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ACTUALITÉS : Les principales leçons de l’affaire Richemont-Old England (synthèse)
 
Le 13-12-2011
de Business Montres & Joaillerie

Le dossier « Richemont chez Old England » est désormais tombé dans le domaine public : les perroquets en psittacisent sans vergogne.

Que faut-il en retenir sur la forme et sur le fond ?

Réponses en six questions, avant de refermer le dossier pour quelques mois... En versant une dernière larme sur l’Old England que tous les Parisiens aimaient...


1)
••• DE QUOI
S’AGIT-IL EXACTEMENT ?

Courant 2013, le groupe de distribution suisse Bucherer devrait ouvrir à Paris ce qui pourrait être (conditionnel parce que c’est contesté par un mégastore américain) « le plus grand magasin de montres du monde ». Ce magasin serait situé à l’emplacement actuel d’Old England (12, boulevard des Capucines) dans le quartier parisien de l’Opéra, à égale distance des grands magasins et de la place Vendôme. Cet emplacement commercial de 2 250 mètres carrés sur trois niveaux serait loué 4 millions d’euros par an au propriétaire des murs, le groupe de luxe Richemont, qui aurait payé les murs 70 millions d’euros à la Société foncière lyonnaise (ex-propriétaire des lieux). Toutes ces informations ont été révélées dès le 9 novembre dernier par Business Montres, avec d’intéressants compléments le 28 novembre (info n° 3) et les chiffres publiés le 25 novembre (info n° 4)...

••• On trouvera dans ce caravansérail horloger à peu près toutes les marques du groupe Richemont (Cartier, Piaget, Vacheron Constantin, Jaeger-LeCoultre, IWC, etc.) , mais aussi des grandes marques indépendantes (Rolex, Breitling, Chopard, etc.) et (ce n’est pas encore signé) quelques marques des groupes de luxe concurrents de Richemont (LVMH, Swatch Group) – au moins celles qui travaillent déjà avec le réseau Bucherer en Europe. Ces marques disposeraient chez Old England de shops in shop à la mesure de leurs ambitions, pour proposer aux clients des « univers » cohérents exprimant leurs codes identitaires...

••• Problème aujourd’hui non résolu, et que le groupe Bucherer a découvert grâce à Business Montres (9 décembre, info n° 2) : la façade d’Old England et son escalier intérieur sont « protégés » au titre des Monuments historiques, y compris le nom même d’« Old England » au-dessus des vitrines. Tous les travaux seront donc soumis à l’architecte officiel des Monuments historiques, qui interdira sans doute toutes les démonstrations commerciales extérieures et tous ces néons qui auraient pu attirer le chaland. Même Bucherer aura du mal à poser son enseigne, sinon à l’intérieur des vitrines...


2)
••• POURQUOI LE GROUPE RICHEMONT
A-T-IL DÉCIDÉ D’OUVRIR CE MÉGASTORE À PARIS ?

Le marché français n’a qu’un seul intérêt aux yeux des marques suisses de luxe horloger : la France est la première destination des touristes chinois en Europe. Le petit million de ces touristes ne font qu’un court séjour dans l’hexagone (trois nuits en moyenne), mais ils dépensent énormément (environ 1 300 euros par jour en moyenne) : on estime leur contribution globale au marché français du luxe à 600 millions d’euros. Les dépenses purement horlogères cumulées – très largement concentrées dans la capitale – seraient de l’ordre de 100 à 120 millions d’euros. L’essentiel de cette consommation était jusqu’ici principalement capté par les grands magasins (Le Printemps, Les Galeries Lafayette), qui ont mis en place des services très performants pour ces touristes (traduction, assistance, détaxe, etc.). Accessoirement, les détaillants des quartiers chics (Vendôme, Champs-Elysées, Montaigne) commençaient à profiter un peu de cette manne...

••• C’est donc bien cette clientèle des touristes chinois qu’il s’agissait de détourner au profit direct du groupe Richemont et de l’opérateur choisi par lui (Bucherer). Deux exemples : sachant que l’actuelle boutique Cartier des Galeries Lafayette est déjà la plus profitable d’Europe, alors qu’elle ne fait que quelques mètres carrés, quelle sera sa rentabilité quand Cartier disposera, chez Old England, d’un superbe shop in shop ? Sachant que le modeste espace Rolex des Galeries Lafayette, boulevard Hausmann, passe pour être le premier point de vente européen de la marque en rentabilité au mètre carré, quelle serait sa profitabilité dans un vrai shop in shop ? Rédhibitoire pour une clientèle européenne, l’idée d’un caravansérail horloger est encore plus séduisante pour des clients émergents. Le tout sera de pouvoir garer assez d’autocars devant Old England pour procurer à ces clients toujours très pressés des émotions fortes...


3)
••• COMMENT LE GROUPE RICHEMONT
EN EST-IL VENU À CHOISIR BUCHERER COMME OPÉRATEUR ?

