). Le défi est à présent d’imaginer – c’est la réussite du dernier tourbillon « Pour le mérite » de A. Lange & Söhne – un nouveau regard esthétique pour composer, sur la base de cette « grammaire » stylistique relativement sommaire, de nouvelles déclinaisons contemporaines – lesquelles ne se limitent pas à promener la petite seconde d’index des heures en index des heures...
•• Danger : il n’y a pas que le deux-aiguilles/petite seconde dans la vie et le culte du balancier à vis finit très vite par lasser...
••• Voir également : 11) la substance mécanique...


3)
••• LE GOÛT DU DÉCALAGE PROVOCATEUR DANS LA MISE EN SCÈNE DE L’OFFRE...
Plus les montres se ressemblent [codes néo-classiques obligent] et plus elles doivent se démarquer par un décalage subtil de leur conformité aux canons des bons usages. C’est le « détail qui fait mouche », l’obsession du classic with a twist, le goût de la provocation plus ou moins discrète et plus ou moins assumée. De l’araignée engluée sur le cadran façon Artya (Yvan Arpa) à la simple doublure écarlate d’un bracelet (Marvin), tous les choix se déclinent au gré de l’imagination des créateurs et de leur snobisme personnel : tourbillon visible au seul recto de la montre (Laurent Ferrier), cadran « stérile » (sans marque) à la de Bethune, poussière de lave sur la lunette ou poussière de lune sur un disque d’argent (RJ-Romain Jerome), un seul chiffre des heures en couleur pour chaque montre d’une série limitée à 12 pièces (Urwerk ou, plus récemment, Vacheron Constantin), etc. Le tout est de créer de la singularité ou de la rareté remarquables et rcontables...
••• Danger : le risque est de pousser le bouchon provocateur un peu loin et de systématiser cette pratique jusqu’à la rendre systématique, et donc inopérante...
••• Voir également : 6) L’illusionisme marketing...


4)
••• L’ÉMERGENCE D’UNE HORLOGERIE NARRATIVE COMME DISCOURS DE SÉDUCTION...
Il faut désormais qu’une montre raconte un histoire capable d’aller bien au-delà de sa précision, du prestige de sa marque ou de sa bienfacture. La montre est une clé qui ouvre à d’autres univers et à d’autres aventures que celle du temps qui passe : l’horlogerie est un nouveau canton du story telling cher aux marketeurs américains, mais on peut plus simplement parler d’horlogerie narrative et de courant figuratif pour désigner cette nouvelle pratique du récit horloger (Business Montres du 15 décembre, info n° 1). Tendance qui n’est d’ailleurs pas si nouvelle que cela puisqu’on parlait déjà, au XVIIIe siècle, des talking pièces, voire, au XVIe et au XVIIe siècles, des montres de piété dont la décoration reprenait les grands thèmes de l’iconographie religieuse du temps. Sécularisée et influencée par la littérature, cette horlogerie romanesque revient en force grâce aux montres qui illustrent, en faisant appel aux métiers d’art, les liens entre le temps, la nature et la beauté.
••• Danger : attention aux « montres performance », qui relèvent plus du manifeste en faveur des métiers d’art que d’une avancée dans les beaux-arts du temps. Une montre n’est pas qu’une œuvre d’art décoratif...
••• Voir également : 8) Le maniérisme décoratif ; 9) Les métiers d’art ; 10) Le naturalisme poétique...


5)
••• LA PRATIQUE DE L’HYPER-SEGMENTATION POUR RÉPONDRE À L’ÉMIETTEMENT DU MARCHÉ...
Le mass market a disparu avec la post-modernité et la tribalisation galopante des sociétés occidentales avancées semble avoir atomisé les audiences qui ont créé les grandes icônes de la légende horlogère. On crée désormais des montres pour des tribus parfaitement segmentées, pour des forums dont l’exclusivité est verrouillée, pour des événements très cadrés ou pour des clientèles de détaillants très ciblés. C’est le triomphe des éditions limitées et des séries exclusives à thématiques variées, le tout étant de parvenir à créer des best-sellers internationaux facilement identifiables, mais jamais identiques. Avantage pour les marques : un renouvellement haletant de l’offre et l’entretien (parfois artificiel) de la rareté. Avantage pour les détaillants : la perspective de maîtriser le discompte et les ventes parallèles qui pourrissent le marché. Avantage pour l’amateur : la quasi-impossibilité de trouver trop souvent la même montre au poignet de M. Tout-le-monde...
••• Danger : l’explosion de ces séries limitées tend à diluer l’image de la marque et à éroder la puissance d’une icône – encore que ces éditions exclusives participent à l’allongement de leur cycle de vie...


