|
700 000 dollars pour cette Breguet de 1808 vendue par Poly Auction (Beijing) : non contente d’être un « monument historique », cette Breguet s'offre un record d’enchères pour une montre de poche adjugée en Chine intérieure.
Bonne nouvelle : cette Breguet « impériale » a été adjugée au musée Breguet, dont elle rejoindra bientôt les collections…
••• BREGUET N° 2090 « CABRIOLET »
GRANDE ET PETITE SONNERIE (VERS 1808)
Depuis le roi de France François-Ier (1536), l’alliance franco-ottomane a toujours été une des lignes directrices de la diplomatie française dans cet Orient qu’on dit compliqué. Pour désigner l’actuelle Turquie (qui n’a plus grand-chose à voir avec l’ancien empire ottoman), on parlait alors de la « Sublime Porte ». Une des dernières tentatives officielles pour consolider cet axe Paris-Istanbul est celle de l’empereur Napoléon-Ier, en 1807, quand il tentait de prendre à revers son adversaire le tsar de toutes les Russies.
••• EN 1808, POUR SCELLER SON PROJET DE TRAITÉ AVEC LES TURCS, et sans doute pour motiver le négociateur turc auquel il veut l’offrir en hommage de l’empire des Français à l’amitié franco-ottomane, Napoléon commande à Breguet une montre de poche à complications (grande et petite sonnerie, répétition des quarts indépendants) dans un superbe boîtier (or 22 K) aux couleurs et aux armes de la « Sublime Porte » (lune et étoile d’or sur fond rouge). Pour les coulisses historiques de cette opération, il faut savoir que cette montre n° 2090 n’a guère servi à accélérer le projet de traité, puisque le sultan ottoman Mustafa IV a été assassiné par ses janissaires, en novembre 1808, avant que l’alliance ne soit signée. Son successeur, Mahmud II, qui régnera jusqu’en 1839, ne le ratifiera pas et, prenant prétexte d’une « trahison » des Français, qui lui avaient promis des territoires sans tenir parole, pour signer un traité de paix avec la Russie !
••• DATÉE DE 1808 DANS LES ARCHIVES BREGUET, cette montre n° 2090 est restée dans un état parfait. Elle est gravée au nom d’Hadji Assim Effendi (Esseid Ali Effendi), le diplomate turc qui avait été dépêché à Paris par le sultan Mustafa IV (image ci-dessus : voir d'autres détails sur le lien du lot, ci-dessous). Cet ambassadeur de la Sublime Porte était, en plus, un grand ami d'Abraham Louis Breguet - voir le livre d'Emmanuel Breguet à ce sujet. Cette montre – typique des pièces réalisées alors pour le marché turc – faisait partie de la dernière vente de montres de l’année chez Poly Auction (Beijing), dont elle était le lot n° 0399. Enchère record pour une montre de poche vendue sur le marché chinois : 4 370 000 RMB, soit environ 700 000 dollars. Et record du monde pour une Breguet « ottomane »...
••• C’EST À LA FOIS LE PRIX DE LA RARETÉ, de la légitimité historique (Napoléon-Ier), de la force d’une marque (Breguet) et d’un engouement confirmé des collectionneurs chinois pour ces montres de poche émaillées, très appréciées en Chine depuis le XVIIe siècle. Manque de chance pour ces collectionneurs asiatiques : la montre sera bientôt de retour en France, puisqu’elle a été achetée par le musée Breguet, dont elle rejoindra bientôt les trésors (on espère pouvoir la découvrir à Paris en 2012)…
••• UN DERNIER MOT SUR LES RÉSULTATS de ces enchères horlogères à Beijing : comme en Europe, le très beau se vend très bien, mais le médiocre ne fait que des scores très médiocres, et les « petits » lots ne font que des « petites » enchères. Les amateurs chinois sont devenus aussi sélectifs que les amateurs européens ! Les montres de poche émaillées ont toujours leur faveur, de même que les montres à automates : cela ne fait guère que quatre siècles que les horlogers européens le savent… Maintenant, il faut savoir que, toutes catégories d’objets confondues, le total des ventes d’automne à Beijing a frôlé les deux milliards de dollars (1,9 milliard exactement) : de quoi relativiser les 700 000 dollars de cette Breguet !
|