En donnant la préférence au groupe suisse Bucherer, le groupe Richemont poursuivait un double objectif : empêcher Les Galeries Lafayette de grossir un peu plus (le groupe Galeries Lafayette-Louis Pion représente déjà 16 % de la distribution des montres en France) et miser sur un partenaire extérieur (non français) déjà très fort sur la clientèle asiatique. A Lucerne, première ville suisse pour le commerce des montres (et non Genève), Bucherer gère déjà une boutique 1 200 mètres carrés, avec une clientèle à 90 % asiatique (principalement chinoise) qui fait de ce point de vente le plus rentable du monde. Il s’agissait donc à la fois de brider un partenaire pour en muscler un autre : autrement dit, il fallait contenir les ambitions des Galeries Lafayette tout en faisant émerger un de ces concurrents, mis à Paris dans une situation de dépendance totale du groupe Richemont. Comme l’écrivait Business Montres (29 novembre), on se situe là dans une logique de gestion pondérale : on suscite de la faiblesse en distribuant de la puissance et on fait grossir les gros pour mieux les museler. C’est extrêmement bien vu de la part du groupe Richemont...

••• Il sera évidemment plus compliqué de gérer les nouvelles relations que cette « affaire Old England » va générer avec les partenaires habituels du groupe Richemont en France et en Europe. On imagine les réactions indignées de réseaux comme Wempe, Les Ambassadeurs ou Gubelin. On imagine aussi celles des grands détaillants indépendants de Paris, comme Dubail ou Arije, sans parler de celles des Galeries Lafayette ou du Printemps. Détail piquant : cette opération Richemont-Old England a déjà donné quelques idées à des réseaux asiatiques, qui sont aujourd’hui tentés de penser qu’ils seraient meilleurs pour gérer directement ce flux touristique horloger que les Français ou les Suisses alémaniques...

••• Le risque de déstabilisation de la distribution française est évident : il faudra bien dénicher, pour ce caravansérail horloger, des vendeurs un tant soit peu compétents et mandarinophones - ils sont rares à Paris -, il faudra bien trouver des montres à mettre en vitrine - les détaillants parisiens sont déjà très contingentés au profit des boutiques monomarques - et il faudra bien financer les budgets de communication qui seront alloués pour la création d’un nouveau trafic. Dans tous les cas, cela se fera au détriment d’une distribution parisienne déjà fragilisée...


4)
••• POURQUOI LA COMMUNICATION
DE CE DOSSIER OLD ENGLAND A-T-ELLE ÉTÉ AUSSI DÉSASTREUSE ?

A vrai dire, on ne comprend pas très bien pourquoi, ni comment les Pieds-Nickelés ont géré cette affaire ! Les premières rumeurs datent de la rentrée 2011. Ensuite, c’est une simple affaire d’enquête et de questions qui dérangent quand on se contenté de les poser. Entre autres, l’éclat de rire trop goguenard d’un Alain Dominique Perrin (Richemont), l’embarras visible d’un Albert Goldberg (propriétaire d’Old England, évincé par Richemont), l’accès brutal de toux d’un Jörg Baumann (CEO de Bucherer), la naïve candeur d’un Yves Meylan (directeur du retail chez Jaeger-LeCoultre), les joues qui s’empourprent de Florence Ollivier (Swatch Group France), le regard paniqué d’un Richard Lepeu (CEO de Richemont), la fausse jovialité brusquement contractée d’un Philippe Schaeffer (Rolex France), la morgue mouchée d’un André Uzan (Breitling France), les yeux soudain traqués d’un Bernard Fornas (Cartier), le sourire stupidement figé d’un Jean-François Aubert (Chopard France), et on en oublie : que d’expressions non-verbales très révélatrices à la simple évocation du mot « Old England » ! Merci à tous ceux qui ont involontairement participé à la rédaction du scénario final...

••• N’aurait-il pas été plus simple de dire toute la vérité tout de suite ? Le jour même où le groupe Bucherer informait son réseau de l’opération, le « Nous ne commentons pas les spéculations » du groupe Richemont restera dans les annales de la pire des communications possibles. Aujourd’hui encore, pas le moindre commentaire officiel du groupe Richemont à ce sujet ! Business Montres (9 novembre) a sans doute eu le tort de qualifier initialement de rumeur (simple précaution pour les lecteurs distraits) ce qui était présenté ensuite comme une information « non officielle et non autorisée » : mais qui a pu imaginer, au sein de l’état-major de Richemont, qu’une telle mutation radicale de l’écosystème horloger parisien allait passer inaperçue ?


5)
••• COMMENT JUSTIFIER
UN TEL COUP DE POIGNARD DANS LE DOS DES PARTENAIRES DÉTAILLANTS ?

