|
Les quatre millions d’euros pronostiqués par Business Montres ont été largement dépassés...
On a même doublé le résultat de 2009, mais il faut se garder d’une illusion d’optique : l’hirondelle Patek Philippe est loin d’annoncer le printemps...
Seconde et dernière partie...
3)
••• HEUREUSEMENT, QUELQUES BONNES SURPRISES
ONT ÉMAILLÉ UNE VENTE PLUS ACHALANDÉE QUE D’HABITUDE...
A L’Hermitage, la salle était bondée, et relativement plus « active » que pour les éditions précédentes, même face aux nombreux enchérisseurs par téléphone ou en ligne : 300 personnes dans le même bocal, ça crée de l’électricité – à côté du prince Albert II, il y avait même Ronnie Wood (un des Rolling Stones, amateur de montres bien connu). C’est un point très positif pour l’avenir. Sinon, quatorze marques sur quarante s’en tirent plutôt bien, en faisant mieux que leur estimation moyenne (des 155 % de Patek Philippe aux 2 % de Richard Mille). Et une grosse douzaine constituent une bonne surprise. En voici une sélection rapide (par ordre d’importance des adjudications) :
•• DeWitt : à 410 000 euros sous le marteau, la Concept Watch n° 3 X-Watch a surpris tout le monde, mais mieux vaut un signal fort positif que l’inverse. Et cette pièce unique tourbillon-chronographe n’était pas facile à « vendre », et elle n’avait d’ailleurs bénéficié d’un coup de main de la part d’Antiquorum...
•• Van Cleef & Arpels : il fallait un enchérisseur bien allumé pour une « complication poétique » également très allumée, mais on ne peut que s’incliner devant les 215 000 euros (+ 72 % par rapport à l’estimation moyenne) offerts à la recherche contre les myopathies, en échange d’une montre estimée à 100 000-150 000 euros. Une générosité sans frontières...
•• MB&F : une adjudication pile à l’estimation basse (170 000 euros, pour les 170 000-230 000 euros annoncés sur le catalogue), c’est au moins la preuve du savoir-faire de Maximilan Busser, qui a su mobiliser autour de son « Flying Panda » le cercle de ses collectionneurs. Cette enchère – la sixième de toute la vente – est aussi un signal encourageant pour la nouvelle génération : cette HM4 était sauf facile à vendre dans une vente où les amateurs de « folies » horlogères n’étaient guère impliqués...
•• Breguet : la grande complication « à la main tendue » était estimée 80 000-120 000 euros, et elle a été adjugée 120 000 euros dans un grand élan de charité (20 % au-dessus de l’estimation moyenne). Un score qui récompense l’extrême fidélité de Breguet à Only Watch...
•• Vacheron Constantin : 90 000 euros pour cette pièce unique « métiers d’art » qui sera le fleuron d’une collection, c’est une des meilleures « bonnes affaires » de la vente (estimation 80 000-120 000 euros), même si la montre aurait mérité d’entrer dans la catégorie des enchères à six chiffres...
•• Celsius X VI II : vendre un téléphone, aussi horloger soit-il, dans une vente Only Watch était un pari risqué. La jeune équipe de Celsius X VI II a réussi son pari, à 75 000 euros pour une estimation entre 40 000 et 60 000 euros pour ce téléphone de seconde génération (pour la marque), encore jamais vu sur le marché et donc sans référence pour son prix. Beau travail de l’équipe Celsius, bien mobilisée pour réussir ce coup d’essai...
•• Piaget : la marque peut se rassurer sur la nouvelle esthétique adoptée pour cette Altiplano squelette, raflée pour 54 000 euros alors qu’elle n’était estimée que 25 000-35 000 euros (soit 80 % de hausse, deuxième surperformance par rapport à l’estimation moyenne derrière Patek Philippe). De quoi ouvrir à Piaget de nouveaux champs d’exploration stylistique...
•• Franck Muller : plutôt une bonne surprise, les 44 000 euros (+ 47 % de l’estimation initiale à 20 000-40 000 euros) pour ce délire « Totally Switzerland », dont Business Montres (22 septembre, info n° 5) avait souligné l’insolente suissitude, « symbolique des nouveaux codes de l’horlogerie post-moderne »...
•• Laurent Ferrier : première vente Only Watch et première pièce jamais mise sur le marché pour ce « prototype » de micro-rotor en acier, estimé 25 000-35 000 euros et adjugé à 41 000 euros. Une « vraie » enchère de collectionneur pour une « vraie » pièce de collection, dont on peut parier qu’elle reviendra un jour faire un malheur dans les salles d’enchères...
•• Girard-Perregaux : autant la manufacture Girard-Perregaux avait pataugé dans les précédentes éditions d’Only Watch, autant cette ww.tc en oxyde de titanium méritait les 29 000 euros de son estimation (estimation : 25 000-45 000 euros). De quoi prouver que les plus vénérables icônes d’une marque peuvent bénéficier sans déchoir d’une injection de style contemporain...
