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Les gens, les entreprises et les initiatives qui comptent dans le village des montres, en autant de questions qui dérangent, mais avec les réponses qui s'imposent : l'actualité de la rentrée commence à monter en pression...
1)
••• LE « FRANC FORT » EST-IL
UNE CHANCE OU UNE CALAMITÉ ?
Fortes réactions des lecteurs après la parution de notre article « Le franc fort nous rendra-t-il plus forts ? » (analyse Business Montres du 24 août) : manifestement, la question fait débat, mais tout le monde s’accorde à penser que le renchérissement du franc suisse n’est pas un simple phénomène conjoncturel et qu’on ne reverra pas de sitôt des parités euro-dollar-CHF comparables à celles de ces dernières années. Ceci posé, que faire ?
••• Jean-Christophe Babin (TAG Heuer) proposait ses propres solutions, hier même, dans Le Temps (Suisse) : « Les recettes de TAG Heuer pour juguler l’affermissement du franc ». Le moins qu’on puisse dire est que cet article est parfaitement en phase avec le diagnostic de Business Montres et qu’il vient pimenter la discussion d’une pointe de courage médiatique pas si fréquente chez les CEO de marques suisses...
••• Une suggestion intéressante de la direction d’un groupe de marques indépendantes : pourquoi ne pas profiter de cette affaire du « franc fort » pour créer des ateliers dans la zone euro proche (ou non) de la Suisse ? Ce qui serait une excellente occasion de requalifier le Swiss Made non plus en « appelation géographique » impossible à faire respecter, mais en « label de bienfacture » euro-helvétique piloté par les marques suisses : une sorte de « zone Schengen » à vocation purement horlogère ! Ce qui serait aussi une occasion de remettre sur les rails, sous contrôle suisse, des traditions horlogères locales on ne peut plus légitimes : la Liberté suisse guidant le monde de l’horlogerie de qualité, voilà une allégorie à haute intensité symbolique !
2)
••• ET SI ON S’INSPIRAIT
D’UNE CHANTEUSE POP, POLAIRE ET D’AVANT-GARDE ?
Si l’idée est de profiter de cette « crise » du franc fort (qui n’est pas une crise, mais un assomption du franc suisse) pour réviser en profondeur des certitudes obsolètes, un exemple à méditer : celui de la chanteuse pop d’avant-garde islandaise Björk. « J’ai été forcée de sortir de mon confort », a expliqué l’étoile polaire au Monde (France), qui l’interrogeait sur les innovations de son dernier album, Biophilia. Sa démarche est une réaction à la crise de l’industrie du disque : « Tous les vieux modèles ne fonctionnent plus, il faut en faire table rase, tenter autre chose ». Elle réinvente l’avenir sans recopier le passé : à lire pour se convaincre qu’il est toujours possible de faire autre chose et d’explorer d’autres voies, avec enthousiasme, même et surtout quand tout le monde déprime...
3)
••• LE SWATCH GROUP EST-IL
EN TRAIN DE PRENDRE LE CONTRÔLE
DE LA DISTRIBUTION DES MONTRES SUISSES EN CHINE ?
On connaissait les accords capitalistes qui lient le Swatch Group (mais aussi LVMH) au groupe Xinyu Hengdeli, premier réseau asiatique – sinon mondial – de distribution des montres (378 boutiques dans tout l’ensemble grand-chinois et des accords privilégiés avec le Swatch Group, mais aussi Richemont, LVMH ou Rolex). Officiellement, la participation du Swatch Group est de 9,05 %, mais on ne peut exclure une montée rapide à 20,4 % – dans des conditions plus que bizarres. Cet été, la presse économique de Hong Kong a raconté comment le CEO du groupe Hengdeli, le Dr Zhang Yuping, avait emprunté, pour ses investissements personnels, la somme de 100 millions de dollars américains. Une somme non négligeable, même par ces temps de dollar dévalué. Et c’est le Swatch Group qui lui a prêté cette somme, en se nantissant sur un bloc de 500 millions d’actions Hengdeli détenues par Zhang Yuping – sachant que ces 500 millions d’actions ont été valorisées pour ce nantissement à seulement 40 % de leur valeur sur le marché boursier...
••• Bizarre, vous avez dit bizarre ! On se demande pourquoi un acteur si important de l’économie chinoise, dont on connaît par ailleurs les connexions politiques locales, n’a pas eu recours, pour ce prêt personnel, aux circuits économiques et à ses relais bancaires locaux. On se demande évidemment pourquoi ce prêt a été consenti dans de telles conditions de décote du titre Hengdeli (conditions inférieures au classique et pourtant rigoureux « crédit lombard » pratiqué par les banques). On se demande aussi ce qui va se passera si l’emprunteur fait défaut, le Swatch Group entrant alors en possession de ces actions et montant du coup automatiquement à hauteur de 20,4 % dans le capital...
••• On se demande enfin ce qui se passe chez Hengdeli, dont les derniers comptes d’exploitation – triomphants dans les communiqués officiels, nettement moins brillants dans la réalité des chiffres – ont poussé la Bank of China à dégrader la cote pour recommander l’action « à la vente ». Ce qui n’est pas fréquent du tout en Chine ! Bref, trop de bizarreries dans ce dossier pour que Business Montres n’y revienne pas, en détail, dans les jours à venir...
