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Une montre historique pour une référence légendaire : tous les ingrédients seraient réunis pour un record.
Sauf que cette réf. 96 HU a été victime d'une fausse manoeuvre et d'une erreur de casting comme lot-phare de la vente Sotheby's de New York...
••• PATEK PHILIPPE RÉF. 96 HU
(MVT 176230 BOÎTIER 294861)
Facile à mémoriser, la référence 96 HU polarise l’attention des grands collectionneurs de Patek Philippe : une pièce s’est trouvée préemptée par le musée Patek Philippe lors de la vente Christie’s du 14 novembre dernier (340 000 CHF sous le marteau : un très bon prix). Une autre revient sous le marteau, cette fois chez Sotheby’s (coup de projecteur dans les coulisses : Business Montres du 1er décembre, infos n° 3 et 4). Cette montre (lot n° 386 de la vente du 6 décembre à New York) est extraordinaire à plus d’un titre.
••• ON REGRETTERA ICI QUE LA NOTICE du catalogue ne soit pas mieux documentée sur la montre elle-même, alors qu’elle l’est assez complètement sur le mécanisme d’heures universelles inventé par Louis Cottier et sur l’ensemble des « Heures universelles » chez Patek Philippe. On se souvient ici de l’efficace habileté avec laquelle le dernier catalogue Christie’s avait promu sa référence 96 HU (lot n° 90, page 72-75 du e-catalogue, en nous persuadant qu’il s’agissait possiblement du prototype des Heures universelles apparue par la suite dans les collections de Patek Philippe...
••• CETTE RÉF. 96 HU N’A, EN SOI, RIEN DE SPECTACULAIRE : taille modeste (30,5 mm, ce qui en fait un objet de vitrine), cadran non signé, un peu défraîchi, et même éraflé, mouvement sur base d’ébauche LeCoultre réalisé en 1913 et vendu seulement en 1937. Esthétiquement, elle est cependant très expressive avec son anneau des heures saumon et ses index « cartouche », dans un boîtier Calatrava qui deviendra par la suite celui des Heures universelles rondes (séries des réf. 542 HU, 1416 HU, 2523 HU, etc., pour arriver la nouvelle réf. 5131 de 2010). Rareté supplémentaire : son numéro de mouvement et son cadran sans signature Patek Philippe permettent de penser qu’il ne s’agissait peut-être que d’un « prototype » – encore que la montre porte des poinçons légaux qui prouvent qu’elle a bien été vendue en France (à la fin des années trente, dans une Europe encore en crise économique, tout se vendait)...
••• CETTE PIÈCE FAIT RÉFLÉCHIR À L’EXTRAORDINAIRE SUCCÈS de ces montres Heures universelles, qui battent régulièrement des records aux enchères (l’une d’elles détient d’ailleurs le record du monde pour une montre-bracelet). Leur « complication » est relative : beaucoup d’autres marques ont produit des montres à heures universelles sur la base du brevet de Louis Cottier (Rolex, Vacheron Constantin, etc.), mais aucune n’a eu la vogue incroyablement durable de ces Patek Philippe, qui ne sont ni les plus complexes des productions de la maison, ni les plus connues (hormis du mundillo des collectionneurs). Comment expliquer cette magie ? Sans doute par la conjonction de plusieurs facteurs :
• L’aura qui s’attachait, au XXe siècle, à ces montres des « grands voyageurs ». C’était avant que la planète n’attrape la bougeotte et que les clubs du troisième âge n’investissement les clubs de vacances sur tous les continents. Une montre à multiples fuseaux horaires relevait du privilège des pré-jetsetters : c’était le symbole d’un nouvel art de vivre multiculturel et multinational, celui des pionniers de la globalisation. A elle seule, une montre pouvait exprimer cet univers de voyages et les privilèges qui s’y associaient...
• L’esthétique dépouillée, mais très originale, de ces cadrans à heures universelles a sans doute aidé à leur popularité. Les cercles concentriques (villes du monde, vingt-quatre heures, cadran central), ainsi que les aiguilles, courtes mais soigneusement dessinées, ont ajouté à l’élégance du boîtier rond, encore plus équilibré quand il a deux couronnes. Ces Heures universelles ont très vite trouvé leur style et Patek Philippe, qui n’a jamais renoncé à en produire, a su rester fidèle au message esthétique initial, au besoin en y ajoutant d’élégantes décorations émaillées (continents ou pays) qui en ont encore accru l’attractivité. La continuité de cette production explique aussi son succès dans l’esprit des amateurs, qui les ont intégré dans la longue mémoire des légendes horlogères (rien ne crée des icônes comme l'habitude et les années)...
• La simplicité de cette lecture instantanée des heures dans vingt ou trente villes a certainement servi la réputation de ces montres, plus « efficaces » que les montres « GMT » à aiguille 24 heures et finalement pas très compliquées à réaliser sur la base de solides ébauches suisses. Souvent imité, parfois égalé, le système Cottier n’a jamais été surpassé dans son évidence instinctive : c’est probablement une des explications majeures de son succès...
••• SANS REVENIR SUR LA BALLE DANS LE PIED que Sotheby’s s’est tiré en voulant à tout prix « lâcher » cette montre à New York, et non à Genève, où elle aura trouvé son public et des amateurs sensibles à son aura, on ne doutera pas que les 400 000-600 000 dollars de son estimation seront tenus. Combien aurait-on pu décrocher à Genève, avec un peu de battage et de mise en scène préalables ? Sans doute beaucoup plus : les légendes horlogères n’ont pas de prix, surtout quand les montres qui les portent prétendent en être les racines ! Cette réf. 96 HU souffrira de l’enchère basse atteinte à Genève - tant mieux pour Philippe Stern ! -, même si la montre new-yorkaise est objectivement plus belle et mériterait un vrai record... |