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C’est fini :
un gros millier
de montres de collection
auront été dispersées
et plus de 40 millions
de francs suisses encaissés
par les maisons d’enchères.
On va pouvoir parler
d’autre chose :
tiens, par exemple,
pour changer,
on va parler de montres !
1)
••• COMMENT RÉTABLIR UN MINIMUM
DE CONCURRENCE SUR LE MARCHÉ DES ENCHÈRES ?
Certes, Christie’s n’a pas cherché volontairement tenté de fausser la concurrence en instituant une sorte de monopole sur le marché des belles montres de collection : sa prééminence actuelle est explicable, d’une part, par le retrait des affaires d’Osvaldo Patrizzi et, d’autre part, par la qualité du travail d’Aurel Bacs et de son équipe, qui vont chercher très loin sur le terrain d’excellentes montres, qui construisent de passionnants catalogues autour et qui les mettent en scène lors de ventes à grand spectacle. Résultat : 23,4 millions de francs suisses en une journée, quand le total des ventes effectuées par les deux compétiteurs dépasse à peine les 15,5 millions de francs. On frôle les 100 % de lots vendus (98 % exactement !). À ce stade, on ne peut même plus parler comme avant d’oligopole, mais de proto-monopole...
••• Ce poids écrasant de Christie’s déforme considérablement le marché des enchères, qui devrait normalement être une forme de marché parfait (équilibrage de l’offre et de la demande). Trop de belles montres d’un côté [à tel point qu’elles se « tuent » parfois mutuellement] et pas assez de l’autre. Trop de vendeurs de belles pièces chez l’un et pas assez chez les autres. Trop d’acheteurs de haut niveau par ici et trop de transactions entre marchands par là.
••• Cette monoculture christiesienne fragilise le marché : si une marque se mettait à tousser chez Aurel Bacs, on verrait toutes les collections attraper la fièvre. La pratique du « guichet unique » n’est saine, ni pour les vendeurs (collectionneurs ou marchands), ni pour les acheteurs, qui perdent là leur liberté de choix, ni même pour les marques [sans parler du danger accru de « manipulation » des cours]. L’actuelle et écrasante supériorité naturelle de Christie’s n’est pas (encore ?) suspecte d’impérialisme, mais elle va à l’encontre du processus de moralisation et de transparence attendus de tous les partenaires professionnels du milieu de la montre...
••• Moralité : le marché des enchères de montres doit retrouver son équilibre dans une nouvelle pluralité des interlocuteurs, dans leur spécialisation ou dans leur segmentation plus fonctionnelle de leurs ambitions. Si cette clarification – facteur de renforcement global – tardait à intervenir, on risquerait de voir les nouveaux acteurs asiatiques mettre rapidement tout le monde d’accord en raflant la mise. Ils en ont les ambitions. Ils en ont les moyens stratégiques. Ils en auront demain la volonté – ainsi que les hommes pour mettre tout cela en musique...
2)
••• POURQUOI LES CATALOGUES
DES ENCHÈRES HORLOGÈRES SONT-ILS GLOBALEMENT AUSSI NULS ?
On aurait pu espérer que la hausse constante du niveau culturel des amateurs d’horlogerie –et de leurs exigences pédagogiques – allait pousser à l’édition de catalogues d’enchères qui soient vraiment référents. Il n’en a rien été : même si une maison comme Christie’s fait de louables efforts, on reste trop souvent dans le grand n’importe quoi concernant les notices aussi bien que les images. Si l’horlogerie de collection n’a pu progresser que sur un effort permanent d’évangélisation des anciens collectionneurs comme des nouvelles générations d’amateurs, on a souvent l’impression que cet effort d’acculturation horlogère s’est perdu au fur et à mesure que les records d’enchères tombaient sous le marteau...
••• Même en première année d’apprentissage spécialisé, on sait qu’il vaut mieux éviter les photos très noires sur des pages noires, et que le texte blanc sur fond noir [blanc au noir en termes typographiques] est le degré zéro de la lisibilité : apparemment, les graphistes de Sotheby’s ont fait l’école buissonnière...
••• Le miminum qu’on puisse demander à un catalogue, c’est de signaler honnêtement les cadrans refaits (par qui ?), les ajouts anachroniques ou les non-concordances d’une pièce avec l’original de série : peine perdue chez Antiquorum, où une simple facture commerciale – sans références précises à la montre proposée (lot n° 371) – tient lieu de certificat d’authenticité...