4)
••• UNE « MONTRE DE POCHE » PEUT-ELLE
SE PERMETTRE D’ÊTRE IMPORTABLE SANS HOLSTER SPÉCIAL ?
Ce n’est pas une question de dimensions, même si elles sont respectables pour une « montre de poche (106 mm x 62 mm x 23 mm), et plus proche d’un iPhone (115 x 58 x 9 mm) que d’une classique « montre de poche ». C’est plutôt une question de poids : 385 g d’acier, avec un peu de titane, soit près de trois fois le poids d’un iPhone (137 g pour la version 4). Un peu plus si on y ajoute le poids de la chaîne ! Ce qui déforme immanquablement les poches d’un costume bien coupé, à tel point que Felix Baumgartner et Martin Frei, les deux créateurs d’Urwerk, ont fait faire une veste spéciale pour « porter » leur nouvelle Zeit Device...
••• La réponse à la question posée est simple : cette Zeit Device (image ci-dessus) est une super-complication qui ne relève ni de la montre-bracelet, ni de la montre de poche, ni de la pendulette de bureau (on peut aussi la poser sur un socle de table). C’est une « ovni » horloger intégral, à classer dans la catégorie un peu floue des nouveaux objets nomades, quelque part entre la tablesse numérique et le smartphone – lesquels étaient inimaginables dans nos poches il y a une décennie...
••• Va donc pour un objet du temps « nouvelle génération », qui s’inscrit dans la tradition des « têtes de série » toujours un peu étranges, qu’on parle de la fameuse « machine d’Anticythère », du chronomètre de marine H4 de Harrisson ou des premiers chronographes d’aviation du XXe siècle. La nouvelle UR-2001 Zeit Device (indiscrétion Business Montres du 10 juin dernier, info n° 4) reprend le concept d’heures satellitaires emblématique des collections Urwerk, en y ajoutant un très amusant calendrier (date et mois) lui aussi rotatif et satellitaire – ce qui doit relever de la « première mondiale » absolue. En prime, pour le clin d’œil, un indicateur de « révision » (une sorte de « changement d’huile », comme pour une voiture) et un indicateur séculaire (100 ans) doublé d’un indicateur millénaire (1 000 ans), qui lance un défi à la « machine d’Anticythère » dont il était question ci-dessus. Esthétique à la Martin Frei (déhanchements et décalages stylistiques, avec angles tendus et lignes circulaires en dialectique), finitions néo-traditionnelles (satinage, sablage, polissage, micro-billage, surfaçage ARCAP et guillochage clous de Paris), écrin à remontoir spécial. C’est bien de la haute horlogerie. C’est même de la méta-haute horlogerie...
5)
••• LA MANUFACTURE SELLITA PRATIQUE-T-ELLE
LE DOUBLE JEU EN TRICHANT AVEC LE « SWISS MADE » ?
On ne peut que se poser la question à la lecture d’un article du Temps (Suisse), dans lequel Bastien Buss enquête sur une anomalie statistique : 1,7 million de mouvements mécaniques suisses exportés (principalement en Asie ou aux Etats-Unis) pour être emboîtés dans des montres de marques pas toujours recommandables pour leur respect du Swiss Made. Un dossier passablement complexe, qui met très clairement en cause Miguel Garcia, le patron de la manufacture Sellita, par ailleurs grand pourfendeur du Swatch Group dans l’affaire des non-livraisons de mouvements et d’un possible abus de position dominante [du coup, on comprend mieux à qui la publication de cette enquête profite – ça sonne comme une réponse du berger à la bergère]...
••• L’exportation (non justifiée) de 600 000 ou 700 000 mouvements mécaniques suisses n’est en rien illégale, même elle semble parfaitement illégitime à la fois dans l’actuel contexte de tension pour les approvisionnements en mouvements des marques extérieures au Swatch Group et dans le cadre du bras-de-fer qui oppose les manufactures de mouvements à ETA. Une fois de plus, la lettre de la loi a été respectée, mais son esprit est trahi par ceux-là même qui devraient avoir pour mission de le protéger...
6)
••• COMBIEN Y AURA-T-IL
DE SALONS HORLOGERS EN CHINE, CET AUTOMNE ?
Au moins deux, mais d’une importance radicalement différente. Aucune incertitude ne plane sur Belles Montres Shanghai (26-30 octobre), où Alain Faust et Albert Bensoussan ont su convaincre une trentaine de grandes marques (Hermès, Bvlgari, Louis Vuitton et les marques LVMH, Chanel, etc.) de tenter la première exposition grand public de montres de luxe : grosse mobilisation des médias locaux et files d’attente à prévoir ! En revanche, le sort du CIWE (China International Watch Exhibition) organisé par Alan Chung est plus qu’aléatoire, en dépit du soutien affiché par différentes institutions politico-économiques locales : les dates ont été raccourcies (21-25 septembre, au lieu des 19-25 septembre prévus initialement) et aucune des petites ou des grandes marques annoncées (Chopard, Corum, Ulysse Nardin, MB&F, Marvin, etc.) ne semble avoir confirmé, à l’exception de Laurent Ferrier (qui participera également au salon Belles Montres Shanghai). Côté Richemont, on poursuit activement les préparatifs d’un grand salon « groupe », qui n’est cependant pas prévu avant le printemps 2013, avec une approche grand public dont la formule reste à parfaire (et à expliquer) pour les équipes locales de ces marques, pas vraiment rôdées à ce genre d’événement... |