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Autant l’avouer tout de suite : cette « Wonder Week » 2012 est plutôt très bien partie, avec beaucoup de réalisme dans l’optimisme (provisoire) des marques et beaucoup de savoir-faire, sinon de séduction, dans leurs propositions.
Pour ce premier jour du SIHH 2012, sachant qu’on reviendra ultérieurement sur certaines pièces importantes, le franc-tireur a notamment repéré...
1)
••• LA PLUS FANTASTIQUE MACHINE MÉCANIQUE DE L’ANNÉE : hors SIHH, elle est signée par TAG Heuer, qui a pris l’habitude de venir à Genève, pendant la « Wonder Week » pour nous faire des annonces tonitruantes. Cette fois, après le Mikrograph au centième de seconde (2010) et le Mikrotimer au millième de seconde (2011), voici le Mikrogirder au deux-millième de seconde ! Après la montre sans spiral (Pendulum de 2010) et la montre sans balancier (Mikrotimer Flying 1000 de 2011), voici la montre sans spiral, ni balancier, calée sur la fréquence hallucinante de 1 000 Hz, soit 7,2 millions d’alternances par heure. Ce « premier pas vers la précision ultime » est bien le bond « de la planète Mars vers la planète Saturne » dont parlait Business Montres (12 décembre) : on était bien, comme nous avions pu le déduire d’un certain nombre d’informations, dans un chronographe au deux millièmes de seconde et dans l’ultra-chronographie annoncée le 11 janvier (info n° 2). De même, on voit confirmée notre hypothèse du 11 janvier à propos d’une prochaine « certification chronographique » (et non plus chronométrique), avec un étalonnage des vitesses chrnographiques pouvant atteindre le millionième de seconde ! Les 1 000 Hz de ce Mikrogirder sont déjà dépassés expérimentalement, avec des vitesses qui frôlent les 3 000 Hz pour certaines pièces de laboratoire.
••• On reviendra plus tard sur l’abandon, après trois siècles de bons et loyaux services, du « modèle Huygens » (Christiaan, inventeur du spiral en 1675) qui sert de base à toute l’horlogerie, au profit du « modèle d’Alembert » (Jean le Rond, mathématicien spécialiste des équations différentielles et de l’équation des cordes vibrantes). Reste cette merveilleuse machine mécanique (image ci-dessus), qui paraît être la plus rapide de toutes celles que l’homme a jamais pu inventer, avec son aiguille des secondes qui tourne comme une hélice à plein régime (20 tours de cadran par seconde !), son oscillateur linéaire, ses « poutres vibrantes » dessinées comme des bielles un peu graciles, son « ancre » (un bien grand mot !) baptisée Beta Ti, son affichage central à trois aiguilles, sa double fréquence et ses dix brevets. Il semble même que ce « générateur d’émotions fortes » – quo non ascendam ? – soit infiniment moins gourmand en énergie qu’un échappement classique, qu’il soit certifiable (il le sera), particulièrement lisible et relativement facilement à industrialiser (si les poutres sont relativement simples, elles sont néanmoins d’une précision d’usinage inouïe).
••• Toujours pionnière, la marque TAG Heuer a repoussé la barre très haut, dix à vingt fois plus haut que les performances de ses premiers compétiteurs : si on ne voit pas trop la nécessité de chronographier quoi que ce soit au 2 000e de seconde (5/10 000e de seconde, ça fait plus chic), cette fantastique avancée relance la course aux mécaniques alternatives et non-huygensiennes – comme il y a des mécaniques non-euclidiennes ! « Time for Rebels », nous affirme TAG Heuer : l’horlogerie est un perpétuel défi à l’ordre établi, mais c’est dur de reparler de « simples » montres après une telle commotion mécanique (pour se détendre, une vidéo à découvrir sur la chaîne images de Business Montres)...
