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DU RIFIFI À PARIS : Comment Richemont est en train de déstabiliser la distribution parisienne
 
Le 11-11-2011
de Business Montres & Joaillerie

C’est évidemment du « non officiel » et du « non autorisé ».

Disons même que l'info en est tout juste au stade de la rumeur très précise et très insistante...

Mais l’histoire va passionner tous les détaillants parisiens.

Ainsi que tous leurs copains suisses, européens, américains ou asiatiques, qui sauront assez précisément quoi en penser...


1)
••• OLD ENGLAND « EST. 1867 »
(12, BOULEVARD DES CAPUCINES PARIS IXe)...

Soit une surface commerciale de 2 250 mètres carrés sur trois niveaux, au cœur de Paris, entre la place Vendôme et l’Opéra. L’emplacement fait rêver, mais l’enseigne Old England, chère au cœur de ses vieux clients parisiens - dont nous sommes depuis trois décennies -, ne fait plus rêver les jeunes générations. On dit même ce department store de la mode classique à Paris très menacé. La maison appartient aujourd’hui à Albert Goldberg, le fils du fondateur de Façonnable, qui l’avait rachetée au groupe Richemont, mais il n’a pas brillé dans sa gestion, ni dans le redressement espéré de l’enseigne. Du coup, la situation financière est pour le moins précaire et le bail commercial ne sera sans doute pas renouvelé par le propriétaire des murs, la Société foncière lyonnaise, qui a sans doute déjà trouvé un repreneur potentiel – qui pourrait bien être l’ancien propriétaire des lieux – le groupe Richemont !

••• RICHEMONT À NOUVEAU CHEZ OLD ENGLAND ? Pas du tout, vous n’y êtes pas ! Enfin, pas tout-à-fait : ce ne serait pas Richemont qui reprendrait le bail, mais une autre société – et c’est là que le montage devient passionnant. Evidemment, il faut s’attendre à un démenti immédiat de toutes les raisons sociales dont il sera question ci-dessous, cette « information » – publiée par « un torchon comme Business Montres » n’ayant aucun fondement, etc., etc. On vous l’accorde : c’est pour l’instant une simple rumeur. Pour avoir tenté de la vérifier par différents canaux, la tête embarrassée des gens à qui on posait les questions en disait plus long que toutes les confirmations : ça devrait relever du plus confidentiel des « Secret Défense » et du triple off, mais l’affaire est trop intéressante pour ne pas passionner nos amis distributeurs...

••• DONC, POURQUOI UN TEL EMPRESSEMENT AUTOUR D’OLD ENGLAND ? Question de géopolitique commerciale à Paris : il se trouve que ce quartier est le plus fréquenté de la capitale par les centaines de milliers de touristes chinois qui déferlent sur la capitale, en y laissant quelques centaines de millions d’euros, en particulier dans les boutiques de montres. Autant dire que le quartier de l’Opéra est absolument stratégique pour capter cette clientèle à fort pouvoir d’achat en articles de luxe. L’emplacement d’Old England est idéal au cœur de ce quartier : impossible de trouver mieux en sortant de la rue de la Paix et avant d’aborder les espaces luxe des grands magasins parisiens comme Le Printemps et les Galeries Lafayette (image ci-dessus : Old England). Autant dire que cette surface commerciale est très convoitée, pour toutes sortes de commerces. Maintenant, une question : quelle est l’activité marchande qui dégage le plus de rentabilité au mètre carré ? Les montres de luxe, qui génèrent de quoi s'acquitter des 3 à 4 millions d'euros annuels du loyer exigé...

••• LES GRANDS MAGASINS DONT IL ÉTAIT QUESTION à l’instant le savent bien : Le Printemps et les Galeries Lafayette captent chaque année les achats de plusieurs centaines de milliers de ces touristes chinois affamés de luxe européen. Ils leur ont construit des sortes de mini-avenues Montaigne, de micro-places Vendôme et de nano-faubourgs Saint-Honoré, avec des boutiques monomarques, des corners et des shops in shops qui générent des profits colossaux. Les Asiatiques y font la queue devant l'espace Chanel. La rentabilité de la boutique Cartier des Galeries Lafayette est la meilleure d’Europe, bien au-delà de celle des propres boutiques de Cartier. Philippe Schaeffer, le patron de Rolex France, ne cache pas que la petite boutique Rolex des Galeries Lafayette est son meilleur point de vente français. Et tout ça sans le moindre discount...

••• ON COMPREND QUE CE GÂTEAU FASSE RÊVER les jeunes cadres de l’état-major Richemont, qui voient grandir ces réseaux de grands magasins sans pouvoir enrayer leur irrésistible ascension [avec les boutiques Louis Pion, le pôle horloger des Galeries Lafayette pèse déjà 16 % de la distribution française !]. Il y a un fantastique gisement de profits annexes, surtout si on arrive à offrir aux touristes chinois ce qu’ils aiment : tous les spots horlogers de Paris reconcentrés en un seul lieu, avec 50 ou 60 marques – un peu comme la Time Machine de Tourneau à New York. Ce lieu unique pourrait ainsi être l’immeuble d’Old England, devant lequel on imagine très bien quelques parkings d’autocars, avec à l’étage des enfilades de bureaux où se traiteraient les questions de détaxe et les paquets cadeaux...