6)
••• LA MÉFIANCE GRANDISSANTE POUR L’ILLUSIONNISME MARKETING DES DISCOURS TROP FORMATÉS...
Sur les « vieux » marchés du luxe, les consommateurs sont devenus trop experts pour succomber aux grosses ficelles du marketing et aux mises en scène des marchands d’illusion. Le discours des marques est désormais impitoyablement passé au scanner d’une opinion publique aiguillonnée par Internet : les moindres contradictions explosent et les zones d’ombre ne le restent jamais longtemps. D’où l’émergence d’un (timide) parler vrai, un souci de cohérence dans le récit des marques et de pertinence dans la présentation des produits, ainsi qu’un souci d’impliquer les publics de la marque à travers les réseaux sociaux, le marketing viral ou la création d’événements mobilisateurs. Les marques les plus avancées sont désormais participatives : elles ont perdu leur arrogance de naguère et cette autorité surplombante qui leur donnait l’illusion de pouvoir tout se permettre. Le rapport de force s’est inversé et le consommateur est roi, dans ses engouements et ses fidélités comme dans ses rejets et sa versatilité...
••• Danger : la frontière est souvent mince entre la nécessité d’entretenir le rêve et la tentation d’un vérisme qui rabote tout élan de passion.
••• Voir également : 1) L’implication du public dans la création ; 5) L’hyper-segmentation ; 11) Le culte de la substance mécanique...


7)
••• LE RÔLE MOTEUR DE L’IMAGINAIRE NUMÉRIQUE DANS LES SYSTÈMES DE REPRÉSENTATION...
Tout se passe désormais par canal numérique, qu’on parle des nouveaux médias, des nouvelles campagnes publicitaires, des nouvelles images ou des nouvelles consommations. Le écrans nomades et les tablettes mobiles redimensionnent la passion pour les montres, de la culture qui permet de les comprendre à la pulsion qui pousse à les acheter. Hors de la sphère digitale, pas de salut ! Mobilisant des émotions plus riches, une image de synthèse vaut toujours mieux qu’un vrai visuel, d’autant que les codes de la numérisphère (opposée ici à la graphosphère de l’ère livresque ou à l’iconosphère de l’ère vidéo) contaminent largement notre représentation du réel. Non contents de tout rendre possible [merci, Photoshop !], les pixels envahissent notre imaginaire et influencent notre conception du monde en général, et des montres en particulier. C’est tout notre logiciel esthétique qui est en pleine mutation : le miracle n’est-il pas qu’un objet aussi obsolète que la montre mécanique conserve à ce point son pouvoir de fascination dans ces nouveaux orages digitaux ?
••• Danger : question de génération ! Les digital natives n’ont pas forcément les mêmes réflexes, ni le même regard (et encore moins la même acuité visuelle) que les baby boomers, qui restent les meilleurs clients des belles montres...


8)
••• LE NOUVEAU MANIÉRISME DÉCORATIF DANS L’APPROCHE STYLISTIQUE...
La grande tendance chez les designers comme chez les donneurs d’ordre reste le culte du détail, la recherche du toujours mieux dans le moindre élément de la proposition horlogère et le goût – parfois pervers – de la singularité primordiale dans ce qui n’était jusqu’ici qu’accessoire. Mieux que soignées, les moindres particularités de l’habillage et du mouvement sont léchées et reléchées au risque de verser dans un maniérisme décoratif qui peut friser le gongorisme le plus baroque. Rien n’est trop beau pour les collections 2011 : la tension de chaque ligne compte, les angles se jouent au degré près et les volumes au centième de millimètre. On peut parler d’une simple couronne comme d’un chef-d’œuvre techno-esthétique digne d’un musée. Entre l’habillage et le mouvement s’est dorénavant glissé la décoration, qui jongle avec une nouvelle grammaire de formes et de couleurs pour réenchanter les montres...
••••• Danger : le gongorisme ampoulé évoqué ci-dessus et la dérive dans la grandiloquence baroque – un peu paradoxale par ces temps de néo-classicisme [à quoi riment cinq procédés de guillochage différents sur une même cadran ?]...
•••• Voir également : 2) Les codes néo-classiques ; 4) L’horlogerie narrative ; 9) Les métiers d’art ; 10) Le naturalisme poétique...


