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Louis Vuitton s’offre un atelier de complications – ce qui va compliquer la vie des marques indép...
 
Le 06-07-2011
de Business Montres & Joaillerie

En rachetant
La Fabrique du Temps,
Louis Vuitton
se dote
du meilleur bureau
de création
et de construction
de l’industrie suisse.

Ce qui va poser
quelques problèmes
aux marques tierces :
le champ de liberté
des indépendants
se rétrécit dangereusement...

1)
••• L’ÉQUIPE DE LA FABRIQUE DU TEMPS
PASSE SOUS LE CONTRÔLE DE LVMH...

Les dix-sept employés de La Fabrique du Temps se retrouvent ce matin employés de Louis Vuitton, ce qui leur fait tout drôle (avant-première Business Montres du 4 juillet, info n° 5) ! Yves Carcelle s’offre ainsi, pour ses développements horlogers, l’atelier de hautes complications horlogères dont il avait besoin pour asseoir sa marque dans l’Olympe de la haute horlogerie : La Fabrique du Temps avait déjà développé pour Louis Vuitton une répétition minutes (présenté à Baselworld), ainsi que le mouvement très innovant de la Spin Time GMT (heures par cubes rotatifs : image ci-dessus). D'autres dossiers étaient en phase d'études pour la marque-phare du groupe LVMH...

••• Sous réserve de confirmation, le montant de la transaction serait d’une modestie telle qu’elle pourrait taduire une méconnaissance des réalités du marché de la part des fondateurs de LFDT (Michel Navas et Enrico Barbasini, ex-créateurs de BNB avec Mathias Buttet). Ils auraient pu monnayer leurs talents et leur équipe auprès d’un autre investisseur, à un prix bien plus élevé : on parle de six millions de francs suisses pour cette transaction – ce qui est aberrant compte tenu de la valeur des hommes et de leur potentiel...

••• Cette envie soudaine de vendre pourrait également s'expliquer par des raisons financières, liées au modèle économique d'un atelier indépendant, qui ne peut guère faire de profits sur sa matière grise et sur ses idées – ce qui l'oblige à une épuisante relance permanente des investissements, le système se bloquant au moindre ralentissement. Une certitude : ni Michel Navas, ni Enrico Barbasini ne sont des hommes d'argent et ils n'ont pas opéré cette transaction par esprit de lucre, mais, avec une certaine naïveté, par séduction pour le projet horloger qu'on leur faisait miroiter [on verra ci-dessous que cette candeur peut se fracasser sur des pesanteurs culturelles non négligeables]...

2)
••• COMMENT LE RETRAIT DU MARCHÉ
DE LA FABRIQUE DU TEMPS VA APPAUVRIR L'HORLOGERIE INDÉPENDANTE...

Contrairement à ce qui se raconte dans les milieux mal informés l’affaire a clairement été montée sans prévenir Francesco Trapani, ni la direction du pôle horloger du groupe (TAG Heuer, Zenith, etc.), alors même que LFDT y comptait des clients. Lesquels mettent clairement en cause une « manœuvre retorse » de Hamdi Chatti, qui gère tant bien que mal l’horlogerie Louis Vuitton depuis 2010. Ce rachat par Louis Vuitton Montres pose plusieurs problèmes sérieux aux marques indépendantes...

• La hâte de revendre LFDT tendrait à prouver que la survie économique des ateliers de construction indépendants – quels qu'ils soient – est encore plus menacée qu’on ne l’imaginait : sans jamais rouler sur l'or, les créateurs de LFDT étaient même plutôt serrés en permanence côté trésorerie. Manifestement, dans l'industrie horlogère, ce n'est pas parce qu'on a beaucoup d'idées qu'on a les moyens de les mettre en oeuvre : la créativité ne paie pas (ce qui ne veut pas dire que c'est un crime) ! Après la faillite de BNB et celle des Artisans horlogers, après le rachat rapide de LFDT, on se demande s’il y a encore une place sur le marché pour les créateurs indépendants, et un modèle économique pour les manufactures de mouvements indépendantes...