••• LE GROUPE RICHEMONT EST TRÈS TENTÉ, mais il n’a pas les hommes capables de manager un tel emporium horloger. Hormis les « grands satans » que constituent (à ses yeux) le Printemps et les Galeries Lafayette, il n’y a pas en France de spécialiste des réseaux multi-marques capable de devenir l’opérateur d’un tel projet – sauf à recréer sur le marché français une superpuissance horlogère qui poserait à son tour le même problème de containment (« endiguement » des dominateurs émergents). Pas question pour le groupe Richemont de concéder un avantage stratégique à une structure française de wholesale (détaillant multi-marques), au moment où toutes les ambitions du groupe se reportent sur le renforcement de son propre réseau retail (les boutiques de ses propres marques) en fermant de nombreux points de vente indépendants...

••• C’EST LÀ QUE LE GROUPE BUCHERER (SUISSE) INTERVIENT : ce spécialiste du multi-marques, les têtes chercheuses du groupe Richemont auraient été le chercher en Suisse, où le réseau Bucherer (fondé en 1888 : 1 100 employés, environ 350 millions d'euros de chiffre d’affaires), gère une quinzaine de magasins, en plus de quelques boutiques monomarques, et une petite huitaine en Allemagne et en Autriche. Atout majeur de Bucherer : ce groupe familial ne pèse rien en France et il connaît très bien la clientèle chinoise, qui fréquente assidûment sa boutique de Lucerne, une des plus profitables du monde. Donc, c’est loin d’être confirmé - et cet article pourrait faire avorter la négociation -, mais Bucherer tient la corde pour opérer ce montage au profit du groupe Richemont, qui aurait convaincu Rolex, quelques grands indépendants (Audemars Piguet, Breitling, etc.), ainsi que le Swatch Group, de participer à l’aventure de ce qui pourrait devenir le plus grand magasin du monde pour les montres, de l’entrée de gamme à la haute horlogerie...



2)
••• UN CARAVANSÉRAIL HORLOGER
QUI PEUT DÉSTABILISER TOUTE LA DISTRIBUTION PARISIENNE...

Admettons donc que Bucherer devienne l’opérateur de ce mégastore horloger (une fois de plus, il ne s’agit ici que de rumeurs non officielles et non autorisées). Admettons que le groupe Richemont soit impliqué dans ce montage. Admettons que de nombreuses marques soient représentées boulevard des Capucines. Nous vivons dans une économie libre où, après tout, on ne peut que se féliciter d’initiatives horlogères de cette importance et de cette aventure entrepreneuriale. Après tout, c’est la loi d’airain des affaires...

••• SUR LE PRINCIPE, RIEN À REDIRE, sauf que c’est une modification substantielle de l’écosystème horloger parisien – et donc français, compte tenu de la concentration du business horloger dans la capitale. On peut même parler de déstabilisation majeure à court terme. Ceci pour plusieurs raisons...

•• Un tel emporium va accélérer la concentration de la distribution parisienne : les gros seront encore plus gras et les petits indépendants encore plus maigres – ce qui les condamnera soit à disparaître, soit à se spécialiser dans des « niches » inexpugnables, comme l’hyper-luxe de la place Vendôme (Dubail), la clientèle proche-orientale (Arije) ou la haute complication (Chronopassion). La désertification risque de faire des ravages dans les commerces horlogers de proximité...

•• L’ouverture d’une grande surface multi-marques ne peut que multiplier les fermetures de comptes chez les détaillants indépendants, qui n’ont plus d’autres choix que de baisser le rideau ou de négocier un contrat monomarque (comme l’ont fait, par exemple, rue de la Paix, les frères Bry quand ils ont cédé à l’amicale pression d’IWC)...

•• Par un simple effet de transfert, ce department store horloger va littéralement assécher le peu de pièces intéressantes qu’on trouvait encore à Paris. Les marques avaient déjà tendance à réserver leurs nouveautés et leurs séries limitées, soit à leurs propres boutiques européennes, soit à leurs réseaux asiatiques : elles ne pourront que privilégier un peu plus leur « tête de pont » parisienne transformée en « piège à Chinois ». Ce qui privera les détaillants restés fidèles à ces marques de pièces « fortes » et du chiffre d’affaires qui va avec...

•• Tout aussi logiquement, on ne peut que voir reculer la qualité du service et le niveau de compétences horlogères de ce supermarché : on sait que la clientèle chinoise pratique le cash & carry et préfère les marques connues ou les modèles de référence aux aléas de la sérendipité et de la curiosité. Le paquet cadeau compte plus que les explications de la vendeuse qui est là pour « pousser les cartons ». Une fois de plus : focalisation et appauvrissement général de la culture horlogère, mais un espace concédé à la Fondation de la haute horlogerie devrait nous arranger tout ça...

••• RÉPÉTONS AVANT DE CONCLURE, qu’il ne s’agit que de simples rumeurs nées de supputations irresponsables, mais elles ne font rire personne dans la capitale française. On imagine assez bien les coups de téléphone qui vont pleuvoir ces jours-ci sur les responsables de Richemont France (pas forcément dans la boucle) et sur les patrons locaux des marques (pas forcément au courant) : pas facile de démentir et encore moins facile de rassurer. Pour les réclamations, s’adresser à l’état-major de Richemont international, à Bellevue (Genève), et à la direction suisse de Bucherer (Lucerne) : vous verrez que Pinocchio a le nez très long dès qu'on lui parle d'Old England. Tout ça va créer de passionnants sujets de conversation dans les allées du prochain salon Belles Montres...

 



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