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# 13 : Les vraies tendances qui se dégagent des expositions de la Wonder Week
 
Le 27-01-2011
de Business Montres & Joaillerie

Les différents salons genevois ont le privilège d’écrire la musique sur laquelle tout le monde dansera plus ou moins en 2011 : dix tendances majeures se dégagent pour éclairer l’année qui commence...


••• Image ci-contre : tant qu'à boxer dans la catégorie néo-classique, pourquoi pas avec la répétition minutes-tourbillon de Pierre Michel Golay (groupe Franck Muller) ?
Avec son échappement innovant à hautes performances et sa décoration, c'est un véritable chef-d'oeuvre
de la haute horlogerie mécanique, réglé avec soin par le maître-horloger qui a conçu et mis au point
la montre la plus compliquée du monde...

••• LES DIX PRINCIPAUX ENSEIGNEMENTS
À RETENIR DES SALONS HORLOGERS DE JANVIER...
Dix tendances faciles à repérer, mais pas forcément aisées à décoder : elles aident à mieux comprendre les évolutions et les mutations qui restructurent actuellement l’industrie horlogère (par ordre approximatif d’impact économique sur les marques et les montres)...


1)
••• LE RENFORCEMENT DE L’INFLUENCE GRANDE-CHINOISE SUR L’HORLOGERIE SUISSE...
Une simple affaire de supériorité arithmétique, dans les chiffres de la participation asiatique au SIHH comme dans la contribution économique des détaillants de la Grande Chine ou dans la capacité de persuasion médiatique des médias locaux. Influence qui a un impact majeur sur la création, dans la façon de repenser les tailles et la décoration des montres, mais aussi dans la simplification des concepts mécaniques [question de maturité culturelle pour comprendre les plus avancés] ou même dans le retour du tourbillon, qui fait toujours recette sur les marchés émergents.


2)
••• LE RETOUR LOGIQUE DES MÉTIERS D’ART SUR LE FRONT CRÉATIF...
On n’attendait pas une telle faveur attachée au retour de l’émail grand feu, du champlevé, du cloisonné, du paillonné et de toutes les techniques abandonnées ces dernières années en même temps que les poudres magiques qui assuraient les belles couleurs d’hier en même temps que les terribles maladies professionnels qui les ont faites interdire (pour cause de plomb, d’arsenic, de radium ou de poisons divers). Jamais la demande n’a été aussi forte pour les peintures miniatures, bas-reliefs et les intailles, les camées, les subtilités lapidaires et les sertissages oubliés.
• Pourquoi bouder son plaisir dans cette grande fête des traditions artistiques dans l’horlogerie, certes dopée par les consommateurs chinois (qui ont toujours préféré les beaux objets aux belles montres), mais qui pourrait permettre une nouvelle expression contemporaine de la décoration horlogère ? Hors du narratif et du figuratif, pas de salut, comme l’avait noté Business Montres dans ses « Clés pour 2011 ». Le tout est maintenant de ne pas abuser de ce tsunami décoratif, toujours sur le fil du rasoir entre niaiserie kitschissime et gongorisme baroque...


3)
••• LE RÔLE OCCULTE DES RUDES LOIS DE L’ÉCONOMIE (ET DES ÉCONOMIES DE BOUTS DE CHANDELLE)...
Si on vous dit que la tendance est aux montres ultra-plates, demandez-vous si ce n’est pas en raison de l’explosion du cours de l’or qu’on a « inventé » cette mode : moins d’or dans chaque boîtier – de petite taille, marché chinois oblige – qui n’en n’est pas moins vendu plus cher parce qu’il s’agit d’une « nouveauté 2011 », n’est-ce pas la clé de profits faciles pour les marques ? Si on vous dit que les amateurs sont fatigués des montres trop compliquées, demandez-vous si ce n’est pas une astuce pour assécher les stocks de vieux mouvements obsolètes qui dormaient dans les caves des manufactures : en jouant la carte des nouveautés deux ou trois-aiguilles rhabillées en « retour au classique », ne tente-t-on pas de nous faire prendre des vessies pour des lanternes, un refus d’investir dans l’offre pour une demande inexprimée du marché et une panne sèche créative pour une tendance profonde ?
• Que faut-il penser d’une marque de référence qui renonce à son savoir-faire traditionnel sur les « angles rentrants » sous prétexte que les angles arrondis sont... plus esthétiques sur les composants visibles à travers le fond saphir ? On sacrifie là une partie de l’héritage pour maximiser les profits en grignotant sur les coûts de main-d’oeuvre ! Après des siècles de poli miroir et de poli bloqué, la nouvelle « exigence » – de qui, pour quoi ? – de surfaces plus mates, satinées, sablées ou grainées relève-t-il d’une logique d’économie ou d’un impératif stylistique dicté par une vision nouvelle de l’avenir horloger ? On a plutôt le sentiment de voir les marques rogner sur ce qui peut encore l’être, au risque de préférer leur profitabilité à leur responsabilité socio-historique !