2)
••• LE PARTAGE ET LA TRANSMISSION SELON ROBERT, STEPHEN ET PHILIPPE : ce sont les nouveaux évangélistes des beaux-arts de la montre ! Ils viennent de créer ensemble « Le garde temps, naissance de la montre », une périphrase pudique pour habiller une initiative horlogère de première importance destinée à « sauvegarder, perpétuer et transmettre le savoir-faire horloger ». Avec le soutien de Robert Greubel et Stephen Forsey, le maître-horloger Philippe Dufour (encore un « trésor vivant » helvétique, pas forcément reconnu à sa vraie valeur) va former un « élève » qui est, en l’occurance, un... professeur d’horlogerie, Michel Boulanger ! Ce dernier aura pour défi, avec le soutien de ses trois mentors, de réaliser à la main – donc à l’ancienne, sans machine à commandes numériques – une montre complète en quelques exemplaires (un tourbillon manuel à trois aiguilles). Par la suite, l’« élève » se fera à son tour maître et transmettra le savoir-faire ainsi acquis. D’autres horlogers de tradition pourraient venir s’ajouter à cette initiative, qui exprime à la fois la passion de ses organisateurs pour leur métier et leur inquiétude pour la dissipation des techniques traditionnelles faute de passation des connaissances entre générations.
••• Une initiative sur laquelle Business Montres reviendra plus longuement : n’est-ce pas ici qu’on ne cesse de répéter que, pour l’horlogerie, les années 2010 seront celles de la « révolution culturelle » et du réapprentissage par le public des amateurs de ces connaissances techniques et artisanales aujourd’hui occultées par le règne des marques et les dérives marchandes...
3)
••• LE BANISSEMENT DES DRAGONS CHEZ PIAGET : pas le moindre dragon volant dans les vitrines de Piaget, ni le moindre phénix dansant, et pas davantage dans les tiroirs des espaces de vente. On a proprement escamoté toute trace de cette collection spéciale « Nouvel An chinois », déjà présentée aux larges masses asiatiques, mais manifestement interdites de cité à Genève (on peut néanmoins les découvrir grâce à la vidéo disponible sur la chaîne images de Business Montres). Quels crimes pour mériter un tel châtiment, alors que ces montres délicatement sculptées étaient probablement le plus bel hommage jamais rendu à la culture chinoise par l’horlogerie suisse ? Cachez ces dragons du sein de ma haute horlogerie ! On espère qu’il ne s’agit pas d’une pudeur mal placée – surtout dans un SIHH où tous les présidents prennent la précaution – ignorée auparavant – de préciser que leurs montres sont conçues pour « tous les publics évolués » et destinées « au monde entier », et non aux voraces amateurs d’une seule aire culturelle...
4)
••• LE NOUVEAU RÉGIME MINCEUR DE PHILIPPE LEOPOLD-METZGER : heureusement, chez Piaget, quand on n’a pas de dragons, on a des idées ! Notamment celles de bétonner le territoire naturel de sa manufacture mécanique, l’ultra-plat, avec une nouvelle Altiplano squelette ultra-mince, qui est – grâce à son micro-rotor – le mouvement automatique squelette le plus plat du monde (2,40 mm). De quoi produire des montres automatiques particulièrement élégantes (5,34 mm d’épaisseur en 38 mm), avec une squelettage très contemporain et très « horloger » dans la découpe de ses ponts et par les lignes de son architecture. En fait, Piaget réinvente le style des mouvements squelette, pour accentuer encore l’idée de légèreté et de transparence affirmée par la montre.
5)
••• LE RETOUR SUR TERRE DE RALPH LAUREN : on a ici assez chargé la barque à propos de l’irréalisme de Ralph Lauren (Business Montres) pour ne pas apprécier les efforts de la marque pour revenir (non sans courage) à un approche moins fantaisiste des réalités du marché horloger. Manifestement, on s’est mis à l’écoute du terrain et des praticiens de la distribution. Les nouveautés 2012 ont été repensées avec un design élégant qui fait la différence sans cesser de rester classique (collection 867), alors que les prix ont été nettement revus à la baisse pour la collection Stirrup (étrier). La collection Sporting, qui louchait trop fort du côté de haute horlogerie élégante, a été restylé dans un style « militaire » vraiment sportif (chronographe en céramique ou RL 67 Safari en acier « canon de fusil) qui devrait pas déplaire aux baroudeurs qui s’habillent dans les flagships de la marque. Bref, Ralph Lauren s’offre une chance de recoller au peloton des grandes marques d’horlogerie issue de la « couture » – au sens large. Que manque-t-il aujourd’hui aux montres Ralph Lauren pour devenir vraiment convaincantes ? Pas grand-chose, ou si peu : un peu moins de fétichisme pour les mouvements « manufacture » que facturent au prix de l’or les grandes manufactures du groupe Richemont (ce qui renchérit les prix) et probablement un peu plus de conviction dans l’affirmation des ambitions de la marque dans le concert horloger. Une chance à saisir : l’actuel défiance qui gagne les grands détaillants vis-à-vis des « grandes marques » intégrées dans les groupes de luxe, dont les exigences sont de plus en plus « impérialistes » : fausse marque du groupe Richemont, Ralph Lauren écrit de plus en plus son avenir en caractères indépendants. Beaucoup de détaillants y voient une alternative intéressante...