C’est bien là que le bât blesse ! Plus on a voulu cacher aux « partenaires » détaillants le montage de cette opération, plus ils ont eu l’impression qu’on leur préparait un mauvais coup. Ce qui n’était pas forcément faux ! Sachant que tout était dans les tuyaux depuis la rentrée 2011, les récentes déclarations d’amour enflammées de certains CEO à leurs « meilleurs détaillants » paraissent soudain grinçantes et pavées de douteuses intentions. Autant on peut admettre le souci de maximiser les profits qui a conduit Richemont à se lancer dans l’aventure de ce mégastore, autant on se demande ce que cachait et ce que cache encore cette volonté de secret et de clandestinité. Y aurait-il encore pire ?

••• D’autant qu’il est aujourd’hui acquis que les autres groupes de luxe (notamment LVMH) préparent leurs propres caravansérails pour les cohortes de touristes venus d’Asie pour s’empiffrer de luxe parisien. Si rien ne justifie humainement un tel coup de poignard dans le dos, tout le légitime économiquement : les marques sont aujourd’hui assez filialisées et assez largement dotées d’un réseau étoffé de boutiques exclusives pour se passer à peu près complètement des détaillants indépendants. A moyen terme, même des marques comme Rolex, qui s’est toujours interdit cette stratégie, devraient en arrivera à créer leur propre réseau commercial et à profiter des marges qui vont avec. Les grandes marques et les groupes ont encore partiellement besoin de chaînes non intégrées – comme Bucherer – pour exister hors des grandes métropoles (villes du second tiers) ou auprès de niches de clientèles très ciblées, mais elles n’inscrivent plus leur avenir dans ce type de partenariat, qui a pourtant structuré l’offre horlogère au cours du XXe siècle. Pour les détaillants un tant soit peu lucides, il est évident, désormais, que les géants de l’horlogerie n’ont plus réellement besoin de leurs réseaux traditionnels de distribution : chacun aura compris que les fermetures de comptes allaient s’accélérer, les livraisons s’assécher et les bons vendeurs s’arracher. Ce qui annonce clairement que les relations avec les marques ne vont pas s’apaiser ! Morituri te salutant...

••• On expliquera tout ce gâchis par le fait que l’« horlogerie de papa » est bien morte, et bien loin le temps où une poignée de mains entre hommes suffisait. La valse des responsables au sein des grandes marques a ruiné l’équilibre d’un système qui reposait sur la confiance et sur des relations « familiales » durables : entre les petits bureaucrates carriéristes et les managers assoiffés de bonus, le tissu humain de l’horlogerie n’est plus ce qu’il était. Côté détaillants, rares sont les héritiers des maisons « classiques » qui sont réellement dignes d’en être aux commandes : ceux-là survivront – c’est à se demander si les autres ne méritaient pas d’être traités comme ils viennent de l’être...


6)
••• COMBIEN DE TEMPS POUR VÉRIFIER
LA VALIDITÉ D’UNE INITIATIVE COMME LA REPRISE D’OLD ENGLAND ?

Tout peut aller très vite, dans un sens ou dans l’autre ! Même si l’Europe économique échappait, l’année prochaine, à la récession qu’on lui promet et si le flux des touristes chinois ne se trouvait pas tari par une dépression de l’économie chinoise, il resterait à prouver que les autocars bourrés de touristes chinois affamés d’horlogerie suisse trouveront le temps de se garer devant un caravansérail où ils ne trouveront exclusivement que des montres – alors qu’ils trouveraient, à trois cent mètres de là, les mêmes montres, mais avec les parfums et les articles de mode qui font les bons cadeaux (sans parler des services bien rôdés bien en place dans ces grands magasins). Tout va donc se jouer sur les « rétro-commissions » reversées aux opérateurs de ces circuits touristiques pour faire une pause ici ou là. Plus ces commissions seront élevées, et la concurrence ne pourra que les alourdir, plus la rentabilité sera aléatoire pour le groupe Bucherer, qui n’a, de plus, aucune expérience de l’horlogerie parisienne et qui débarque là pour sauter, sans entraînement, du grand plongeoir...

••• Hypothèse contraire : celle d’une sévère dépression en Europe, et donc d’un ralentissement non moins sévère de la croissance chinoise. On verrait inévitablement se réduire à la fois le volume des touristes chinois et le volume de leurs achats touristiques, surtout si la Chine décidait, pour relancer la consommation intérieure, d’abaisser les actuelles taxes sur le luxe. Mécaniquement, des touristes moins nombreux et moins dépensiers se reporteraient sur des « articles de Paris » un peu moins chers, ce qui n’est pas vraiment le cas des montres. Les espoirs d’un rapide retour sur investissement s’éloigneraient, tant pour Richemont (qui ne prend guère de risques) que pour Bucherer (qui joue gros, et sans doute son indépendance « familiale », sur ce dossier parisien). D’autant qu’on imagine mal les amateurs français se précipiter chez Old England pour y faire leurs emplettes dans un décor pensé pour des acheteurs chinois avec des vendeuses chinoises...

••• Old England doit fermer ses portes le 31 mars, après 144 années de présence dans les mêmes murs. On aura d’ici là une idée plus précise de la tonalité économique de 2012 et donc des perspectives pour le début 2013, date de réouverture annoncée par Bucherer...



 



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