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Quand on décide de ne plus se contenter de l’« horlogerie de grand-papa » pour explorer de nouvelles voies en révolutionnant l’affichage de l’heure, il faut tout réinventer...
A commencer par le robot qui permettra de mettre au point ce nouvel affichage liquide de l’heure...
••• LA MONTRE ET L'ÉLÉMENT LIQUIDE
ONT TOUJOURS ÉTÉ DES ENNEMIS JURÉS,
MAIS L'EAU ET LE TEMPS ONT TOUJOURS FAIT BON MÉNAGE...
Il est probable que le nouveau concept HYT (Hydro Time) serait toujours dans les limbes s’il n’avait été développé qu'avec une équipe horlogère classique (concernant HYT : révélation Business Montres du 5 décembre, info n° 2, et complément du 12 décembre). Derrière Vincent Perriard, qui était chargé par les investisseurs de porter le projet sur la sphère médiatique, il fallait un chef de projet qui tienne la route : c’est un vétéran très respecté des « coulisses » de l’horlogerie qui a été choisi. Ancien du groupe Richemont (Cartier Joaillerie et Cartier Horlogerie), Bruno Moutarlier a également remis en ordre toute la production de la manufacture Audemars Piguet, légèrement déstabilisée quand il abandonnera ses fonctions de directeur industriel, en 2009. Un bon choix de l’actionnaire principal de HYT (le serial entrepreneur Patrick Berdoz, business angel très courtisé dans les milieux horlogers)...
••• AU DÉPART DE L’IDÉE « HYDRO-MÉCANIQUE », un simple prototype, dont le fonctionnement primaire prouvait qu’on pouvait éventuellement parvenir plus tard à quelque chose d’intéressant. Principe de base : indiquer l’heure avec de l’eau, ce qui s’est beaucoup fait depuis l’Antiquité, mais qui ne se fait plus depuis à peu près le XVIIIe siècle. On peut même dire que la montre moderne s’est construite contre l’eau, qu’elle a considéré jusqu’au XXIe siècle comme un ennemi mortel contre lequel il fallait à tout prix muscler son blindage pour préserver le mouvement. Dans cette horlogerie traditionnelle, pas question de mélanger la mécanique et le fluide - même s’il a pu exister, ici ou là, des montres qui « fonctionnaient » avec de l’eau...
2)
••• UN AFFICHEUR FLUIDIQUE POUR L'HEURE
ET DES RÉDUCTEURS FLUIDIQUES POUR GÉRER LA CIRCULATION DANS LES CAPILLAIRES...
Pour être précis, tout a commencé autour d’un lac, en Suisse (il y en a beaucoup), avec une équipe de copains qui se demandaient comment créer des clepsydres contemporaines, c’est-à-dire des « montres à eau ». Un de ces copains était Lucien Vouillamoz, ex-ingénieur en physique nucléaire et touche-à-tout créatif. C’est lui qui va passer de l'idée d'une clepsydre de poignet à une « heure fluidique », qui indiquerait le temps avec un liquide circulant dans des « capillaires ». Il imagine un système de réservoirs flexibles capables de faire circuler deux fluides de couleur différente dans un même système de « tuyauterie ». Pas évident, mais un prototype (proof of concept) était tout de même réalisé après une année de R&D – ce qui permettait de déposer le brevets et de se mettre en quête d’une équipe capable d’industrialiser tout ça...
••• INDUSTRIALISER, C’EST METTRE EN PLACE les conditions d’un développement réaliste, pour parvenir à une série de pièces finies, dans une logique de production en volumes significatifs. On sortait là de l’univers de la concept watch pour entrer dans celui de la série. Bruno Moutarlier allait s’imposer comme plaque tournante entre le concepteur de cet affichage fluidique, l’équipe horlogère chargé de greffer un mouvement sur ce concept (Jean-François Mojon, pour Chronode), le designer chargé de donner un style à la montre (Sébastien Perret, pour Etude de style) et le tourbillonnant Vincent Perriard, dont on se souviendra qu’il avait déjà tenté, du temps de Concord (c'était un développement BNB), une réserve de marche hydraulique. Beaucoup de monde, auquel on ajoutera l’équipe de conseil technique d’Helbling Technik (Berne), à laquelle on doit notamment tous les développements industriels pour l’univers Nespresso (le néo-café de luxe !). Quelque part dans la boucle, à l’origine de la rencontre entre Vincent Perriard et Patrick Berdoz, mais en retrait depuis la cristallisation du projet : Jean-François Ruchonnet (ex-Cabestan), aujourd’hui très occupé par le développement de son fascinant méga-trimaran CXL (Ultraluxum), dont il va faire une vitrine des nouvelles hautes technologies de la mer...
••• BON COURAGE POUR FAIRE COHABITER tout ce petit monde et en gérer les égos ! Mais le plus difficile va se révéler être l’établissement d’un dialogue intelligent entre horlogers et développeurs techniques non horlogers, qui travaillent dans des univers de référence parfaitement hétérogènes. Une fois la grammaire commune posée, le projet a pu avancer très vite, d’étape en étape, pour la mise en point de l’afficheur fluidique autant que pour celui des « pistons » (nommés réducteurs fluidiques) chargés de gérer la dynamique de ces fluides. L’expérience médicale de l’équipe Helbling a d’ailleurs été précieuse, l’industrie horlogère se révélant incapable de répondre aux demandes des animateurs de HYT, qui ont dû aller chercher hors d’Europe, chez certains fournisseurs de la NASA, les composants nécessaires.
••• DANS UN UNIVERS AUSSI NEUF QUE L’HYDRO-MÉCANIQUE, tout reste à étudier. Quelle quantité de liquide instiller dans les « capillaires » d’affichage, en veillant à garder assez de volume libre dans les soufflets pour prévoir la dilatation du fluide en fonction des températures ? Comment faire fonctionner un mouvement horloger « coupé en deux », sachant que la moitié « manquante » est occupé par les « soufflets » qui gèrent les fluides ? Pas évident pour des horlogers comme ceux de Chronode, pourtant rôdés aux complications les plus inattendues... Comment intégrer une chaîne hydraulique dans une chaîne mécanique et comment marier les deux logiques ? Vrai « chef d’orchestre », Bruno Moutarlier a défriché, coaché et mis en place une supply chain d’une étonnante maturité pour une star-up horlogère – la production 2013 est déjà planifiée et le SAV anticipé...
••• SYMBOLE DE CETTE EXPLORATION DE NOUVEAUX TERRITOIRES, la « machine » à remplir les capillaires (image ci-dessus), qu’il a fallu inventer de toutes pièces et qu’il faudra maintenant ajouter à la liste immémoriale des « outils horlogers ». Pour cause de « secret industriel », pas de détails techniques sur cet élément indispensable à la naissance de la première montre hybride fluido-mécanique. Précision Business Montres : les composants fluidiques sont réalisés par Preciflex, dont Lucien Vouillamoz est l’administrateur, |