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Hier,
un dérapage
antisémite
de John Galliano (Dior).
Ce qui arrive aujourd’hui
au groupe LVMH
(cible facile des lobbies)
peut arriver demain
à n’importe quelle
manufacture de montres.
Les marques sont
désormais prises en otage
de débats sociétaux
qui les dépassent,
dans le cadre des nouveaux
rapports de force
qui régissent une société
de communication avancée...
1)
••• LE GRAND DANGER
DES CONSIDÉRATIONS IDÉOLOGIQUES
QUI POLLUENT LE TERRAIN DE MANŒUVRES
DES MARQUES...
Cas d’école tiré de l’actualité récente : le débarquement immédiat de John Galliano, créateur fétiche de Dior, à quelques jours de son prochain défilé, pour cause de propos antisémites aggravés par l'alcool dans un bistrot parisien. Les vidéos (accablantes) font actuellement le tour de la planète et enfoncent un peu plus John Galliano, immédiatement suspendu de ses fonctions par la direction de Dior (groupe LVMH). Sans parler de la circonstance aggravante qui aurait consisté à insulter un Asiatique : si c’était confirmé, quelle stupidité pour l’icône fashion d’une marque qui réalise plus de 40 % de ses ventes en Asie ! On voit mal comment le gourou Galliano pourrait se remettre du « I love Hitler » qu’on lui prête. Les mauvaises langues auront beau jeu de prétendre que le créateur vedette des années 2000 avait fait son temps et que son contrat chez Dior n’était pas forcément reconductible, LVMH ayant sauté sur ce prétexte pour s’en débarrasser à moindres frais. « Tolérance zéro pour tout propos antisémite ou raciste », a expliqué Sidney Toledano, le président de Dior...
••• Une réaction immédiate et quasi-automatique, qui tranche en tout cas avec les réactions pataudes de la maison Guerlain lors de la polémique ouverte par les propos racistes du pathétique Jean-Paul Guerlain, fondateur de la maison qui porte encore son nom. Le groupe LVMH, propriétaire de la marque, avait eu beau rappeler que Jean-Paul Guerlain n’en était plus actionnaire depuis 1996, ni même salarié depuis 2002 : rien n’y avait fait ! Les menaces de boycott de Guerlain avaient débouché sur des manifestations devant les boutiques Guerlain, les groupes de pression du « politiquement correct » ayant parfaitement cadré la fragilité de la marque et son hyper-sensibilité – c’est le cas de toutes les marques de luxe – à tout ce qui peut rayer, écorner ou salir son image. On sait que ces boute-feux disposent des relais sociétaux capables de « faire monter la mayonnaise » dans les médias, avec l’opinion publique comme levier.
••• L’indignation morale est sans doute moindre que la motivation économique. Si on ne peut effacer les propos inexcusables d’un créateur aussi ivre que capricieux, ou les blagues imbéciles d’un vieillard muré dans ses préjugés racistes, il est cependant possible d’obtenir d’une marque adossée à un tel groupe de luxe des compensations monétaires aussi substantielles que discrètes ! La puissance de feu médiatique du groupe LVMH n’étant pas négligeable, un bras de fer va s’engager, au terme duquel il est probable que le groupe LVMH éteindra l’incendie en consentant à quelques dédommagements symboliques, mais surtout sonnants et trébuchants. Autrefois, on aurait pu appeler cela du racket : on parle aujourd’hui de responsabilité citoyenne de l’entreprise : c’est plus chic !
2)
••• DES MISES EN CAUSE POSSIBLES
SOUS LES PRÉTEXTES SOCIÉTAUX LES PLUS INATTENDUS...
Aucune entreprise n'est à l’abri d’un quelconque « dérapage » d’un de ses cadres ou d’un des éléments symboliques de son identité. Le cas Galliano et le cas Guerlain sont ici à replacer dans le contexte plus général de la tendance à prendre les marques en otage sous des prétextes sociétaux. Prétextes directs ou indirects qui ne manquent pas à travers le monde : on peut citer, entre mille autres dossiers, le travail des enfants en Asie, l’exploitation sauvage de ressources naturelles, les atteintes à l’environnement, les pollutions idéologiques [sur la base du politiquement correct ou incorrect], les questions d’éthique personnelle [on rappellera ici l’affaire des « infidélités » de Tiger Woods] et plus généralement les grands choix de société qui ne sont plus médiatisés comme ils l’étaient par la sphère politique...
