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Dernière journée, des salons et des expositions de la Wonder Week :tout le monde paraît heureux d’avoir bien travaillé, sauf ceuxqui se sentent obligés de faire tout comme...
Le Quotidien des Montres aura finalement exploré les collections de 98 marques sur les 104 qui organisaient quelque chose à Genève.
••• DERNIERS BOUCHONS DE CHAMPAGNE
ET DERNIERS CHOCOLATS GENEVOIS...
S’il y a bien une journée à ne pas manquer au SIHH, mais aussi dans les autres expositions de la Wonder Week, c’est bien le vendredi, journée au cours de laquelle, traditionnellement, les fournisseurs et le personnel descendent de leurs vallées et de leurs manufactures. C’est l’heure de vérité devant les vitrines, chacun expliquant que le design est signé par l’un, le concept mécanique par l’autre, le boîtier a été réalisé par un tel, le cadran par tel autre, les ponts par un troisième, l’échappement par un quatrième et ainsi de suite. De quoi réduire à un petit paquet de dérisoire bullshit les propos péremptoires des responsables de la marque qui juraient que la montre était « 100 % in-house ». Suivez mon regard...
• Journée tout aussi stratégique pour faire le point sur les commandes réellement passées aux fournisseurs par les marques, dont chacun sait qu’elles n’ont jamais aussi bien travaillé qu’en ce moment mais dont on apprend qu’elles ont annulé quelques centaines de cadrans ici, quelques milliers de boîtiers ici, autant de bracelets ailleurs et finalement gelé plus de commandes qu’elles n’en ont passé. Cette confrontation in vitro des réalités racontées par les copains et des mensonges proférés par les coquins est très amusante. La manière dont certains responsables de marques arrivent encore à se prendre les pieds dans le tapis reste néanmoins pathétique...
• Balayons tout ce bullshit sous le tapis et repassons aux choses sérieuses d’une dernière tournée au SIHH, au GTE et dans les environs (par ordre alphabétique de marque : beaucoup d’images de ces nouveautés seront présentées ici même dans les semaines à venir)...
1)
••• ALAIN SILBERSTEIN : la moustache balafre le sourire de ce vétéran des guérillas horlogères, qui a toujours réussi à imposer sa différence en inventant un style qui ne se déstylise pas – c’est-à-dire qu’il ne se démode pas. Au salon GTE, il posait les jalons des collections Alain Silberstein des années 2010, avec une nouvelle palette chromatique et des codes graphiques légèrement moins rigoureusement Bauhaus, mais tout aussi impérieusement logiques et structurés. Quatre boîtiers de base qui font dialoguer cercle, cylindre, ellipse et carré, autant de complications qu’on peut en imaginer, des émoticônes malicieuses et un pied-de-nez permanent au bon goût des vestales de l’horlogerie : Alain Silberstein est un dangereux dynamitero, un semeur d’étincelles créatives dont les initiés du monde entier se chuchotent le nom comme un mot de passe. On découvre enfin ses talents sur les marchés émergents, qui plébiscitent cette forme d’audace stylistique ininterrompue depuis un quart de siècle. Ce serait dommage qu’on néglige, sur ses marchés traditionnels, le nouvel impact de ses propositions plus avant-gardistes que jamais.
2)
••• CORUM : c’est, dans la discrétion de la suite présidentielle du Président-Wilson, une des meilleures surprises de la Wonder Week. Avec sa ferme obstination habituelle, Antonio Calce a labouré son terrain pour consolider son offre et structurer encore plus fortement ses collections. La Ti-Bridge automatique est tout simplement géniale dans son concept de remontage (masse linéaire en platine), mais le restylage de la Ti-Bridge de base se révèle magistral dans l’approfondissement maîtrisé des codes identitaires de la marque.