4)
••• LE NOUVEAU CULTE DU DÉTAIL ET CE QU’IL MASQUE...
Pendant que tout le monde s’acharne à mieux soigner le dessin de l’habillage (reprofilage des cornes, allégement de la carrure, réharmonisation de la lunette, etc.), on ne parle pas du quasi-abandon des investissements dans les développements mécaniques qui s’imposeraient, ni du refus de la prise de risques dans la présentation de nouveaux concepts capables de créer une différence polarisante. L’avenir est incertain, mais les marques le sont encore plus pour y tracer leur voie.
• Si tout le monde a mieux que jamais « fait son métier » pour clarifier les collections, repositionner son offre et densifier son message de marque, c’est toujours avec un œil sur le rétroviseur plutôt qu’avec le pied sur l’accélérateur. On nous dit que c’est la demande des marchés émergents. Sans doute, mais c’est aussi le meilleur moyen de créer une cassure avec les marchés émergés, qui ont toujours su tirer la demande sur le haut de gamme en recréant perpétuellement de nouveaux codes créatifs.


5)
••• LES LIMITES DU STAR SYSTEM DANS LA COMMUNICATION HORLOGÈRE...
Va encore quand on est en pleine Bulle Epoque, mais l’enrôlement massif de stars mercenaires pour les soirées du SIHH 2011 a fait grincer des dents, chez les détaillants de base autant que chez l’actionnaire de Richemont, qui a passé quelques vigoureux savons aux uns et aux autres : à quoi rime cet afflux tautologique de célébrités surpayées, décrédibilisées par l’abus même de ces prébendes aux montants exorbitants, qui n’apportent rien d'autre à la marque qu’un ironique discrédit et quelques doutes sur la consistance de son identité profonde ? Faut-il ne rien avoir à dire pour le faire dire par l’intermédiaire de vedettes connues pour leur physique plus que pour leur intellect !
• Sauf sur les marchés émergents et dans les cultures parnurgistes d’une Asie pré-individualiste, on ne respecte plus ces stars venues poser le temps d’une soirée et de toucher leur chèque. Elles sont même contre-performantes : le cas Zidane est exemplaire (Business Montres l’évoquait récemment), mais le cas Stallone ou Schwartzenegger l’aurait été tout autant si Audemars Piguet n’avait pas annulé in extremis leur déplacement à Genève, le temps d’une soirée : une décision pour une fois pertinente de Philippe Merk, un peu effaré par le petit million de dollars que cette paire de gros bras allait lui coûter pour quelques heures de présence [pas un bon point pour François Bennahmias, qui avait tout organisé sur place pour redorer le blason d’Audemars Piguet sur le marché américain].


6)
••• LE POIDS GRANDISSANT DES FACTEURS SOCIÉTAUX SUR LA CRÉATION HORLOGÈRE...
Ce n’est sans doute pas par hasard que les boîtiers horlogers s’amincissent (réduction du volume, et non de la taille). Ce mouvement accompagne une tendance sociétale majeure : la quête d’une nouvelle modestie et la recherche d’une diminution de l’emprise des objets dans nos vies. Ce n’est pas un hasard si les cadrans jouent la transparence et la profondeur multi-couches : la quête d’une nouvelle légèreté existentielle, le refus de l’opacité imposée et l’envie d’une multi-dimensionnalité polysensorielle sont des marqueurs lourds de l’évolution sociétale. Le culte du mat traduit ce même désir d’en finir avec l’arrogance d’éclats jetés à la face du monde et cette agressivité d’une mise en lumière permanente. Plus mince au poignet, mais aussi plus mince, sans mauvaises graisses et sans junk food dans la vie !