••• Le monde horloger n’est plus exempté de tout risque dans ce domaine. D’une part, en raison de la globalisation planétaire de ses activités : vendre un lot de montres à un dictateur libyen [comme Chopard l’a fait pour le colonel Kadhafi : Business Montres du 27 août 2009] ou garnir les coffre-forts d’un tyran tunisien [Business Montres du 25 février, info n° 4] n’est pas meilleur pour l’image que s’approvisionner en « reptiles de la honte » en Indonésie – inutile de revenir sur ce dossier récent ! D’autre part à cause de la multiplication des possibilités de mise en cause, à tous les niveaux imaginables, de l’inconduite personnelle d’un dirigeant à la politique sociale générale de l’entreprise [qui chiffrera jamais les dégâts économiques réels – en termes d’image et de coût social – de la mauvaise gestion des ressources humaines au sein du groupe Franck Muller ?]...
••• On pourrait aller plus loin en évoquant l’association systématique et négative de Rolex au président français Nicolas Sarkozy, aux trafiquants de drogue et à l’argent mal acquis : est-ce vraiment idéal quand le président en question plonge au-dessous des 30 % dans les indices de satisfaction ? Ce cas très français est extensible à toutes les associations entre montre/marque et personne/institution, dont les acquis demeurent immédiatement réversibles au fil d’une actualité par nature imprévisible. Plus personne n’est très fier d’avoir été l’« horloger officiel du raïs Saddam Hussein » : c’était pourtant un honneur très disputé parmi les horlogers des années 1970-1980 ! Le contre-exemple serait ici le cas Festina : la marque n’a pas souffert (apparemment) de voir son nom accolé aux histoires de dopage qui ont fait exploser l’équipe cycliste qui portait son nom...
3)
••• UNE BESOIN DE MÉDIATION SOCIÉTALE
QUI PREND LES MARQUES À CONTREPIED...
Dans l’imaginaire collectif, les entreprises ont pris la place des anciennes structures socio-politiques (partis, églises et autres « autorités surplombantes »). Désormais, société marchande oblige, ce sont les entreprises qui norment l’activité quotidienne des citoyens : avec ce cadrage, c’est maintenant dans et autour de l’entreprise que s’expriment les débats sociétaux. Pour les « agitateurs » et les groupes de pression qui jouent parfaitement le jeu de la société du spectacle, cette désintermédiation de la politique est une partie de plaisir : dans le champ clos idéologique, les entreprises constituent des cibles autrement plus faciles, fragiles et déstabilisables que les appareils politiques classiques...
••• Haro sur les marques ! Cible préférentielle : les marques et les industries du luxe, tellement liées à la qualité de leur image et à l’expression idéalisante de leur identité. Elles sont d’autant plus désarmées qu’elles n’ont pas, pour la plupart, constitué ces cellules de crise qui permettent aux industries hier les plus exposées (qu’on parle du pétrole, du fast food, du nucléaire ou de la cosmétique) de gérer plus facilement aujourd’hui les « coups de chaud » médiatiques. Il manque aux marques de luxe une « culture sociétale » qui les rendrait sensibles aux « signaux faibles » qui peuvent demain ruiner ou du moins entacher leur réputation : leur volonté d’excellence se heurte ici aux nécessités d’une transparence prompte à exploiter le moindre double discours – avec plus ou moins de bonne foi...
••• Les marques sont rentables ! Du moins comme cible pour les groupes de pression : elles sont bankables du fait de leur faiblesse et de leur exposition dans l’univers international de la richesse et de l’argent souvent trop facilement gagné. Elles n’ont pas d’alliés dans le champ social, où elles sont plutôt considérées comme des « boucs émissaires » qu’on charge de tous les péchés sociétaux [le cas Rolex est ici symbolique]. On peut donc s’attendre à ce qu’elles soient de plus en plus harcelées, sous les prétextes les plus divers, et attaquées au moindre dérapage, réel ou supposé... |