• Le meilleur reste cependant la nouvelle déclinaison « élégante » de l’Admiral’s Cup (second pilier des collections Corum), série qui ne renonce pas à sa forte personnalité (boîtier dodécagonal, pavillons nautiques), mais en arrondissant les angles et en adoucissant l’expression sportive de cette icône demi-séculaire. Le résultat est totalement réussi, surtout au positionnement prix retenu (premières versions acier dès 3 000 euros). Dans un style réellement intemporel, mais avec une prestance très contemporaine, cette collection s’annonce comme une des futures références fortes du marché : une alternative à Rolex et à Omega vient de naître...
3)
••• CVSTOS : étonnante évolution d’une marque « générationnelle » qui s’oriente lentement, mais sûrement, vers un statut plus classique, nettement plus original dans l’expression de son identité, sinon même plus « sage » dans son approche du marché. Une marque qui dispose désormais d’un vrai siège social au cœur de Genève (à un jet de pierre des locaux de Richemont Suisse), d’une vraie boutique monomarque (même endroit) et d’une vraie cote d’amour dans le cœur des jeunes gens dorés sur tranche qui ont envie de mordre la vie à pleines dents sans jamais s’encombrer des préjugés paléo-bourgeois. On avait voué Cvstos à « sucer la roue » (expression cycliste !) de Richard Mille, mais c’est à des univers de clientèle de marques comme Hublot ou Audemars Piguet que Cvstos se confronte : si on la regarde bien, le nouveau tonneau MasterPiece 01 de Hublot est plus à juxtaposer à côté de Cvstos qu’à côté de Richard Mille (c’était un des sujets de conversation de l’année au SIHH). D’autant que Cvstos affiche dans ses complications des innovations techniques dignes de la très haute horlogerie, puisqu’elles sont signées par MM. Golay & Golay (Pierre Michel et Jean Pierre), les fameux duettistes de Watchland (groupe Franck Muller). Pas de pièces exceptionnelles cette année, mais un excellent niveau général...
4)
••• DA VINDICE : ce n’est pas tous les jours qu’on remarque de tels « monstres » – pardon, de telles montres – dans les salons, même dans un espace GTE qui ne manque pas de gros bébés bodybuildés. Les créatures aux très longues jambes de permanence sur le stand auraient vraiment eu du mal à porter à leurs frêles poignets une de ces Vindex annoncées à 59,5 mm de hauteur pour 54 mm de largeur : c’était le record pour les salons de cette année, même sans compter la hauteur, calée au-delà de deux centimètres pour cette impressionnante montre « tonneau ». Tout ça pour une world premiere encore jamais tentée dans l’horlogerie : le tourbillon-baromètre ! L’idée est signée Giulio Vindice – d’où le nom de Vindex. Il nous raconte l’histoire d’un baromètre anéroïde auquel les grands anciens du XVIIIe siècle n’avaient pas pensé pour leurs montres, puisque cet instrument n’a été inventé qu’en 1840 : ils s’étaient contentés du thermomètre. Référence # 9/Génération 2011 (nouvelles marques de l'année), Da Vindice Genève propose donc un tourbillon central (automatique), avec une heures-minutes au-dessus, un calendrier, une réserve de marche et, à 6 h de la montre, un baromètre à aiguille dont chacun comprendre l’immense utilité au poignet à toute heure du jour (mais pas de la nuit, puisqu’on n’y voit pas la moindre trace de matière luminescente). Comme il se doit avec une jeune marque qui a tout compris du marketing contemporain, la première série de cette Vindex est limitée à 50 exemplaires. Étape suivante : l’anémomètre analogique ou le curvimètre répétition minutes ? Pour le tarif, on préfère ne pas vous gâcher votre week-end...
