|
A vrai dire, on attendait de la déclinaison « Digital Revolution » qu’elle soit aussi radicalement révolutionnaire que l’avait été, au début des années 2000, le lancement du magazine Revolution (Singapour).
Légère déception, sur laquelle s’explique franchement Wei Koh, le co-fondateur et directeur éditorial du groupe de presse Revolution...
1)
•••POURQUOI LE MAGAZINE REVOLUTION (ASIE)
A CHOISI D’ABORDER AUSSI PRUDEMMENT
LA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE...
C’était une actualité Business Montres du 4 janvier (info n° 4) : le magazine Revolution (édition Asie-Singapour) lance ce printemps son application numérique multi-tablettes (iPad, iPhone et autres). Ceux qui connaissent ce magazine savent à quel point il pèse son poids (de papier) et il s’impose par son épaisseur – mais aussi par ses contenus référents. On attendait donc un nouveau chef-d’œuvre des médias numériques, mais cette première version demeure plutôt classique. Ce qui mérite quelques explications de la part Wei Koh, un des plus sympathiques dynamiteros de la presse horlogère au début des années 2000 (image ci-dessus : le nouvel arbitre des élégances... numériques !)...
••• Il y a déjà plein d’autres versions numériques de magazines horlogers. On avait plutôt l’habitude de voir Revolution devancer tout le monde, et non de suivre le mouvement...
••• Wei Koh (Revolution Press) : Je crois que c’est Steve Jobs qui l’a démontré : être le premier n’est pas toujours un avantage ! Nous n’avons pas tenté d’inventer le magazine numérique, mais d’éviter les pièges où ont pu tomber les autres en faisant en sorte d’affiner notre approche pour créer un expériece ludique et conviviale.
J’ajoute que nous avons eu, ces dernières années, d’autres priorités, notamment celle d’avoir la couverture mondiale la plus complète pour un magazine horloger (papier), avec des licences-relais dans le monde entier, notamment en Suisse et en Chine, qui sont pour nous des éditions-clés. Ce résultat est maintenant atteint et personne ne peut contester notre succès...
« Plus important encore : nous avons préféré attendre que les tablettes iPad et Android soient suffisamment diffusées dans les pays anglophones pour créer une « masse critique » suffisante avant le lancement de notre édition numérique. C’est à la mode : on parle depuis des années de « numérique », mais pouvez-vous me citer un seul exemple de magazine dont la version numérique a éclipsé la version imprimée ?
Après avoir étudié le marché et les offres disponibles, je suis certain que nous proposons une déclinaison digitale nettement supérieure à celle des autres magazines horlogers : la version en ligne d’un de nos concurrents anglophones prend en moyenne 30 minutes pour être téléchargée (150 Mo) ! En utilisant les technologies déployées par Zinio, vous pouvez télécharger Digital Revolution en une minute. Leur version est payante (7,99 dollars), la nôtre est gratuite, alors que nous offrons le double de ce qu’ils proposent et que nos contenus sont plus originaux. Pour rassurer tout le monde, je précise que le numéro de mars sera nettement plus interactif que ce premier numéro...
••• Mais qu’est-ce qui est vraiment nouveau dans votre application et quelle est sa vraie valeur ajoutée numérique ?
••• Wei Koh (Revolution Press) : Cette année, au SIHH, vous pourrez rencontrer nos équipes vidéo, qui seront là pour interroger les différents patrons de marque sur leurs nouveautés 2012, avec beaucoup de créations dans la façon de présenter les montres (gros plans, ralentis). On va aussi innover pour montrer et faire entendre les répétitions minute et familiariser le public avec ces montres. Après chaque article de la version numérique, nos lecteurs pourrons facilement accéder aux vidéos correspondantes. L’idée est d’utiliser au maximum les facilités données par le numérique, en plaçant nos lecteurs face aux gens qui font les montres, avec tous les détails techniques nécessaires. Notre objectif reste le même : élever le niveau général d’éducation et de culture horlogères en ayant recours à tous les outils interactifs disponibles...
••• Pourquoi étiez-vous si pressés de lancer cette application, maintenant, avant d’avoir mis au point tous ces outils ?