• On n’en finirait plus d’aligner les analogies, mais les faits sont têtus : l’horlogerie, ses modes et son expression sont de plus en plus directement liés aux macro-mutations et aux micro-évolutions sociétales, qu’elles traduisent directement au poignet, consciemment ou non. Le succès d’une montre n’est pas seulement dû à son design, à son marketing ou à son manager [qui ne sont que des facteurs d’amplification et d’accélération], mais à leur consonance instinctive et affective avec la « machine à désirs » d’une communauté. Ici et maintenant, hic et nunc : il est toujours plus facile de décoder les ingrédients d’un best-seller horloger que d’en anticiper les composantes, mais l’industrie des montres a tout à gagner à écouter les signaux faibles émis par le corps social...


7)
••• LES RAVAGES DE LA MUSÉIFICATION DANS L’OFFRE HORLOGÈRE...
Pour les bonnes raisons vues ci-dessus (la nécessité de faire une pause après des années de bling-bling et de bodybuilding designé) et pour les mauvaises raisons également pointées ci-dessus (la réduction du poids de l’or, la réutilisation de vieux stocks de mouvements et l’absence d’investissements créatifs), on a donc vécu une formidable vague de « retour aux fondamentaux » et de néo-classicisme. Problème : l’horlogerie ne regarde plus que dans son rétroviseur, ce qui finit par devenir lassant. Business Montres a inventé le concept de « style SIHH » pour les nouvelles propositions heures/minutes petite seconde à boîtier mince : si on gomme la marque du cadran, comment distinguer chacune de ses montres de ses concurrentes ? Où est l’identité qui sert de pilier aux marques ? Restons sur ce segment des montres « de tradition » : même sans nom de marque [ce qui est d’ailleurs de plus en plus souvent le cas], on reconnaît immédiatement une De Bethune, une Laurent Ferrier ou une Heritage Watch Manufactory, et on ne la confond pas avec L.U.C. de Chopard, une Breguet ou même une Piaget. Ce qui n’était pas le cas des sept marques qui présentaient au SIHH une telle configuration deux aiguilles/seconde à 6 h.

• Souvent accompagné d’une fièvre commémorationniste aigue, la muséification a toutes les chances d’évoluer en pétrification créative et en fossilisation d’une offre néo-classique qui était rafraîchissante en 2010, mais déjà lassante en 2011 et qui sera sans doute navrante en 2012, quand tous les suiveurs achèveront de disqualifier ce style opportuniste, dont on ne dira jamais assez qu’il a surtout l’avantage d’initier – sans risques créatifs ou financiers – de nouvelles tranches de consommateurs béotiens aux arcanes de la culture horlogère. On ne peut que se féliciter de ce travail d’alphabétisation horlogère : dommage qu’on en impose le sommaire brouet aux autres classes primaires, secondaires et supérieures...


8)
••• L’INEXORABLE DISPARITION ANNONCÉE DES RÉSEAUX TRADITIONNELS DE DÉTAILLANTS...
Pour l’allocation des nouveautés, priorité absolue aux marchés asiatiques, sur lesquels la priorité absolue est donnée aux boutiques monomarques. On déshabille ainsi le Pierre européen ou américain pour habiller le Paul asiatique. En Europe, on retrouve cette même priorité accordée aux boutiques de la marque plutôt qu’à son réseau de détaillants, auxquels on commence à rogner sérieusement les marges tout en les sommant d’avaler une quantité de plus en plus indigeste de pièces. Issue logique de ce processus de stérilisation, qui tourne à l’euthanasie programmée : la reprise en main totale de la distribution, dans une optique de contrôle absolu du marché par un quadrillage de boutiques monomarques. Le rapport de forces est devenu brutal et la pratique du bras de fer quotidienne.
• Dans cette phase de sélection darwinienne, ceux qui sont « prisonniers » de leurs grandes marques et des groupes vont sans doute tarder à développer les réflexes de survie et l’agilité mentale – sinon les gros muscles – qu’exigent la distribution des marques indépendantes et créatives, qui sont tout sauf faciles à vendre. D’après vous, qui survivra, entre les esclave qui préfèrent mourir à genoux et les rebelles qui préfèrent vivre debout ? Ne le répétez pas, mais l’avenir est aux détaillants multi-marques spécialisés dans les « niches » qui stimuleront demain une offre que les réseaux monomarques – trop arrogants, trop banalisés et trop mainstream – ne pourront plus satisfaire.