5)
••• DELANEAU : la reine Cristina tenait salon dans sa boutique des quais de la Rive gauche. Ceux qui ont fendu la bise pour arriver jusqu’à son palais ne l’ont pas regretté, puisqu’ils y ont découvert un de secrets les mieux gardés de toute la Wonder Week : la montre la plus coûteuse de toutes les expositions (deux millions de francs suisses les 53 carats de « cailloux » DIF sur un bracelet d’une beauté à couper le souffle), toute une collection Magic de « montres à secrets » qui étaient sans doute aussi les plus belles de toutes les expositions genevoises (sublime dôme-couvre cadran en rubis baguette en serti mystérieux « ondulant ») et un concept ultra-malin pour relancer la pratique des « paires » de montres chère à l’horlogerie suisse des XVIIIe et XIXe siècles, mais cette fois en mode relationnel dans une forme inédite de « réseau social affinitaire » (mère-fille, ami-amie, etc.) et dans une logique de lien créé dans, par et avec le temps. C’est si beau qu’on y reviendra très vite pour tout montrer dans Business Montres...
6)
••• FRANCK MULLER : à lui seul, comme l’avait prévu (espéré) Business Montres (15 janvier), le nouveau restaurant du WPHH – un trio de chefs sur-étoilés à New York – méritait le détour. Le nouveau Giga Tourbillon (et non Méga Tourbillon, comme écrit fautivement ici le 16 janvier) justifiait également le déplacement à Genthod, autant par son esthétique néo-contemporaine (style impressionnant de ce tourbillon géant qui bat l’air en 20 mm – soit la moitié de la montre – et raffinement du squelettage « modernisé ») que par les solutions techniques retenues pour que la mécanique règle impeccablement (deux doubles barillets quasiment à « force constante », un spiral exclusif par sa puissance phénoménale et réalisé au sein du groupe Franck Muller, un balancier aux performances étonnantes – moment d’inertie quatre fois supérieur à celui d’un tourbillon classique). Cette Giga Tourbillon est proposée dans une taille « raisonnable » – enfin presque : 43 mm de hauteur sur 59 mm de hauteur, ce qui reste « portable » quand on la passe au poignet (image ci-dessus).
• Les poignets plus minces pourront se faire plaisir avec la nouvelle collection Elegance, entre Cintrée Curvex et Conquistador (les deux piliers de l’identité Franck Muller) : dimensions relativement plus sages, lignes légèrement plus « classiques » et esthétique sans doute plus « élégante » – ce type de boîtier ayant l’immense avantage de réclamer beaucoup moins d’or par boîtier, ce qui est toujours bon à prendre par ces temps d’inflation des cours de l’or...
• Il ne fallait non plus manquer les nouvelles collections Infinity, décorées de tigres et de dragons exécutés avec une technique innovante (céramique et non émail), sur un fond de joaillerie éblouissante qui prouve qu’on n’a pas lésiné sur les carats pour épater les clientes chinoises.
7)
••• GROUPE FRANCK MULLER : le moins qu’on puisse dire est que l’énergie dont fait preuve cette saison la marque Franck Muller n’a pas déteint sur les « petites marques » satellites du groupe, à l’exception de Backes & Strauss, qui n’hésite pas à s’aventurer dans l’extravagance extrême comme dans une offre plus accessible, sans quitter son positionnement « ultime » sur le marché des montres de joaillerie superlative. Autre bon point pour Barthelay, qui innove, qui tente des échappées un peu solitaires sur le marché du serti accessible et qui honore finalement sa signature « Barthelay Paris » en ajoutant une vraie french touch à ses collections. Mention très honorable pour Pierre Michel Golay, qui poursuit avec ténacité son introduction sur le marché d’une très haute horlogerie à forte valeur ajoutée mécanique : si le design est parfois perfectible, les finitions sont irréprochables et largement au-delà des spécifications un peu obsolètes du Poinçon de Genève...