•• Chanel : un J12 Marine pas comme les autres, adjugée 21 000 euros pour une estimation entre 15 000 et 20 000 euros (soit 20 % au-dessus de l’estimation moyenne), c’est plutôt gratifiant pour une marque qui a eu du mal à trouver ses marques à Only Watch. Cet excellent résultat prouve que la J12 a toujours un fort potentiel, pourvu qu’on ait l’audace de nouvelles expressions esthétiques...
•• Cyrus : certes, à 61 000 euros, on est à 23 % sous l’estimation moyenne (qui était sans doute trop optimiste à 70 000-90 000 euros), mais c’est une belle réussite pour une jeune marque, entrée in extemis dans un concours qui était cette année malheureusement pas idéal du tout pour les jeunes créateurs horlogers. C’est pourquoi le collectionneur britannique qui a posé cette enchère a plutôt fait une bonne affaire...
•• Ikepod : 15 % au-dessus de l’estimation moyenne (15 000-25 000 euros), c’est une belle réussite pour ce sablier de Marc interprété en rouge par Marc Newson et adjugé à 23 000 euros, ce qui reste intéressant pour une telle pièce unique. C’est aussi la preuve qu’Only Watch peut (et doit) s’ouvrir à des « objets du temps » - voir ci-dessus le téléphone de Celsius X VI II...
••• QUELQUES RESCAPÉS S’EN TIRENT À LA LIMITE, mais ils ont dû sentir le vent du boulet : les 20 000 euros de la paire de chronos Zenith Captain (estimées à 25 000-30 000 euros, soit 27 % de chute « moyenne ») n’ont vraiment rien de glorieux, de même que les 50 000 euros de la Corum Golden Bridge (surestimée à 55 000-70 000 euros) ou encore les 30 000 euros de la Villeret 1958 de Montblanc (estimée 40 000-50 000 euros). Un peu décevante, aussi, l’adjudication à 44 000 euros du « prototype » TAG Heuer Monaco Mikrograph, qui aurait au moins mérité son seuil d’estimation (50 000-70 000 euros). Et plutôt mal défendue, la Blancpain Villeret, laissée à 42 000 euros (24 % sous l’estimation moyenne) sans atteindre la barre psychologique des 45 000-65 000 euros du catalogue...
••• DERNIER LOT : LES MENTIONS « PASSABLES », qui s’en sortent tout juste avec les honneurs de la guerre, comme les 33 000 euros de l’Oceanographic 4000 de Hublot (estimée 30 000-40 000 euros : 6 % de recul par rapport à l’estimation moyenne) ou les 11 000 euros de la Rock the Rock DNA de Romain Jerome (pile dans l’estimation moyenne à 10 000-12 000 euros). Pas vraiment de quoi se vanter, ni pavoiser. On mentionnera également ici la Glashütte Original, la Jules Audemars d’Audemars Piguet (- 5 % par rapport à l’estimation moyenne) ou la Jaquet Droz à paysage monégasque...
4)
••• QUELQUES ENSEIGNEMENTS À TIRER
DE LA QUATRIÈME ÉDITION D’ONLY WATCH...
Rideau tiré sur l’édition 2011, il faut maintenant penser à 2013, pour continuer à aider les 250 000 personnes atteintes de myopathie et financer de nouvelles recherches. La réussite d’Only Watch repose sur une mobilisation collective, qui réclame du temps et de l’énergie. Un certain nombre de constantes se dégagent de la quatrième édition, le plus souvent pour confirmer les « règles du jeu » (non écrites) instaurées au fil des ans, mais dans le cadre des évolutions et des mutations en cours de la planète horlogère...
•• Les montres : les « vraies » pièces uniques ont été payées de retour (Patek Philippe, Van Cleef & Arpels, Piaget, Celsius X VI II, DeWitt, Franck Muller, Girard-Perregaux, Chanel, Ikepod, etc.), mais le marché des collectionneurs s’est méfié des propositions moins typées, c’est-à-dire vues comme moins « uniques » (Richard Mille, Harry Winston, Hermès, Hublot, Corum, Cyrus, Audemars Piguet, Glashütte Original, Louis Vuitton, etc.). Non sans injustices pour quelques montres exceptionnelles (De Bethune, Bovet, Vacheron Constantin, MB&F, Zenith, etc.).
•• La mobilisation créative des marques est absolument nécessaire en amont, ce travail d’équipe se révélant être un remarquable outil de motivation interne...
•• Les limites du storytelling : on en a compris les contingences avec la RM027 de Richard Mille (un habillage Rafael Nadal ne suffit pas, les amateurs attendaient une personnalisation plus marquée de la montre). Même déception avec la Monaco « sud-africaine » (clin d’œil trop téléphoné) de la Monaco TAG Heuer. On a également perçu l’épuisement du référent purement monégasque (De Bethune, Jaquet Droz, De Bethune, Blancpain), qui ne suffit plus à emballer des enchères qui ont désormais le monde entier pour horizon. Le gimmick d’une petite touche de rouge n’émeut plus personne (Hublot, Cyrus), sauf s’il est franchement suisse (Franck Muller). Et les dragons ne sont plus ce qu’ils étaient (Bovet), sur un marché où même les pandas fatiguent (MB&F : image ci-dessus, 170 000 euros tout de même pour ce podracer sino-busserien !)...
