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Rolex vient d’inaugurer à Shanghai un espace unique au monde, non loin des boutiques Cartier et Omega.
A Shanghai, après l’aéroport réglé au rythme des pendules Rolex, la promenade sur le Bund donne un second aperçu des forces en présence. A dossées aux façades de somptueux immeubles du début du siècle dernier, seules quelques vitrines commerciales s’offrent à la vue des passants de la plus prestigieuse avenue de la mégapole chinoise – à défaut d’être la plus commerçante. Les places sont chères et les élus fort rares.
Parmi quelques marques de luxe, seuls trois horlogers ont véritablement pignon sur rue (d’autres sont là, visibilité en moins, dans les étages des espaces commerciaux). Au numéro 19, Swatch Group y a acquis en 2007 le vénérable Peace Hotel au fronton duquel Breguet et Omega occupent les deux meilleurs emplacements; Cartier se déploie sur quatre vitrines au 18; tandis que Rolex vient d’inaugurer au numéro 27 un espace de quelque 800m2 que révèlent huit vitrines s’ouvrant sur le Bund.
Rolex, Cartier, Omega: les trois plus puissants horlogers de la planète ont sans surprise trusté les trois plus prestigieux emplacements de la ville la plus cosmopolite de Chine. Et le million de touristes, essentiellement chinois, qui déambulent tous les jours sur l’avenue se font ainsi une idée assez précise de la cartographie de la haute horlogerie suisse. Dans les segments de prix les plus élevés, l’Empire du Milieu sourit tout particulièrement à Vacheron Constantin, à Patek Philippe et à Blancpain. Mais les volumes de ces marques à la pointe de la pyramide – quelques milliers d’unités écoulées en Chine –n’ont rien à voir avec les centaines de milliers de montres vendues tous les ans par le trio de tête dans ce nouvel eldorado.
Si tous les horlogers ont les yeux braqués depuis plusieurs années vers la Chine, c’est très simplement parce que le moteur de leur croissance est là-bas. Qu’on ne s’y trompe pas: si la crise de 2008 a été si rapidement surmontée par la branche et que l’année en cours s’annonce encore exceptionnelle, c’est au continent asiatique – et essentiellement à la Chine – qu’on le doit. De janvier à septembre, les exportations horlogères vers Hongkong ont crû de 29%et celles vers le reste de la Chine ont explosé de 48%! En neuf mois, Chine et Hongkong ont absorbé pour 3,9 milliards de francs de montres suisses (le 30% du total des exportations suisses), très loin devant les Etats-Unis, second débouché avec 1,4 milliard de francs. On comprend mieux l’intérêt que suscite la région.
SUR LA «WISH LIST» DES CHINOIS AISÉS
Disons les choses comme elles sont: le géant Rolex – 600000 montres par an pour un chiffre d’affaires estimé de plus de 3 milliards de francs – a investi massivement ces quinze dernières années dans son outil de production à Genève et à Bienne pendant que d’autres préféraient déployer leurs efforts pour s’implanter sur les marchés à fort potentiel, Chine en tête. Rolex avait-elle manqué le virage chinois? Ses concurrents ont sans doute pu l’espérer un temps, mais la réalité les rattrape. Les études démontrent que Rolex est bien là et que la marque genevoise occupe une place de choix sur la «wish list» horlogère de dizaines de millions de Chinois aisés.
L’histoire de Rolex en Chine est plus que centenaire, mais on retiendra que la société – propriété de la fondation Hans Wilsdorf– acréé une filiale à Hongkong dès 1967 et que Rolex a été, en 2002, la première marque horlogère autorisée à créer en Chine une société détenue à 100% par la maison mère (et non en collaboration avec des partenaires chinois). Comme à chaque fois qu’elle entre sur un nouveau marché, Rolex a commencé par mettre sur pied un service aprèsvente. Elle dispose aujourd’hui en Chine de trois centres de service après-vente, à Pékin, Shanghai et Guangzhou, de quelque 260 points de vente – dont une dizaine de boutiques – et occupe plus de 300 personnes.
Rolex est en train de se façonner en Chine une image identique à celle qui est la sienne pratiquement partout sur la planète, celle d’une marque au-dessus de la mêlée, un symbole. Or les Chinois adorent les symboles… Et c’est précisément dans le but de faire briller la couronne Rolex que Daniel Neidhart, numéro deux de la société, en charge de toutes les filiales du groupe et basé à Hongkong, a imaginé avec ses équipes The Rolex Experience qui vient de s’ouvrir sur 800m2 à Shanghai. Une exposition doublée d’une galerie-boutique – gérée par un détaillant local – présentant plus de 200 modèles et quelque 600 montres en stock. Du jamais vu chez Rolex. Si la société ne l’exprime pas clairement, The Rolex Experience est aussiuntest qui pourrait se décliner ailleurs. La demande est assurément là.
VEDETTES ET PARRAINAGES
En une heure, en parcourant l’exposition, le visiteur béotien aura appris que cette marque centenaire a été fondée par un visionnaire – Hans Wilsdorf a parié avant les autres sur la disparition de la montre de poche au profit de la montre-bracelet –; qu’elle est à l’origine de quelques innovations marquantes du XXe siècle pour l’horlogerie (l’étanchéité et l’optimisation du remontage automatique); qu’elle dispose d’un outil de production complet et performant; que le niveau de fiabilité de ses produits est exceptionnel; qu’elle dispose du plus vaste réseau de service après-vente de toute l’industrie; qu’elle est associée depuis des décennies à des légendes issues des mondes dusport etde la culture; qu’elle est indépendante et que ce statut est considéré comme une vertu.
Avec, pour cerise sur le gâteau, ce message: Rolex aime la Chine, et elle le prouve. D’abord par le fait qu’elle y investit, ensuite parce qu’elle soutient – à l’instar de tous ses concurrents – des stars chinoises pour porter la bonne parole. Il en est ainsi de la tenniswoman Li Na, 5e joueuse mondiale, première Asiatique à remporter un tournoi du Grand Chelem (Roland-Garros en 2011), de sa compatriote Zheng Jie, vainqueur de plusieurs Grands Chelems en double, du golfeur Liang Wen-Chong, meilleur classement chinois, ou encore de Yuja Wang et de son compatriote Yundi Li, tous deux pianistes virtuoses de renommée internationale.
Sans parler des parrainages nombreux dans la région, du Rolex Shanghai Masters à l’Australian Open, en passant par des épreuves de golf réputées(HSBC Champions à Shanghai) ou du partenariat stratégique avec la China Golf Association. Dernier coup «asiatique» en date, le partenariat avec la légende Tiger Woods, délaissé par ses anciens sponsors (dont TAG Heuer) après ses frasques conjugales. Si son image est écornée aux Etats-Unis, il demeure un dieu en Asie et le pari tenté par l’ancien tennisman Arnaud Boetsch, nommé directeur de la communication et image de Rolex, est intéressant. Pas seulement parce que la marque «s’engage » à accompagner Tiger Woods «dans ses nouveaux défis», mais surtout parce que ce partenariat intègre une part de risques. Or le risque est le propre d’une entreprise qui avance, fût-elle un géant.
BILAN - 2 novembre 2011
Michel Jeannot |