••• Wei Koh (Revolution Press) : Chez Revolution, nous marchons à la passion. Les tablettes numériques tiennent aujourd’hui une telle place dans nos vies que nous avons voulu proposer une première expérience de magazine horloger digital digne de ce nom, en recrutant une équipe de vidéastes, de journalistes et d’artistes numériques dédiés à ce projet...
••• N’est-ce pas vous tirer une balle dans le pied que d’offrir gratuitement tous vos contenus, ce qui va mécaniquement réduire votre lectorat papier ?
••• Wei Koh (Revolution Press) : Je ne le pense pas. Notre wDigital Revolution a un objectif clair : créer le plus important lectorat du monde pour un magazine de lifestyle horloger. Dans ce but, nous supprimons les barrières entre les lecteurs (potentiels) et des contenus créatifs qui nous ont demandé beaucoup de temps, d’énergie et de ressources.
• Première barrière : plus d’attente ; en un clic, vous avez tout le magazine sur votre iPad (vitesse de téléchargement).
• Seconde barrière : le prix ; c’est gratuit ! Là, l’effet de la « révolution digitale » a été instantané : dès le premier jour, il a fallu rajouter de la bande passante sur le serveur hôte de Digital Revolution, qui était pris d’assaut. Nous sommes les best-sellers sur un site qui héberge tout de même Top Gear, Evo, Vogue ou Esquire. Tout ce qui nous intéresse, c’est de toucher avec « Revo Digital » un nouveau public, très différent de celui des collectionneurs de montres. Avec un vecteur numérique, nous touchons la nouvelle génération des digital natives, qui ont les moyens de s’acheter des montres mais qui ne sont pas encore des spécialistes.
Notre mission est de les convertir et de les transformer en futurs clients des marques d’horlogerie, pour accroître encore la popularité des montres mécaniques : c’est l’horizon stratégique de Revolution Digital. Pourquoi l’offrir gratuitement ? Pour la beauté du geste, parce que nous sommes des « évangélistes » et nous prêchons la beauté et les richesses de la montre mécanique, en souhaitant que notre discours, nos images et nos idées se propagent aussi loin que possible partout dans le monde...
••• Et ce qui va tout aussi mécaniquement réduire le nombre de vos annonceurs dans la version imprimée ?
••• Wei Koh (Revolution Press) : A mon avis, absolument pas ! Sur chacun de ses marchés, Revolution est dans le Top 3 des magazines horlogers, et le plus souvent (dans la majorité des pays) le leader. Regardez le numéro 1 de notre nouvelle édition de Revolution (Suisse) : jusqu’ici, aucun magazine horloger suisse n’avait osé une telle rétrospective sur les fondamentaux de la reconstruction de l’industrie horlogère mécanique en Suisse !
La version imprimée crée des émotions que ne véhicule pas la version numérique. Il y a des milliers de lecteurs qui collectionnent précieusement chacune de nos éditions de Revolution et de notre magazine de l’élégance masculine The Rake. Notre qualité de papier et d’impression reste supérieure à celle de tous les magazines de cette famille de produits, dont la plupart sont éphémères et conçus pour être lus, puis jetés. Nous avons voulu que nos magazines soient aussi durables et intemporels que les montres mécaniques dont ils parlent. Nos annonceurs ont la maturité nécessaire pour comprendre et respecter cet engagement...
••• En basculant dans la sphère numérique, votre motivation secrète ne serait-elle pas, plutôt, de réduire au maximum les coûts de papier, d’impression et de routage ?
••• Wei Koh (Revolution Press) : Ce n’est pas le cas, puisque nous allons continuer à investir et à innover dans nos éditions imprimées. Si vus prenez la peine de lire nos plus récentes livraisons, vous allez découvrir que nous avons dépensé plus que nous ne l’avions jamais fait sur la qualité. À titre personnel, nous aimons la presse magazine papier, qui sait maintenir un niveau de plaisirs émotionnels qu’il est vain de rechercher dans une version électronique, mais il y a un potentiel interactif que la tablette permet au-delà de tout ce dont on peut rêver avec un magazine papier ! Notre ambition est de maîtriser les deux supports...
••• À quand l’immersion totale dans une vraie expérience numérique avec Digital Revolution, et avec quels contenus innovants ?
