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Le décodage (provisoire) des changements à la direction de Rolex
 
Le 05-05-2011
de Business Montres & Joaillerie

Rolex n'est pas une marque banale dans le paysage suisse.
Les nouvelles nominations à la direction de l’entreprise sont inattendues.

Décryptage des 13 lignes du communiqué selon les canons de la rolexologie la plus orthodoxe...

1)
••• UN VIRAGE STRATÉGIQUE
DONT LE MOT-CLÉ RESTE LE « TERRAIN »...

En reprenant les principaux arguments de Business Montres dans son « Zapping du mercredi » (première analyse matinale à chaud, info n° 5), on commence à y voir plus clair dans la double nomination qui vient d’être rendue publique par la direction de Rolex.

••• Certains des ces arguments ont été développés par Grégory Pons (Business Montres) au journal de 12 h 30 (4 mai) de la Radio suisse romande (podcast à télécharger : cliquer sur « Un changement de direction surprise »). On sait que tout ce qui concerne Rolex, employeur d'un peu plus de 6 000 personnes entre Genève et Bienne, est un sujet d’intérêt « national » et passionnel en Suisse romande...

••• Reprenons les faits dans l’ordre et tentons de les mettre en perspective pour les rendre intelligibles, en interprétant comme il convient les rites et les codes Rolex selon la science rolexologique. Commençons par les hommes...

••• Bruno Meier : responsable financier du groupe lors du limogeage de Patrick Heiniger (révélation Business Montres du 17 décembre 2008), il n’aura finalement fait que deux ans et demi à la direction du groupe. Il n’a apparemment pas démérité [ou alors on ne sait pas tout], mais les priorités de 2009 (gestion de crise) ne sont plus celles de 2012 et des années suivantes (gestion de la sortie de crise). Sa mission était sans doute de remettre de l’ordre dans les structures financières de la maison, un peu éprouvées par les dérives de l’ère Heiniger. Il cède maintenant la place à un autre profil : quand les urgences sont de gagner de l’argent (et des parts de marché), ceux qui savent seulement gérer cet argent doivent passer la main...

••• Gian Riccardo Marini : le nouveau directeur général, remplaçant de Bruno Meier, est un homme du sérail (image ci-dessus). Âgé de 64 ans, il a quarante ans de carrière chez Rolex, dont il dirigeait les affaires italiennes. On sait que le marché italien est stratégique pour Rolex et on lit clairement, derrière sa nomination, un changement dans la continuité – marqueur culturel très rolexien – en même temps qu’une volonté de valorisation de l’expérience du terrain. Quelques indices glanés en interne permettent d'aller plus loin : il n’est sans doute lui aussi qu’un directeur temporaire. Peut-être parce qu’il est italien et que c’est une révolution culturelle chez Rolex : c’est la première fois que la manufacture Rolex n’est pas dirigée par un Suisse (Heiniger père et fils, Meier) ou par un quasi-Suisse (Wilsdorf). D'autre part, parce qu'on sait que Rolex aime les « patrons » au long cours et les directeurs qui restent longtemps en place – ce qui ne saurait être le cas d’un directeur nommé à 64 ans [plus âgé, donc, que Bruno Meier]. Gian Riccardo Marini serait en fait chargé de recruter et de former le futur « jeune directeur » de Rolex – celui qui pilotera la marque dans les années dix et vingt de ce siècle...

••• Daniel Neidhart : il est nommé « directeur des filiales étrangères du groupe », un poste spécialement créé pour lui [les rolexologues apprécieront]. Il va en fait remplacer Renato Rüedi, ex-directeur commercial (limogé fin 2009 : révélation Business Montres du 18 décembre 2009). À 49 ans et avec quinze années passées chez Rolex, c’est lui aussi un homme du sérail, d’autant plus influent qu’il gère actuellement le marché chinois – ce qui n’est pas rien ! Révolution culturelle : il restera basé à Hong Kong, d’où il pilotera les patrons de toutes les filiales du groupe dans le monde. C’est là encore un choix tactique extraordinairement territorial : Rolex recentre et concentre son dispositif de terrain autour du marché chinois, qui demeure le plus explosif de la planète horlogère...

••• Conseil d’administration : chez Rolex, le pouvoir est totalement détenu et solidement verrouillé entre les mains des membres du conseil d’administration, plus puissant que jamais dans sa capacité à faire et défaire les directeurs. Ces derniers ne sont que des « instruments de navigation » capables de donner de nouvelles impulsions et de transmettre de nouveaux caps à l’entreprise. On connaît certains de ces administrateurs, mais ils préfèrent l’ombre à la lumière : singulièrement influents, ils figurent par les « grands supérieurs inconnus » de l’horlogerie...


2)
••• UNE URGENCE COMMERCIALE
POUR REDÉPLOYER LA PUISSANCE DE ROLEX SUR LE TERRAIN...