••• On serait en droit d’attendre d’une maison du rang de Christies des catalogues plus substantiels que ceux de ses concurrents : on cherchera (en vain) un peu de substance réellement pédagogique dans la notice du lot n° 112 (un tourbillon anglais de Charles Frodsham doté d’un rarissime échappement de précision) ou dans la déplorable absence de notice du lot n° 298 (une montre de poche 24 h de Kullberg, qui propose un carrousel Bonniksen calé sur 52 minutes). L’adjudication de ces montres n’aurait pu que mieux s’en porter ! Il y a dix ans, de telles montres auraient fait un « malheur », tout comme, d’ailleurs, auraient dû faire un « malheur » le régulateur Breguet lot n° 73 bradé par Sotheby’s à 90 000 CHF (Business Montres du 16 mai, info n° 4) ou le triple chronomètre lot n° 420 du catalogue Antiquorum, vaguement proposé comme « prototype IWC » (alors qu’il était de Paul-Louis Droz) parce que l’expert – si, si, ne rions pas – avait confondu le poinçon d’IWC (Schaffhouse) avec le poinçon du fabricant de boîtiers du Locle qui travaillait pour IWC (Business Montres du 16 mai, info n° 4) !
••• Admettons que les marchés émergents asiatiques soient la nouvelle terre promise pour les collections horlogères. On sait que les amateurs sont là-bas ultra-exigeants en matière de documentation et ultra-précis dans leur quête didactique : ce n’est pas en leur resservant des connaissances vieilles de vingt ou trente ans ou en décalquant de travers les notices des anciens catalogues Patrizzi qu’on arrivera à leur enseigner les beaux-arts de la montre de collection...
3)
••• COMBIEN DE TEMPS FAUT-IL
POUR RENDRE UNE ROLEX MILLIONNAIRE EN DOLLARS ?
Très exactement deux minutes et cinquante-neuf secondes ! Dès le 15 avril dernier, Business Montres avait pris pour les paris à propos de cette rarissime Rolex réf. 4113 (huit exemplaires connus), en considérant qu’elle pouvait être la première Rolex de l’histoire à dépasser le million aux enchères. Pari gagné ! On en était hier, chez Christie’s, à 1,1 million de dollars (1,03 million de francs suisses) : Aurel Bacs a emballé ce million en moins de trois minutes, la bataille se jouant très vite entre amateurs au téléphone, les acheteurs officieux du musée Rolex présents dans la salle décrochant avant qu'on en soit à 800 000 CHF. Tournée dans la salle, la vidéo à suivre sur la chaîne images de Business Montres résume bien cette ambiance exceptionnelle de record sous le marteau. Et encore ! Ceux qui ont eu la chance d’avoir entre les mains d’autres pièces de cette série de rattrapantes Rolex sont d’accord pour dire que celle-ci n’est pas, de loin, la plus belle de la série : ce ne sont pas les trois propriétaires de trois de ces réf. 4113 – ils étaient présents dans la salle, ce qui est extraordinaire – qui nous contrediront. On attend avec impatience les prochaines réf. 4113...
••• Question complémentaire : combien de temps pour pousser un chronographe monopoussoir Patek Philippe à 2,8 millions de francs suisses au marteau (3,6 millions de dollars avec les frais, record du monde pour un chronographe Patek Philippe) ? Tout aussi exactement 00:00 minutes, comme en témoigne cette autre vidéo d’ambiance à découvrir sur la chaîne images de Business Montres...
4)
••• QUI A OSÉ SOUFFLER
LE CHRONOGRAPHE ENCREUR SIGNÉ RIEUSSEC SOUS LE NEZ DE MONTBLANC ?
Il n’y a pas que les enchères genevoises dans la vie ! On a même beaucoup rigolé hier, à Drouot Paris, lors de la vente horlogère dispersée par Chayette et Cheval. Business Montres (9 mai) avait dévoilé quelques petits secrets de ce catalogue, dont le fameux chronographe encreur signé Rieussec : une pièce de première génération, dont Montblanc rêvait pour ses collections. Peut-être alertés par cet article, quelques acheteurs de grandes collections et de musées privés rôdaient dans la salle, qui avait finalement programmé la vente de cette pièce dans l’ordre normal des numéros du catalogue. Initialement, il avait été question de repousser ce lot en fin de session pour permettre à quelques experts venus directement des ventes de Genève de prendre le train...
••• Malgré une ligne directe entre Drouot et le siège Montblanc de Hambourg, la marque a perdu cette occasion de se procurer ce chronographe qui est probablement le dernier à passer sous le marteau : moyennant une enchère de 170 000 euros [ça ne devait pas être dans les moyens de Montblanc, qui a pourtant fait de Rieussec son icône !], cet exceptionnel chronographe encreur à compteurs tournants va intégrer un célèbre musée privé genevois, dont on peut déjà dire qu’il possède la plus fabuleuse collection mondiale de pré-chronographes – on en découvre certains à l’exposition du MIH de La Chaux-de-Fonds. C’est un vrai métier, le marketing patrimonial horloger !