6)
••• UNE « LANGE » QUI RESSEMBLE À UNE AUTRE « LANGE », qui ressemble à une troisième « Lange » qui ressemble à une quatrième« Lange »... Bon, d’accord, il faut que les marques aient le souci de leur identité et réaffirment aussi souvent qu’elles le peuvent les valeurs dont elles sont porteuses. Néanmoins, un minimum d’originalité esthétique est de rigueur, mais, à Glashütte en Saxe, on doit confondre évolution et révolution. On se prend au sérieux avec une absence de sens de l’humour assez terrifiante ! La nouvelle Lange 1 Tourbillon Calendrier perpétuel est l’addition de deux complications qui existaient déjà indépendamment. Intéressant, certes, avec un calendrier mensuel circulaire (jamais vu dans l’horlogerie ?) et quelques réglages simplifiés, mais le « style saxon » – déjà légèrement démodé et passablement monotone – ne gagne pas vraiment à la nouvelle lisibilité dont se flatte cette montre automatique. C’est bien, c’est beau et c’est bon, mais qu’est-ce que c’est ennuyeux ! On entend déjà les hurlements indignés de la secte langienne, dérangés en pleine génuflexion...
7)
••• LA POURPRE IMPÉRIALE ROMAINE POUR YVAN ARPA : non, le créateur des montres Artya (« pièces uniques » artistiques dans un goût volontiers provocateur) n’est pa devenu mégalomane ! Il a simplement succombé au charme des murex, ces coquillages marins qui fournissaient la « pourpre de Tyr » (ou pourpre impériale), couleur des étoffes de luxe de l’Antiquité, qu’on réservait au pouvoir impérial. Ces murex sont toujours récoltés : il faut en broyer 12 000 (coquilles et chairs) pour extraire 1,5 g de teinture. Pas besoin d’autant de matière colorante pour un cadran Artya, d’autant qu’Yvan Arpa sème ses cadrans de fragments de feuille d’or ! Parmi les autres créations Artya de ce début d’année - elles sont visibles au Kempinski, à la boutique Maverick : des cadrans taillés dans des lames damassées de kriss malais, des sertissages précieux, mais un peu bizarres ou des bracelets en crapaud doré (c’est plus chic quand on parle de Rana Bufo, le crapaud-buffle). Toujours cette logique des matériaux « non nobles » que leur usage horloger ennoblit : on se souviendra ici du « caca de dinosaure » pétrifié (coprolithe) dont il avait fait un magistral cadran - une de ces montres à cadran paléo-coprolithique s’est vendue 120 000 dollars aux enchères...
8)
••• LES COUPS (DE FEU) TIRÉS PAR LES CLIENTS D’ARTYA : vous voulez une des montres de la série « Son of a gun » lancée par Artya, avec des vrais cartouches en guise de cadran et des culots de .38 spécial pour décorer la masse oscillante ? Pas de souci ! Vous pouvez même aller jusqu’à tirer vos propres cartouches, qui seront ainsi intégrées dans la montre ! Le plus simple : les tirer dans le propre canapé d’Yvan Arpa, qui vous livrera la montre dans les trois jours, mais il réserve cette pratique à ses meilleurs clients – ceux qui vivent à l’est de l’ancien rideau de fer...
9)
••• LA RÉFÉRENCE À « BUSINESS MONTRES » DANS LE « NEW YORK TIMES » : comme ça n’arrive pas tous les jours, autant le noter. Le New York Times cite longuement Business Montres dans un article consacré au Grand Prix d’Horlogerie de Genève et à sa quête d’une nouvelle crédibilité. Les arguments exposés sont bien connus des lecteurs de Business Montres : inutile donc d’y revenir. Maintenant, ils sont connus par des millions de lecteurs : qui s’en plaindra ? |