• La voracité des groupes pour les derniers ateliers de construction indépendants mettait depuis des mois une pression infernale sur les fondateurs de LFDT. L’histoire dira s’ils ont fait le bon ou le mauvais choix avec Louis Vuitton, plutôt qu’avec tous ceux qui leur faisaient les yeux doux et qui étaient prêts à casser leur tirelire pour se les attacher. Il est évident que c’est un pion stratégique décisif qui est éliminé de l’échiquier : l’espace de liberté vient de se réduire pour bon nombre de marques qui n’ont pas les moyens de s’offrir un bureau de création de premier plan...

• Le sort des clients de LFDT est loin d’être rassurant, tant pour les répétitions minutes (gérées en marge par une structure distincte, elle aussi intégrée par Louis Vuitton Montres) que pour les autres complications ou les projets en cours. Michel Navas et Enrico Barbasini sont, en dépit de leur âge, des horlogers « à l'ancienne » qui n'ont qu'une parole et qui semblent décidés à honorer jusqu'au bout leurs engagements vis-à-vis de leurs clients. On les croit sur parole... Chez Louis Vuitton, en revanche, on ne cache pas la volonté de renoncer au plus vite aux études réalisés pour des marques extérieures, ainsi que le souhait de boucler sans tarder les développements en cours pour des marques tierces. De toute façon, à terme, Louis Vuitton aura besoin de toutes les capacités de LFDT pour ses propres avancées sur les multiples terrains de la haute horlogerie. C’est donc un espace de création indépendant qui se referme pour les marques non alignées...

• Laurent Ferrier (la marque) a également du souci à se faire, quoique Enrico Barbasini et Michel Navas en soient co-actionnaires. Il semblerait cependant que cette proximité personnelle, renforcée par une implantation « physique » en face de LFDT, permette à Laurent Ferrier de sécuriser les développements et les constructions pendant une durée limitée : on parlait ce week-end de plusieurs années d'engagement de Louis Vuitton pour finaliser les études destinées à Laurent Ferrier (R&D, innovations à venir), mais ces promesses n'engagent que ceux qui les croient. Toutefois, l'internalisation de la réalisation du tourbillon et du micro-rotor avaient bien été anticipées par Olivier Müller, le CEO de Laurent Ferrier. De même et heureusement pour la jeune marque, sa récente installation dans une « manufacture » autonome et le recrutement d’une équipe de constructeurs (Business Montres du 1er juin dernier) lui garantissent quelques chances supplémentaires de surmonter cet mini-crise – alors même que le fait d’être adossée à LFDT et à ses fondateurs donnait un poids supplémentaire et une crédibilité renforcée à la marque Laurent Ferrier.

• C’est évidemment Louis Vuitton qui fait la bonne affaire en mettant la main sur Enrico Barbasini et Michel Navas, qui figurent parmi les horlogers les plus brillants de leur génération. Leur seule présence requalifie durablement Louis Vuitton dans le champ horloger. Reste maintenant à savoir comment ces deux acteurs plus indépendants que nature (mentalement et managérialement) vont supporter leur transplantation sous pavillon Louis Vuitton : ils n’ont ni la « culture groupe », ni la « culture grande marque » qui sont un guide de survie dans ces structures qui ont érigé le machiavélisme en loi d'airain. Comme ils ont toujours marqué leur refus d’intégrer une grande structure où ils auraient « perdu leur âme », on attend les résultats de cette mutation – sans la moindre illusion, quoique les deux créateurs soient liés à Louis Vuitton par un contrat béton...

• L'ironie du sort est fantastique : BNB (Barbasini Navas Buttet) se trouve reconstitué de fait, mais cette fois au sein du groupe LVMH (MB chez Hublot, EB et MN chez Louis Vuitton). Compte tenu des tensions qui existent entre le pôle horlogerie du groupe et Louis Vuitton Montres, ils ne risquent pas de si tôt de se rencontrer, mais la coïncidence est amusante, non ?

 



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