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Splendeur et misères de l’euro
 
Le 28-12-2011

Billets et pièces de la monnaie unique sont en circulation depuis le 1er janvier 2002. Une décennie assombrie par la crise de la dette et les doutes sur la capacité de la zone euro à demeurer unie. Portrait d’une monnaie ambitieuse, confrontée à une défiance politique et populaire accrue

Donald Tusk a failli éclater de rire. Présent au Parlement européen de Strasbourg à la mi-décembre, pour la fin de sa présidence tournante de l’Union européenne, le premier ministre polonais a reçu d’un groupe d’eurodéputés souverainistes un cadeau empoisonné et symbolique: une brique de 50 000 euros, coupée en fines lamelles, empaquetée par la Banque centrale européenne.

Bien vu: le pavé de vieux billets déchiquetés, vendu 9,90 euros à la boutique du parlement, tombait pile ce 14 décembre. Après avoir lancé, le matin, un appel fort contre les «égoïsmes nationaux», le chef du gouvernement polonais a dû reconnaître que son pays ne rejoindrait sans doute pas aussi tôt que prévu la monnaie unique. Initialement envisagée pour 2009, puis repoussée il y a deux ans en 2015, l’entrée de la Pologne dans l’euro pourrait être encore plus tardive.

Dix ans, et un désamour persistant que la crise menace de transformer en lame de fond politique et populaire: l’euro, lancé sous forme de pièces et de billets en janvier 2002, ne ressemble plus guère à l’ambitieuse devise des débuts. «Nous voulions un aimant, nous avons fabriqué un carcan mal vécu», reconnaît un ancien haut responsable du Conseil européen, l’instance représentative des Vingt-Sept à Bruxelles.

Car l’euro, on le sait, a toujours été politique. La signature, le 7 février 1992, du Traité de Maastricht qui lui a donné naissance, n’était pas pour rien, alors, présenté comme le «deuxième acte fondamental de la construction européenne»: «Depuis dix ans, les ponts imprimés sur les billets relient les mythes aux réalités de l’Europe unie», reconnaît l’ancien commissaire européen Yves Thibault de Silguy, qui présida à son lancement.

Les actuelles réticences polonaises envers la monnaie unique, masquées par le désir affiché de Varsovie pour plus d’Europe, sont le fruit des circonstances. L’économie du pays, en croissance de près de 4% en 2010, risque de payer cher le ralentissement de ses voisins, à commencer par l’Allemagne. Résultat: trois Polonais sur quatre se disaient début décembre opposés à l’adoption de la monnaie unique. 22% des sondés seulement la réclamaient, dont 7% «fermement».

Les exemples des nouveaux pays membres entrés dans la zone euro ne sont, en plus, guère rassurants. L’Estonie, dernier admis au club le 1er janvier 2011, est le seul à tenir le coup, grâce à ses liens étroits avec la Finlande et son profilage high-tech. L’industrieuse Slovaquie, entrée le 1er janvier 2009, est à la peine, au point d’avoir failli bloquer le Fonds européen de stabilité financière, symbole d’une solidarité à laquelle 70% de sa population reste hostile. La Slovénie, entrée le 1er janvier 2007, est secouée depuis lors par une inflation nettement supérieure aux attentes, ayant atteint jusqu’à 6% en 2009.

Pire: l’euro, dix ans tout juste, est en partie désavoué par ceux qui l’ont porté sur les fonts baptismaux. Le plus amer est Jacques Delors. L’ancien président français de la Commission européenne (1985-1995), qui mit en œuvre l’Union économique et monétaire, déclare maintenant «ne pas être le père de cet euro-là», en accusant les gouvernements de ne pas avoir mis en œuvre sa proposition de pacte de coordination des politiques économiques, animé par la Commission. L’ultime chef de gouvernement en place à avoir négocié Maastricht, le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, parle pour sa part de la monnaie unique comme d’un virus, répétant que «toute la zone euro se retrouverait contaminée» si la Grèce fait défaut. Qu’ils le reconnaissent ou non, le doute taraude les pro-euro.

A l’inverse, le camp des anti fait recette. Des économistes vedettes pronostiquent la désintégration de la monnaie unique, tels les Américains Nouriel Roubini ou Paul Krugman. En Allemagne, certains ont même saisi la Cour constitutionnelle de Karlsruhe pour faire rejeter – en vain – le plan d’aide à la Grèce. En France, un courant libéral-critique, conduit par Christian Saint Etienne, donne de la voix. Des volées de bois vert légitimées par l’ancien patron du FMI Dominique Strauss-Kahn qui, pour sa première sortie internationale en Chine, vient de comparer la zone euro «à un radeau sur le point de sombrer»…

L’euro-bashing a d’autant plus le vent en poupe qu’il fait écho aux doutes populaires. Du moins en apparence. Mis au pied du mur, les sondés restent fidèles à la monnaie unique, à l’image de l’absence de panique aux guichets bancaires et du taux de change stable de la monnaie unique, à 1,30 euro pour un dollar en moyenne en 2011 contre 0,96 dix ans plus tôt. Interrogés par l’IFOP pour France Soir en février 2011, 78% des Français refusaient le retour au franc. Le problème est l’angoisse, comme le montrent les eurobaromètres, au niveau de l’UE. Au printemps 2011, 43% des ressortissants de la zone euro seulement – moins d’un sondé sur deux – voyaient la monnaie unique comme un rempart contre la crise. Un chiffre qui tombait à 29% hors zone euro. L’ambition monétaire est aussi revue à la baisse: à l’automne, l’euro n’arrivait qu’en seconde position des «succès européens» derrière la liberté de circulation, avec juste 38% d’opinions favorables au sein de la zone euro, et 21% en dehors.

Richard Werly, Bruxelles
LE TEMPS

 



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