5)
••• À QUELLE HEURE
VA-T-ON VIVRE LA RÉVOLUTION HORLOGÈRE CHEZ PARMIGIANI ?
Tiens, il y avait longtemps que Business Montres n’avait pas rendu l’hommage qui lui revient à notre excellent ami, l’illustre « Himalaya de la pensée horlogère » ! On s’en confond en plates excuses, mais on va rattraper le temps perdu. On n’imagine pas le nombre d’heures de travail et de réunions, les allers-retours entre exécutifs de haut niveau, la débauche d’énergie mentale et la haute intensité de masturbation intellectuelle qui auront été nécessaires pour que Valérie Fuchs et la nouvelle direction marketing de Parmigiani Fleurier accouche d’une mesure radicale et révolutionnaire : désormais, sur les images presse de la communication et sur les publicités de la marque, toutes les aiguilles seront positionnées à 19 h 08 et le quantième toujours réglé sur la date du 2. C’est un hommage à l’heure et à la date de naissance de Michel Parmigiani. Cette heure parmigianienne sera désormais la « signature » de la marque : « Les aiguilles sont le sourire d’une montre et les traits d’esprit d’un cadran », nous rappelle notre Himalaya préféré – qui est aussi un poète, comme peut le constater...
6)
••• QUELLES MONTRES DE LUXE ONT-ELLES ÉTÉ OFFERTES
AUX FOOTBALLEURS FRANÇAIS QUI JOUAIENT UN MATCH AMICAL EN TCHETCHÉNIE ?
L’affaire buzze avec délices sur Internet : dans un reportage de Canal +, on voit une équipe de gloires du football européen, accompagnés par Diego Maradona, se rendre en Tchétchénie pour un match amical à la gloire du tyranneau local, le sulfureux président Ramzan Kadyrov. Le cachet des joueurs devait être reversé à une association charitable. Après le match, un des joueurs français (l’ex-international Alain Boghossian) plaisante : « Il fallait laisser gagner l’équipe du président pour récupérer nos passeports ». A la minute 05:12 de la vidéo, scène d’aéroport à Grozny : on voit les footballeurs français en partance recevoir des mains du chef de la police locale, « de la part du président de la République » tchétchène, une série de montres de luxe : on distingue clairement une Franck Muller, une Chopard, une Hysek, une Jacob & Co, une Bovet Fleurier et d’autres marques, certaines très serties !
••• Au-delà des problèmes d’image posés par cette « prestation », quelques compléments d’information. Certaines montres ne marchaient pas, ont raconté les joueurs : normal, elles étaient automatiques et ils n’ont pas pensé à les remonter ! Question de « culture » horlogère, les petits gars. Peu importaient les marques ainsi distribuées en vrac : seuls comptaient l’écrin et le style démonstratif de la montre, ainsi que leur prix supposé au vu de leur taille et de leur design. Un spectacle finalement assez... répugnant !
••• On comprend mieux, avec cette vingtaine de montres de marques différentes offertes à la va-vite dans un hall d’aéroport, ce que deviennent les montres de luxe sur le marché parallèle : des cadeaux voyants et volumineux, utilisés comme « objets de substitution » (traduction : doudous de luxe) et des fétiches incantatoires de la bling-bling way of life pour corrompre, impressionner ou récompenser, mais jamais comme des témoins d’un art de vivre ou d’une technique raffinée...
7)
••• À QUELLE PROFONDEUR
PEUT-ON DESCENDRE AVEC LA NOUVELLE « HAUSSMAN DIVING » DE SAINT-HONORÉ ?
Normalement, pour une montre de plongée (norme ISO 6425), l’étanchéité minimum est de 300 m. Précision : 300 m de profondeur. Les amateurs d’émotions fortes en ambiance nautique préféreront sans doute 300 m de la plage avec leur nouvelle Haussman Diver (Saint-Honoré), qui n’est étanche que jusqu’à 100 m en dépit de son nom, de ses couleurs « professionnelles » et de son style subaquatique (lunette tournante intérieure). La grande date à 12 h confirme cependant la vocation urbaine, de même que la petite seconde de ce boîtier en acier de 45 mm, avec mouvement quartz, bracelet caoutchouc et boucle déployante, le tout Swiss Made comme il se doit (image ci-dessus). Trois finitions pour impressionner les nageuses : titane, acier et Full Black. Comme les sirènes ne hantent pas les grandes profondeurs auxquelles cette montre ne prétend pas, ce n’était sans doute pas la peine de graver un plongeur sur le fond de la boîte de cette Haussman Diving...
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