•• les nouvelles propositions doivent être lisibles (Patek Philippe = acier = triomphe), consistantes (Van Cleef & Arpels = décoration vernienne décalée = 215 000 euros) et radicalement rupturistes (Ikepod = pièce unique rouge = 300 % de valeur ajoutée par rapport à la pièce commerciale)...
•• Les créateurs indépendants : les « rebelles » de l’horlogerie ont toute leur place à Only Watch, même s’ils y ont été plutôt maltraités cette année (De Bethune, Urwerk, Bell & Ross, DeLaCour, etc.). C’est le concept même de médiatisation et de promotion des expositions internationales qu’il faut sans doute revoir : les créateurs – qui sont les seuls à pouvoir expliquer leurs « objets du temps » – doivent y être beaucoup plus étroitement associés.
•• Il faut maintenir une présence forte des nouvelles marques et des nouveaux concepts créatifs, mais en leur donnant toutes leurs chances dans une partition qui doit rester polyphonique...
•• Monaco... ou pas Monaco : faut-il vraiment sanctuariser Only Watch à Monaco, alors que la grande majorité des grands collectionneurs et des enchérisseurs de poids sont désormais asiatiques ? La principauté, et son souverain, auraient tout à gagner, pour ce qui est de leur promotion et de celle de la vente, à une délocalisation ponctuelle dans une métropole asiatique, à une heure plus pratique pour les gros bataillons d’amateurs...
•• Le marqueur monégasque est constitutif d’Only Watch, mais il ne se limite pas à un ancrage géographique. Monaco, c'est une idée en même temps qu'un Rocher : sauf sévère coup de tabac économique en Asie, c’est là-bas qu’il faut jouer du marteau !
•• La tournée des expositions : si elles ont été les plus impeccablement organisées, les expositions confiées à des détaillants locaux (essentiellement The Hour Glass et Westime) avaient cependant l’inconvénient de rester exclusives, surtout en Asie où les cloisons restent étanches entre les différents grands distributeurs multimarques let entre les marques, pas toujours représentées dans telle ou telle boutique locale. Il faut réfléchir à d’autres formes de promotion des montres acceptées dans le concours...
•• Puisqu’Only Watch est une mobilisation communautaire autour d’une grande cause, on devrait pouvoir réfléchir à une mutualisation d’événements promotionnels, associant plusieurs grandes références de la distribution locale...
•• La maison d’enchères : les dérives marchandes et auto-promotionnelles de cette quatrième édition ont été suffisamment pointées du doigt (ici même) pour qu’on y revienne pas, mais il faut réfléchir à d’autres formes d’intervention des auctioneers spécialisés dans l’horlogerie, dont les clientèles exclusives sont loin de se recouper. Chacun sa spécialité, tous pour la grande cause des montres !
•• Au lieu de l’actuelle exclusivité, dont on a bien perçu les limites, pourquoi ne pas imaginer une forme de mise en commun de services (hammer pooling) de différentes maisons d’enchères, toujours dans un logique de mobilisation collective au service d’une opération associant montres et recherche scientifique ? Même au prix de subtilités diplomatiques mandarinales, cela résoudrait bon nombre des problèmes listés ci-dessus et ci-dessous...
•• La mise en scène : qu’on l’apprécie ou non, une vente aux enchères est un spectacle total, qui doit se scénariser dans une logique professionnelle. Ce n’est pas une simple dispersion cataloguée, mais un événement biennal dont la rareté garantit l’intérêt. Ce qui ne saurait exclure ni les mondanités nécessaires (la présence du prince Albert II ou celle du Rolling Stones Ronnie Wood), ni l’implication personnelle des patrons de marque (plus que maigrichonne, cette année), ni surtout la mise en scène (« Le médium, c’est le message », Marshall McLuhan)...
•• S.O.S. scénographe, S.O.S. bonnes idées, S.O.S. partenaires de poids dans mise en valeur des efforts de toute une communauté professionnelle...
•• Les règles du jeu (internes et non écrites) : on les répétera une fois de plus. Une vente Only Watch se prépare longtemps avant la vente (mobilisation des équipes autour d’un vrai projet innovant, qui ne se résume pas à une tête de série ou à une animation de cadran). Elle se gère pendant les expositions (par un quadrillage du terrain et le travail en profondeur de ses collectionneurs) et pendant la vente (en veillant au grain pour s’éviter tout « accident industriel » de type Louis Vuitton). Elle s’exploite après les adjudications, par la médiatisation de son bon résultat, voire même par un geste charitable supplémentaire qui vient encore renforcer l’image de la marque...
•• Toutes les marques ont leur place à Only Watch, grandes et petites, nouvelles ou historiques, pourvu qu’elles soient prêtes à y défendre bec et ongles leurs valeurs et leur image, placées ici sans le moindre préjugé de « classe » au service d’une grande cause médicale... |