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VACHERON CONSTANTIN - Interview de Juan-Carlos Torres
 
Le 01-11-2011

« Notre Atelier Cabinotiers respecte les mêmes règles qu’une banque privée »

C’est en 2005 que Juan-Carlos Torres a été nommé à la tête de l’une des marques horlogères les plus prestigieuses au monde : Vacheron Constantin. Une année plus tard, il créait l’Atelier Cabinotiers, cellule unique dans le monde de l’horlogerie, dédiée aux commandes spéciales.

Ses proches l’appellent Charly. Un surnom teinté de sympathie qui colle parfaitement au sourire chaleureux du personnage. Car Juan-Carlos Torres est un personnage. Même s’il s’en défend, il est de ceux qui creusent leur sillon, qui laissent une trace. Fatigué de donner de lui l’image romantique du fils d’immigré espagnol qui a réussi en gravissant tous les échelons, il oppose à la question « quel est votre parcours professionnel » une anecdote : « Il y a quelques mois, j’étais invité par l’Université de Barcelone pour une conférence sur la crise économique, raconte-il. Nous étions quatre grands patrons : un Allemand de l’industrie automobile, un Français représentant le monde des vins prestigieux, un Espagnol actif dans la mode et moi-même. Chacun leur tour, les trois orateurs se sont présentés, insistant sur leurs diplômes et leur parcours. Lorsque mon tour est arrivé, j’ai déclaré à l’assemblée que c‚était la première fois que je mettais les pieds dans une aula d’université. Mais je l’ai dit en catalan. A l’heure des questions, il n’y en a eues que pour moi : les étudiants voulaient en savoir plus sur mon vécu, mes 30 ans d’expérience chez Vacheron Constantin, la longévité exceptionnelle de la marque – 255 ans sans interruption -, notre management de crise, qui consistait en fait à ne rien changer. J’ai parlé pendant une heure après les exposés. Pourtant, mes collègues étaient sensés être les vedettes de la manifestation. »

Expérience, apprentissage, formation : des mots qui reviennent souvent dans la bouche de Juan-Carlos Torres. Car bien plus qu’un dirigeant d’entreprise, le Catalan d’origine se considère avant tout comme un passeur. De valeurs d’abord, mais surtout de savoirs. « La chaîne de transmission des gestes du métier n’a jamais été rompue chez Vacheron Constantin », aime-t-il répéter. Une formule qui n’est pas usurpée : peu après sa nomination à la présidence de la marque en 2005, il met en place dans les ateliers un système qui n’en finit pas de faire ses preuves. Il confie les responsabilités opérationnelles aux jeunes – la moyenne d’âge du personnel est de 32 ans -, tandis qu‚il charge les plus anciens du rôle de formateurs. Résultat : tout le monde y trouve son compte et la manufacture connait moins de 2% de turnover. « J’ai fêté mes 30 ans de boîte avec dix collaborateurs qui étaient entrés chez Vacheron Constantin la même année que moi », se réjouit-il.

D’aucuns pourraient croire ce petit univers recroquevillé sur lui-même, plus prompt au rejet défensif qu’à l’ouverture. Il n’en est rien. Privilège des virtuoses qui n’ont plus rien à prouver, Vacheron Constantin se plaît à convoquer les Arts, les Sciences et les Cultures dans quelques-unes de ses collections uniques au monde. Le sillon de Juan-Carlos Torres, même s’il s’en défend…

Depuis votre nomination à la tête de Vacheron Constantin en 2005, il y a eu les collections « Les Masques », « La Symbolique des Laques », « Chagall & l’Opéra de Paris » et d’autres. La marque ressemble-t-elle à Juan-Carlos Torres aujourd’hui ?

Je vais vous répondre par ce que m’a dit un horloger le 17 septembre 2005, jour de mon entrée en fonction en tant que directeur général : « Charly, ne réinvente pas Vacheron Constantin, tout existe ! »

Pourtant, personne n’avait avant vous osé reproduire un masque tribal sur le cadran d’une montre…
Un jour, notre directeur artistique, Christian Selmoni, est arrivé dans mon bureau avec un gros livre. Il l’a posé devant moi et m’a lancé : « C’est ça que nous devons faire ! Toute l’émotion de Vacheron Constantin est là-dedans. » Il s’agissait de « L’Homme et ses Masques », édité par le Musée Barbier-Mueller. Je l’entends encore me dire : « Tu dois te les procurer ! »

Jean Paul Barbier-Mueller vous les a-t-il prêtés facilement ?

Lorsque je l’ai appelé pour la première fois, on ne peut pas dire qu’il ait été très enthousiaste. A force de persuasion, il a fini par me prêter un masque. Et quand nous lui avons présenté le prototype de la montre, il a été ravi. Tellement qu’il a acheté la première série de quatre montres. Ce fut le début d’une grande amitié.

Puis il y a eu la collaboration avec la maison japonaise Zôhiko pour « La Symbolique des Laques »…
C’est elle qui nous a contactés après avoir découvert « Les Masques » !