• Pour les autres « petites marques », comme disait Charles Baudelaire (Les Fleurs du mal), « calme plat, grand miroir de mon désespoir » ! Pierre Kunz sauve l’honneur – de justesse – avec un tourbillon à triple seconde rétrograde, déjà plus ou moins vu, mais qui peine à entraîner le reste d’une collection déjà datée et qui ne parvient pas à renouer avec sa dynamique créative passée. Même réflexion pour Smalto, mais on est là sur des marchés de volume où l’innovation n’est pas déterminante... Quel Prince charmant pourra un jour réveiller la marque Martin Braun, qui répand dans ses vitrines un pathétique malaise existentiel ? Déception : à quoi joue donc European Company Watch (ECW), dont les produits sont plus qu’honnêtes, voire séduisants, mais dont le marketing inconsistant reste proche de la catastrophe ? Soyons indulgents avec Rodolphe : on ne tire pas sur un corbillard ! Il faudrait dire à Vartan Sirmakes, amiral de cette escadre en galère, que le marché est devenu impitoyable pour les « petites marques » qui n’ont rien d’intéressant à raconter, et encore moins à montrer...
8)
••• MB&F : dans sa suite de l’Hôtel de la Paix, avec vue sur la rade et le monument Brunswick, Max Busser a enchaîné les rendez-vous avec ses copains journalistes et ses clients (une vingaine de détaillants dans le monde), mais c’était pour leur dire qu’ils ne pourraient pas tout avoir de ce qu’ils réclamaient. La production de la maison est sévèrement rationnée, ses séries spéciales très encadrées et les éditions thématiques strictement limitées. Moralité : moins de 500 montres MB&F en circulation et quasiment pas une sur les marchés parallèles ou même aux enchères, les collectionneurs s’arrangeant entre eux pour échanger ou passer de l’une à l’autre. Autre pratique intéressante de Max Busser : la mise à mort annoncée et programmée de ses « machines ». Horological Machine n° 1 : fini, terminé ! HM n° 2 : attention, clôture de la partie annoncée avec les 18 pièces récemment lancées de la série finale (superbe déclinaison en version « Sapphire Vision », boîtier titane, « couvercle » en verre saphir, mouvement réarchitecturé en composants contrastés et rotor retraité en couleur. Quand la peur de la pénurie et le sentiment d’urgence se conjuguent, les détaillants ne font pas dans le détail : ils commandent. Ne dites pas à Max Busser qu’il est déjà presque une « grande marque » : il croit toujours qu’il n’est qu’un « petit indépendant » !
9)
••• VENI VIDI VICI : cette sentence césarienne reste un brin décalée pour une néo-marque indépendante (cataloguée # 10/Génération 2011) qui entend développer des complications hélio-astronomiques inédites, comme l’affichage des solstices et des équinoxes du calendrier solaire, l’indication angulaire de l’inclinaison du soleil à midi par rapport à la latitude (de 60° nord à 40° sud) ou la lecture directe de l’évolution de la déclinaison solaire tout au long de l’année tropique. Du moins, c’est ce qu’on comprend sans un brillant diplôme d’ingéniérie astronautique avancée. Pourquoi pas, même avec un design aussi banalisé que celui qui est proposé pour cette montre ? En tout cas, ça n’avait jamais affiché ainsi par les horlogers. Là où ça devient franchement cosmico-abyssal, c’est quand Veni Vidi Vici se propose d’exiger 555 000 francs suisses des amateurs intéressés par cette world premiere. Un demi-million de rançon pour un sextant de poignet, ça fait très mal !
10)
••• ET LES AUTRES... En particulier ceux qui auraient sans doute mérité un détour, mais qui manquent à l'appel dans ces pages. C’était une question de temps plus que de motivation, mais parfois aussi de simple politesse : Rodolphe Cattin dans sa nouvelle « manufacture » de Versoix, François-Paul Journe dans sa manufacture de la Rive gauche, Ladoire au GTE (alors que sa nouvelle pièce semble enfin aboutie), Jean Dunand et Maîtres du Temps au Beau-Rivage, Panerai au SIHH (excellents nougats italiens, merci, mais si la « nouveauté » consiste à reprendre l’idée de boîtiers en bronze déjà imaginés par des marques que Panerai considérait hier comme des « clones », ça ne justifie pas forcément le détour) et quelques autres, ici et là dans Genève...
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