9)
••• LA RÉDÉCOUVERTE DES MÉTIERS D’ART POUR DÉMULTIPLIER LE MESSAGE...
Les beaux-arts de la montre avaient oublié à la fin du XXe siècle les beaux-arts de la décoration : ces derniers reviennent en force, sous la double pression des nouveaux amateurs de montres plus richement ornementées (notamment dans les marchés émergents) et de la demande de nouvelles esthétiques horlogères. L’émaillage était en voie de disparition dans les vallées suisses : c’est désormais la meilleure voie pour faire fortune dans l’horlogerie ! Les métiers d’art liés au temps vont renouveler en profondeur le regard que nous posons sur les montres. Sans la moindre valeur ajoutée par un artiste non horloger, une montre n’est qu’une mécanique qui donne l’heure : transfigurée par un glacis d’émail grand feu, une mosaïque de pierres dures ou un camaïeu de couleurs nymphéasques, la même montre peut tutoyer les plus grandes œuvres d’art. Du mammouth fossile à la météorite mercurienne, en passant par un plafond de Chagall, une voûte céleste en titane bleui au feu ou un des Voyages extraordinaires de Jules Verne, c’est tout un story telling esthétique qui codifie désormais l’expression horlogère...
••• Danger : et si le recours aux métiers d’art était le symptôme d’une faiblesse dans le discours purement horloger et l’aveu d’un sentiment diffus selon lequel il n’y aurait plus rien à dire sur la mécanique elle-même ?
••• Voir également : 2) Les codes néo-classiques ; 4) L’horlogerie narrative ; 8) Le maniérisme décoratif ; 10) Le naturalisme poétique...


10)
••• LE RETOUR D’UN NATURALISME POÉTIQUE POUR RÉENCHANTER LES MONTRES...
Ce n’est plus une vitrine horlogère, c’est une ménagerie, un zoo, un muséum d’histoire naturelle : plus que jamais, le bestiaire enchanté revient hanter les cadrans, osant le relief et la 3D, débordant sur les boîtiers et redonnant vie aux chimères les plus fantastiques de l’imaginaire naturaliste. Du « hibou » de Max Busser (déjà père d’une « Frog » et de quelques « papillons ») au crocodile de Cartier, 2010 a lancé la mode, mais 2011 devrait la voir exploser, dans le retour des feuillages et des ramages d’un nouveau style « nouille » autant que dans les représentations animalières, végétales ou minérales d’une luxuriance perdue de vue depuis des décennies. « Complication poétique » pour les uns, « hommage à la nature » pour les autres, c’est toujours la même tentation d’échapper au strict corset de l’horlogerie pure et dure pour s’évader vers des imaginaires plus paradisiaques et plus rassurants que la rude cadence des secondes égrenée sans pitié par l’échappement. Néo-maniérisme de l’esthétique, souci écologique et quête d’une nouvelle « profondeur » dans les cadrans ou les boîtiers se conjuguent ici pour réenchanter les collections horlogères...
••• Danger : on glisse trop souvent de l’abondance à l’exubérance boursouflée, et du naturalisme au bavardage irréaliste dont le discours zoo-végétal reste plaqué sur une réalité mécanique des plus triviales...
••• Voir également : 2) Les codes néo-classiques ; 4) L’horlogerie narrative ; 8) Le maniérisme décoratif ; 9) Les métiers d’art...


11)
••• LE CULTE DE LA SUBSTANCE MÉCANIQUE COMME VECTEUR D’IDENTITÉ...
Si la page des « ovnis » horlogers semble prête à être tournée, les nouvelles complications mécaniques n’ont pas – et de loin – dit leur dernier mot. Simplement, au lieu de s’exprimer sur le terrain du waow effect, elles misent sur le culte du détail et l’expression emphatique, mais renouvelée, de fonctions ou de composants jusqu’ici négligés ou banalisés. C’est le retour du « grand balancier à vis », l’attention portée au dessin des ponts, la recherche de nouvelles « performances à haute vitesse », la quête de précisions extrêmes, le souci des finitions superlatives, la volonté d’offrir aux amateurs des mécaniques originales, exclusives, « manufacture » en un mot. Maîtres-mots de cette ruée vers l’or mécanique : authenticité, identité, légitimité, exclusivité – on serait presque tenté de dire mécanicité. L’évolution est irréversible : chaque marque – quelle que soit sa taille ou son ancienneté sur le marché – se sent tenue de disposer d’au moins un calibre « propriétaire », si possible doté d’une innovation aisément repérable. D’où la multiplication des micro-innovations mécaniques [difficile de réinventer le tourbillon tous les ans !] et des perfectionnements subtils...
••• Danger : quand toutes les marques auront leur propre mouvement, on se demande où sera l’avantage compétitif procuré par cette « exclusivité » mécanique ?
••• Voir également : 2) Les codes néo-classiques ; 6) L’illusionnisme marketing ; 8) Le maniérisme décoratif...

 



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