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CULTURE HORLOGÈRE : Splendeurs et misères de la boîte à musique
 
Le 26-10-2011
de Business Montres & Joaillerie

Les boîtes à musique témoignent du même génie technique et mécanique que les montres, avec une dimension musicale supplémentaire.

Un livre rend hommage à ces micro-mécaniciens qui avaient l’oreille musicale, mais dont l'industrie a raté le train de la modernité...

Ce qui pousse à la méditation sur l'horlogerie !


1)
••• L’ATELIER DU DR WYSS REGROUPE AUJOURD’HUI
TOUT LE PATRIMOINE DES FABRICANTS DE BOÎTES À MUSIQUE...

Il était une fois Sainte-Croix, dans le canton de Vaud. L’histoire des boîtes à musique y naît, à l’orée du XIXe siècle, elle y prospère et elle y agonise, à la fin du XXe siècle. La région, qui a toujours compté dans la sous-traitance horlogère, a cependant toujours cherché sa voie dans d’autres filières micro-mécaniques que les montres, comme les phonographes, les machines à écrire (Hermès Baby), les caméras (Bolex) et, bien sûr, les boîtes à musique – dont le goût est sans doute venu aux entrepreneurs locaux par les horloges et par les montres répétitions minutes. Le premier mouvement à musique indépendant de toute référence horlogère (on a remplacé les timbres par des lames vibrantes) est réalisé à Sainte-Croix en 1802. L’horlogerie est alors une activité très cyclique, totalement dépendante de la situation politique d’une Europe troublée par les guerres napoléoniennes, le blocus continental et les barrières douanières : c’est pour échapper à ces dangers qu’on met en place des ateliers et des comptoirs de tabatières et de boîtes à musique en parallèle aux fabriques de montres. Très vite, dès les années 1830, l’industrie des musiques a détrôné l’horlogerie dans la région : l’âge d’or commence, avec les premiers comptoirs « industriels », qui travaillent en symbiose avec un riche tissu d’ateliers artisanaux, dans un flux efficace et permanent de sous-traitance largement décentralisée dans les environs...

••• BIENTÔT, LE MONDE ENTIER S’ARRACHE LES BOÎTES MUSICALES de la région de Sainte-Croix. Les « faiseurs de pièces à musique » finissent par aspirer toute la maind’œuvre : une trentaine de fabriques fonctionnent à la fin du XIXe siècle, employant plusieurs milliers de personnes, et autant de sous-traitants à domicile. La concurrence pousse à l’innovation technique, dans la partie mécanique comme dans la partie purement musicale (qualité du son et des harmonies). Les boîtes musicales sont, en quelque sorte, les « postes de radio » et les « robinets à musique » de l’époque : les chanteurs s’en servent pour caler leur voix et trouver le tempo. Les guerres mondiales, le gramophone, puis la diffusion massive des disques vont à la fois disqualifier musicalement et démoder techniquement les boîtes à musique. Plus que sept entreprises locales à la veille de la Seconde Guerre mondiale, alors que se profile déjà une concurrence asiatique, aussi percutante en qualité qu’en prix...

••• LE RETOURNEMENT DE SITUATION de l’après-guerre est spectaculaire. Les boîtes à musique optent à la fois pour un positionnement nostalgique et pour un retour anti-industriel à l’artisanat, ce qui condamne les entreprises survivantes à s’enfermer dans la virtuosité et dans le très haut de gamme pour collectionneurs fortunés. Dans un premier temps, les commandes explosent : 2,3 millions de francs exportés en boîtes à musique pour 1943, mais 33 millions de francs en 1973, année record qui marque aussi l’amorce de la spirale d’un déclin inexorable. Il y avait 24 entreprises en 1963, pour 1 200 personnes employées : il n’y en a plus qu’une de taille internationale avec des équipements modernes, Reuge, et une entreprise familiale, Gueissaz-Jaccard, qui s’est spécialisée dans les productions pour les marchés touristiques. Ce qui ne veut pas dire que les boîtes à musique sont condamnées - il est même certain qu’elles ne le sont pas -, mais seulement qu’elles sont au fond du trou après trop d’erreurs marketing successives...

••• CES ENTREPRISES ULTRA-SPÉCIALISÉES AURAIENT PU DISPARAÎTRE, mais le vrai désastre ethno-culturel aurait été que la mémoire collective des « faiseurs de pièces à musique » disparaissent dans les poubelles de la modernité. C’est précisément parce qu’il retrouvait des pans entiers de cette mémoire professionnelle, technique et musicale, dans les bennes à ordure de la région que le docteur Jürg Wyss, passionné d’histoire et de mécanique, a constitué, au fil des ans, une remarquable collection de machines et outils, avant de recueillir les confidences des derniers ouvriers et des fabricants. Il a sauvé cette industrie d’une disparition annoncée. Son « atelier » regroupe le patrimoine artisanal et industriel de la boîte à musique, qui continue donc à tourner, à vibrer et à résonner au Musée des arts et sciences de Sainte-Croix, qui a repris cette collection pour en assurer la pérennité. Le livre L’Atelier du Dr Wyss décrit ce patrimoine et révèle quelques clés de son histoire...