La double nomination simultanée à la tête de la manufacture Rolex est un message à décrypter. Patrick Heiniger avait rebâti le dispositif industriel de Rolex, à Genève comme à Bienne, au prix d’emballements budgétaires qui lui avaient coûté sa place. A sa suite, Bruno Meier a colmaté les brèches et assaini la structure financière du groupe. Le troisième étage de la fusée vient d’être mis à feu : c’est le volet commercial de l’opération, confié à des hommes de terrain qui sont en même temps des piliers de la « culture Rolex »...

••• Identité : il est très symbolique que le flambeau de la direction générale d’une marque suississime soit confié à un des hauts cadres italiens de Rolex. Entre Rolex et l’Italie, c’est une histoire d’amour très ancienne, quasi-génétique (d’ailleurs plus qualitativement que quantitativement) : c’est en Italie qu’on trouve les gros bataillons d’amateurs et de collectionneurs. C’est en Italie qu’on cultive le mieux ce qu’est l’« esprit Rolex » et sans doute qu’on comprend le mieux la vraie identité de la marque. Gian Riccardo Marini aura pour mission de réinfuser cette rolexitude dans les instances dirigeantes d’une marque où ces fondamentaux ont parfois été perdus de vue, au profit d’un sentiment diffus de supériorité naturelle qui confinait parfois à l’arrogance. Alors que, précisément, un des marqueurs culturels les plus puissants de Rolex est le souci de devancer les évolutions du monde [et non de s’en satisfaire] : c’est parce qu’il avait cru – avant les autres et plus fort qu’eux – à l’avenir des montres-bracelets que Hans Wilsdorf avait concentré ses efforts, dès 1908, sur ce type de montres, puis qu’il avait dès 1926, cru aux montres étanches, puis aux montres automatiques, puis aux montres de plongée que Rolex en est arrivé à cet état de prédominance – et non en se contentant de gérer l’acquis...

••• Restructuration : après s’être mise en ordre industriel et financier, la maison Rolex repart à l’assaut de ses marchés – anciens ou nouveaux – avec des hommes de terrain qui n’ont pour seule légitimité que leur connaissance des réalités marchandes de la planète horlogère. Marché historique (Italie) pour l’un, marché émergent (Chine) pour l’autre : on ne saurait mieux illustrer la nouvelle détermination commerciale d’une marque qui est déjà numéro un mondial (700 000 montres par an pour un chiffre d’affaires de 3,8 milliards de francs suisses : estimation Business Montres « non officielle et non autorisée »), mais qui entend surtout le rester en préservant son avance. Une attitude pionnière : Rolex est la première marque d’horlogerie suisse qui accepte de se recentrer géographiquement sur l’Asie, en logeant à Hong Kong son état-major commercial !

••• Gouvernance : en coulisses, le conseil d’administration a le recul nécessaire pour observer les marchés et valoriser, dans ses choix managériaux, tantôt la compétence financière, tantôt l’expérience commerciale. Prochain volet prévisible : la montée en puissance de la communication, avec le chantier de l’« ouverture au monde » tel qu’il a évolué (comprenez les nouveaux réseaux sociaux) et le chantier du reformatage d’une politique trop profuse de parrainages sportifs – laquelle mobilise près de deux centaines de millions de francs pour des résultats au final moyennement positifs. Ce sera, là encore, une nouvelle « révolution culturelle » : les hommes qui viennent d’être en place la prépareront à défaut de la conduire...


3)
••• UN EXERCICE DE STYLE
POUR LES « ROLEXOLOGUES »...

De même qu’il y avait, du temps de l’Union soviétique, des kremlinologues pour interpréter les moindres inflexions des nouveaux tsars communistes [moyennant qui, quasiment personne n’avait prévu un effondrement aussi rapide de l’URSS], on peut aujourd’hui ouvrir son dictionnaire de rolexologie pour tenter de déchiffrer les ressorts cachés de ces deux nominations.

••• Business Montres vient de livrer ses propres arguments et interprétations : autant dire qu’ils ne consonnent pas vraiment avec les inquiétudes de quelques analystes, qui évoquent des « divergences d’opinion en interne » ou des « spéculations sur les changements en termes d’indépendance ». Le seul paragraphe précédent sur la « gouvernance » fait table rase de ces objections : mais où vont-ils chercher des menaces sur l'indépendance de Rolex ? De même, en fonction des remontées d’information qui proviennent des marchés, il est difficile de croire à une éventuelle « sanction » de Bruno Meier...

••• Quoi de plus normal pour une marque que son adaptation permanente aux réalités du monde dans lequel elle est immergée ? Seuls les perroquets croient encore à la légende qu’ils répètent, celle d’une manufacture fixiste et ontologiquement incapable d’évoluer. Toutes les collections de ces dernières années démentent cette idée reçue. Les 13 lignes du communiqué de cette nuit prouvent exactement le contraire : au lieu de subir les mutations, Rolex les anticipe et prend de l’avance sur les nouvelles polarisations du marché. Là, on n’est plus dans la communication, mais dans la conversion : c’est probablement ce qui défrise les incroyants...


 



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