••• Wei Koh (Revolution Press) : Pour l’instant, on ne peut télécharger que les n° 27 et n° 28 de notre édition Revolution Asie, avec juste quelques clics pour accéder à des vidéos embarquées. C’est juste un avant-goût de ce qui arrive, pas encore vraiment une version pleinement numérique et il n’y a pas de publicité à l’intérieur. En mars, avec le meilleur du SIHH, vous aurez droit à la première édition numérique vraiment digne de ce nom, et le titre sera « Revolution Digital Volume 1 ». Autant vous dire que les annonceurs ont parfaitement et massivement bien réagi à cette édition, qui sera pleine de vidéos et d’animations interactives, qu’on pourra retrouver sur la chaîne « Revodigital » (YouTube), avec des renvois qui permettront de ne pas alourdir la taille physique de l’édition numérique (ce qui risquerait de ralentir le téléchargement). Cette édition du mois de mars de « Revolution Digital Volume 1 » sera disponible sur Zinio, toujours en téléchargement gratuit, dès le mois de mars 2012...
2)
••• LE LANCEMENT DE « DIGITAL REVOLUTION » PEUT-IL
PORTER UN COUP MORTEL AUX MAGAZINES HORLOGERS TRADITIONNELS ?
Coup mortel sans doute pas, mais il peut leur donner un sacré coup de vieux, sachant que, de toute façon, les annonceurs n’auront pas les moyens de suivre en parallèle la presse numérique et la presse imprimée ! Il y aura donc, de la part des annonceurs, une sélection sévère dans les plans médias, avec, comme toujours, une prime aux leaders, qu’ils soient print ou numériques : c’est peut-être pour prendre position et verrouiller son territoire que Revolution a choisi de lancer dès janvier une application sans innovation majeure, mais qui a le mérite de constituer une tête de pont sur un champ de bataille que tout annonce hyper-stratégique...
••• ON NE VA PAS REFAIRE ICI LE MATCH qui oppose le papier à l’écran, mais on peut se contenter de lister quelques éléments-clés du dossier face à la proposition de cette application lancée par Revolution :
• Ce n’est pas une révolution rédactionnelle Business Montres du 4 janvier, info n° 4), même si le confort de lecture sur tablette est infiniment supérieur à la manipulation de l’épais magazine papier. Les contenus sont les mêmes, les images également (à peu de choses près), de même que la maquette...
• Ce n’est pas non plus une révolution numérique, puisqu’il faudra attendre la livraison de mars pour bénéficier d’une véritable interactivité et vérifier que la nouvelle rédaction digitale est vraiment décidée à utiliser au mieux la panoplie des outils numériques disponibles...
• C’est en revanche une révolution générationnelle pour toucher de nouvelles tranches de lectorat et sensibiliser la génération des digital natives aux belles montres. Les propos de Wei Koh démontrent qu’il a bien compris les enjeux de la situation : ce n’est pas Business Montres, qui parle souvent d’« horlo-évangélisme », qui le contredira ! La génération des premiers magazines horlogers, nés il y a vingt ans, a vieilli avec la première génération des amateurs de montres mécaniques. Les nouveaux concepts des années 2000 (Revolution, PlazaWatch et leurs épigones) ont renouvelé le genre sans le guérir ses défauts de jeunesse, notamment l’ultra-dépendance de la manne publicitaire et donc le conformisme des contenus. L’explosion d’Internet avait mis cette presse magazine à genoux : la multiplication des magazines digitaux ne peut que l’abattre un peu plus, jusqu’à la coucher à terre. Ne survivraient plus, dans ce cas, que les magazines papier capables de proposer à leurs lecteurs, des contenus attrayants et de véritables « expériences émotionnelles » à travers les textes, les images, le papier, le format, etc...
• Ce sera surtout une révolution éditoriale : on l’a dit et redit ici, la prochaine révolution des médias horlogers sera celle des contenus et ce sera une révolution culturelle pour réapprendre aux nouvelles générations les mystères, les gloires et les secrets des beaux-arts de la montre. On s’éloigne de la logique publicitaire (la marque, la montre) pour entrer dans une logique d’information et d’acculturation. Dans cette perspective, tous les outils numériques doivent être mobilisés pour que chacun puisse accéder, partout et à tout moment, aux informations nécessaires à ses passions et à son style de vie. Cette révolution des contenus n’a pas encore trouvé son expression : si « Revolution Digital Volume 1 » tient ses promesses, les éditeurs de magazines horlogers ont du souci à se faire...
|