Il y a aussi « Chagall & l’Opéra de Paris », une série qui reproduit en émail grand feu le plafond de l’Opéra de Paris. D’où vient cette idée ?

Nous sommes mécène de l’Opéra national de Paris depuis quelques années. Le choix s’est fait presque naturellement.

Vous n’y êtes donc pour rien dans tout cela ?

Vous savez, chez nous, le département Création n’est pas subordonné au marketing, mais à moi. Non pas parce que je m’y connais mieux, mais parce que je garantis, ce faisant, un certain cadre de travail. C’est ma contribution. Le jour où un produit Vacheron Constantin découlera d’un brief marketing n’est pas arrivé !

Vous accordez une grande importance aux métiers d’art…

Nous avons une cellule spécialisée dans les métiers d’art. Cela fait partie de la tradition chez Vacheron Constantin, qui utilisait déjà en 1755 la gravure et l’ornement. Sans être arrogant, je peux dire que nous sommes les plus anciens utilisateurs de ces techniques. Aujourd’hui, le département Métiers d’Art occupe un graveur, un guillocheur, un sertisseur et une émailleuse – formée d’ailleurs par Anita Porchet, l’une des émailleuses les plus douées, mais aussi l’une des dernières.

Un département également mis à contribution pour votre Atelier Cabinotiers. Qu’est-il exactement ?
Il incarne l’esprit de service personnalisé de Vacheron Constantin, une manière de fonctionner qui est à l’origine de la marque. On ne faisait pas de série au XVIIIe siècle. Nous avons décidé en 2006 de rouvrir un atelier dédié, capable de traiter n’importe quel désir d’un client – dans les limites de notre ADN.

Les créations de cette unité très spéciale sont en principe tenues loin des yeux du public. Mais ce printemps, vous en avez présenté deux. Comment cela a-t-il été possible ?

Il est vrai que nous traitons les clients de ce service comme ceux d‚une banque privée. C’est en quelque sorte une Swiss Private Watchmaking ! Pour la mise sur pied de l’atelier, je suis d’ailleurs allé chercher le savoir-faire d’un ami qui dirige une banque privée.

Vraiment ?

Oui. Ça a été très instructif, et mon ami a également appris pas mal de chose sur notre façon de fonctionner. Nous avons aujourd’hui les mêmes niveaux de confidentialité, qui nous interdisent de dire quoi que ce soit sur nos clients ou sur le travail que nous réalisons pour eux. Mais ce printemps, effectivement, nous avons pu dévoiler au grand public deux créations de l’Atelier Cabinotiers : la Vladimir et la Philosophia, ainsi nommées par leur propriétaire respectif. Avec bien sûr l’autorisation de ces derniers.

Vous pouvez nous parler d’eux ?

Le propriétaire de la Philosophia est un ami proche. Nous étions en train de siroter en plein après-midi un Château Haut-Brion 1982. Soudain, il me dit : « Tu vois, pour moi, c’est ça la philosophie de la vie ! Tu me fais une montre comme ça ? Qu’elle me dise grosso modo l’heure qu’il est, avec un tourbillon, une phase de lune et le ciel de Provence. » Et après un temps de réflexion, il a ajouté : « Mais si je le souhaite, il faudrait tout de même qu’elle me donne l’heure précise. » Le résultat, c’est une répétition minutes qui propose une lecture de l’heure sur 24 heures avec une seule aiguille, dotée d’une phase de Lune et de l’indication de la réserve de marche.

Combien vaut une telle montre ?

On ne parle pas de prix ici, mais de qualité ! Toutes les commandes de l’Atelier Cabinotiers sont réalisées à double, afin d’assurer le service après-vente.

Et votre philosophie à vous, quelle est-elle ?

Les repas entre amis et en famille !

Vous avez monté cet été une grande exposition au Musée National de Singapour, intitulée « Trésors de Vacheron Constantin : un héritage horloger depuis 1755 ». Etait-ce une première pour vous ?

A cette dimension, cette exposition fut une première pour Vacheron Constantin. Mais nous ne l’avons pas montée nous-mêmes, la demande provenait du Musée National. Cela a constitué trois ans de travail, avec à l’arrivée la présentation de la montre N° 1 de Vacheron – datée de 1755 – et de quelques pièces de la collection privée du roi Fouad d’Egypte. Au total, 180 montres historiques ont fait le plaisir de plusieurs milliers de visiteurs.

Allez-vous réitérer l’expérience ?

Pourquoi pas, mais ailleurs, et peut-être différemment.

Avez-vous déjà choisi un lieu ?

Berlin nous plaît bien : c’est une ville entre deux mondes, pleine d’histoire et d’émotions.

Qu’auriez-vous fait si l’horlogerie ne vous avait pas choisi ?

Je ne sais pas. Certainement musicien classique ou chef d’orchestre. -

Par Fabrice Eschmann | BIPH
Par Nicolas RIGHETTI | Rezo.ch


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