••• LES AMOUREUX DE L’HORLOGERIE MÉCANIQUE ne seront pas dépaysés dans l’univers du docteur Wyss, dont chaque machine a été soigneusement documentée : on y fait la part belle aux artisans et aux ouvriers plus qu’aux boîtes à musique elles-mêmes (image ci-dessus : un atelier traditionnel et, en cartouche, une « justifieuse » et un « accordeur »). Ce n’est pas un catalogue figé : c’est le sang d’une région qui transmet là ses pulsations mémorielles, son savoir-faire séculaire et ses gènes de bienfacture, aujourd’hui recyclés dans l’horlogerie pour des maisons comme De Bethune. Techniquement, les facteurs de boîtes musicales avaient atteint une sorte de perfection micro-mécanique. D’où la question : pourquoi ont-ils quasiment tous disparu ?



2)
••• LES ERREURS MARKETING ONT TUÉ
LE MARCHÉ DE LA BOÎTE À MUSIQUE PLUS SÛREMENT QUE LES ÉVOLUTIONS SOCIÉTALES...

La nostalgie pour l’âge d’or des boîtes à musique est facile. Tout le monde regrette la quasi-disparition de cet univers enchanté, qui n’a pas su trouver sa place dans notre quotidien. Les montres mécaniques – qui n’allaient pas mieux que les boîtes à musique à certaines époques – ont survécu parce qu’elles ont su s’adapter et rester en phase avec les mutations et les évolutions sociétales. On doit s’interroger sur ce qui n’a pas bien fonctionné pour les boîtes musicales et tenter d’analyser comment et pourquoi elles ont loupé le coche de la modernité...

••• ON PEUT FAIRE QUELQUES ERREURS DE TEMPS EN TEMPS, mais on ne peut pas se tromper sur tout en permanence ! À l’âge du iPod, la boîte à musique n’est pas plus technologiquement obsolète que la montre mécanique à l’âge des horloges atomiques : il y a bien longtemps que les montres ne servent plus à donner l’heure que marginalement, alors que les boîtes à musique n’ont pas su renouveler leur imaginaire. Pourtant, elles ne manquent pas d’atouts, côté esthétique - le design contemporain leur va aussi bien que les décors traditionnels -, côté musical - la résonance des lames a un effet calmant et régressif - et même côté technique - on fait des miracles avec les robots d’usinage. Elles ne manquaient pas de collectionneurs, ni d’ailleurs de main-d’œuvre pour être réalisées en Suisse...

••• LA VÉRITÉ EST AILLEURS ! Non, les boîtes à musique se sont tout simplement trompées de modernité. Dans les années 1970, elles ont misés sur la nostalgie alors que le courant porteur était futuriste : les hippies ont coupé leurs cheveux et remis des cravates avant de brancher leur hi-fi, laissant en plan les boîtes à musique. Les vieux messieurs qui collectionnaient les tabatières et les oiseaux chanteurs sont morts sans que leurs héritiers assurent la relève, créant une déflation spectaculaire dans les salles d’enchères. Pour plaire aux derniers collectionneurs, la montée en gamme a été aussi spectaculaire que suicidaire : faute d'imagination marketing, on a privilégié des pièces exceptionnelles incapables d’entretenir l’humus technico-industriel d’un écosystème qui s’est progressivement asphyxié. L’absence de toute considération marketing a conduit à manquer successivement tous les trains des marchés qui ont émergé au cours des trente dernières années. On pourrait prolonger ce constat accablant : il est déjà assez caricatural ainsi pour qu’on n’insiste pas davantage...

••• EN DÉCOUVRANT LES VIEUX OUTILS des ateliers de boîtes musicales, dont certains ont été sauvés des poubelles, on se prend à espérer que l’industrie horlogère ne connaisse pas, un jour, de telles défaillances, dont l’histoire économique nous prouve qu’elles sont aussi fréquentes qu’impitoyables, dans tous les secteurs d’activité. Personne n’est jamais à l’abri, ni surtout crisis proof. Toujours devant ces vieux outils, on se prend à rêver d’une renaissance des boîtes à musique, cousines aujourd’hui déshéritées et indigentes des montres mécaniques, mais toujours désirables si on venait à rhabiller correctement en vue d’un nouveau mariage avec la modernité. Il se murmure que Reuge – qui a senti de près le vent du boulet – aurait enfin décidé de réorienter sa stratégie marketing : on va donc aller enquêter du côté de Sainte-Croix pour le vérifier. Et pour méditer, une fois de plus, sur les splendeurs et les misères d’une industrie musicale qui avait tout pour elle, sauf les idées pertinentes qu’il aurait fallu aux moments décisifs...

••• L’atelier du Dr Wyss – « Le génie technique et musical de la fabrication de la boîte à musique », de Jürg Wyss, Marc Hösli et Jean-Claude Piguet, Musée des arts et sciences Sainte-Croix, Cahier n° 9, 159 p., diffusion France et Suisse par les éditions Mon Village...

 



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