9)
••• LES RECLASSEMENTS NÉCESSAIRES À LA SURVIE DE LA PRESSE HORLOGÈRE...
Le constat a frappé tout le monde : autant les journalistes « classiques » des médias horlogers étaient difficiles à vivre (exigeants, grognons et capricieux), autant les nouvelles figures – venues de pays lointains et de titres nouveaux-nés – et les nouveaux médias (Internet et blogueurs, notamment) étaient enthousiastes, heureux d’accéder à la grande fête genevoise et mentalement plus ouverts. Analyse un peu plus affinée : autant les formules des magazines traditionnels semblent épuisées sur les marchés matures (Europe, en particulier, à quelques exceptions près), autant l’approche magazine a gardé toute sa pertinence sur des marchés émergents, avides d’explications, d’enrichissements culturels et de mises en scène classiques. Élément complémentaire d’une vision à 360° : autant chacun est convaincu que le papier reste nécessaire à un discours réflexif de qualité et à un travail d’image en profondeur, autant il est devenu évident que le numérique reste le plus adapté pour des actualités à diffusion/consommation instantanées et des informations visuelles « brutes ».

• Bref, la presse horlogère de demain reste à réinventer, dans ses contenus comme dans ses supports et dans ses cibles : l’entrée massive des blogueurs sur le théâtre d’opérations genevois, l’explosion des mises en ligne immédiates et les gros bataillons des médias asiatiques ont changé la donne. Les seuls à ne pas le comprendre semblent être les stars de ce « journalisme » horloger un peu obsolète (les guillemets sont volontaires) : stars qui ne voient pas qu’on les pousse vers la sortie, comme une maîtresse vieillie et déchue doit laisser la place à une créature plus aguichante. Certes, on les raccompagne avec les égards dus à leur ancienne splendeur, mais non sans une certaine commisération – celles qu’on réserve aux Morituri te salutant...


10)
••• LE NOUVEAU RÔLE CENTRAL DE LA PLACE GENEVOISE DANS LE CALENDRIER HORLOGER...
Business Montres avait compté 104 marques actives à Genève pendant la Wonder Week. On était plus proche des 110, certaines – non décomptées dans le premier calcul – ayant très discrètement et presque subrepticement organisé des visites d’atelier et des prises de commande (Frédérique Constant et Alpina à Plan-les-Ouates, Raymond Weil à Genève, etc.). Désormais, il est clair pour tout le monde que l’année horlogère commence à Genève : l’arrivée de « gros poissons » comme TAG Heuer ne fait sans doute que marquer le début d’une bilocalisation des événements de rentrée, même chez les plus fidèles du rendez-vous de Baselworld.

• Ce qui aura forcément des conséquences sur l’offre de Baselworld, aujourd’hui construite autour du mythe (dépassé) d’un rituel central et unique dans l’année : tout le modèle économique bâlois est ébranlé par la désintermédiation en cours, qui annonce une explosion internationale de mini-salons délocalisés et ciblés. Même le SIHH devra modifier son approche, centrée jusqu’ici sur un réflexe (dépassé) de défense purement territoriale et de préservation agressive d’une exclusivité morale devenue injustifiable : faudra-t-il attendre qu’il y ait 120, 150 ou 180 marques actives à Genève pendant la Wonder Week pour que le SIHH accepte de revoir sa copie et de comprendre que le monde a changé ?

 



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