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« WANTED » : BEAT HALDIMANN…
On recherche un vrai horloger, générateur d’émotions, en pleine possession de ses moyens, économe de ses effets quoique prodigue de ses talents.
Forte gratification pour ceux qui auront la chance de croiser son chemin (c'est un furtif) ou d’admirer un de ses montres (elles sont toutes sur liste d'attente, et pour longtemps)…
1)
••• ENCORE UN DE CES « TRÉSORS VIVANTS »
DONT LA SUISSE EST SI RICHE ET SI PEU SOUCIEUSE…
Pourquoi parler aujourd’hui de Beat Haldimann, le placide géant du lac de Thoune, qui est probablement le maître-horloger le plus discret – mais pas le moins doué, loin de là ! – de sa génération ? Un solide gaillard, qui a deux inconvénients aux yeux du conformisme suisse horloger... D’abord, il est Suisse alémanique – et on sait, sans savoir pourquoi, qu’il ne n’y a de bonne horlogerie que romande : un préjugé tenace, alors que le réinvestissement alémanique (notamment zurichois) dans l’horlogerie sera sans doute une tendance lourde dans les années à venir. Ensuite, parce que Beat Haldimann est totalement dépourvu de ces « qualités » de batteur d’estrade qui font aujourd’hui les réputations horlogères. Son bon regard, caché derrière de fines lunettes, et sa modestie naturelle sont totalement étanches aux passions éditoriales du mundillo horloger : ce garçon est à l’épreuve des balles médiatiques, des modes contemporaines et même des crises économiques…
••• DÉJÀ, POUR TROUVER SON ATELIER, IL FAUT LE VOULOIR ! Aux portes de l’Oberland bernois, le lac de Thoune (Thun sur les panneaux routiers locaux) est un joyau des paysages suisses, mais il est réservé aux initiés : quoiqu’il y ait un casino à Thoune, vous n’y croiserez ni Chinois, ni Français. Les Suisses se réservent ce genre de station pour eux seuls – et on les comprend. Après le casino de Thoune, prenez la première à gauche : vous serez tout de suite à la Villa Nussbühl, au n° 2 de la Riestrasse. Là, préparez-vous à une immersion totale dans une autre planète montres, une sorte d’alter-horlogerie pratiquée dans une sorte de faille temporelle, loin des manufactures clinquantes, des âcres remugles de l’huile des robots d’usinage, des « salles blanches » et de la poudre aux yeux de ceux qui font croire à leurs actionnaires qu’il n’y a de belle horlogerie que dans le marbre des palais et de salut que dans les machines robotisées…
••• AU FAIT, C’EST ÇA, LA RÉPONSE À LA QUESTION INITIALE : si on parle aujourd’hui de Beat Haldimann, c’est qu’il vient d’éditer, comme il le fait de temps en temps, un petit volume, un opuscule - on ne dira pas un Opus pour ne pas fâcher nos amis d’Harry Winston -, un manifeste, un livre donc – mais certainement pas un catalogue, ni un booklet corporate. Ceux qui verraient pas la nuance peuvent cesser la lecture de cet article : la suite ne devrait que très médiocrement les intéresser. Donc, un vrai petit ouvrage, avec un vrai papier, une reliure en vraie toile, gaufrée d’une phases de lune, un emboîtage cartonné, des vraies images en noir et blanc (quelques rares touches de couleur, comme déjà patinées par le temps) et des textes qui tiennent la route dans une typographie choisie – hélas bilingue anglais-allemand - qui se souvient encore que le français est la langue officielle de l’horlogerie ? Certainement pas les Suisses romands, si prompts à l’anglo-sino-russo-italo ou américanophonie ! -…
2)
••• LE TITRE « HALDIMANN HORLOGERIE » TRADUIT
UNE ÉVIDENCE GÉO-HISTORIQUE ANCRÉE AU COEUR DE LA CULTURE SUISSE...
Haldimann, avec un H comme horlogerie... Ce n’est pas pour enrichir son égo, mais parce que, chez Haldimann, la tradition familiale et la fierté du nom remontent à 1642 : Ulrich et Hans Haldimann, le père et le fils, sont agréés comme horlogers à Horben. Près de trois siècles auparavant, le sceau de Heinrich Haldemann, conseiller de Winterthur, est déjà apposé sur des chartes de 1374 – autant dire à l’aube de l’histoire helvétique, dont le cœur historique bat tout près d’ici. Beat, lui, est né en 1964 et il espère qu’un de ses trois enfants reprendra le flambeau de cette lignée horlogère dont les maillons s’enchaînent depuis trois siècles et demi…
••• « NOBLESSE OBLIGE », et les horlogers ont toujours été les aristocrates de l’économie suisse : tous les cadrans qui portent, depuis des siècles, le nom d’Haldimann créent une sorte de devoir à Beat Haldimann, de même que les paysages de l’Oberland bernois qu’on admire devant ses fenêtres lui apportent la profondeur historique, sinon géo-culturelle, qui inspire les traditions de la montre. Ce maître-horloger n’est pas là pour « faire des montres », mais pour créer des « objets du temps » qu’il sait rendre aussi fascinants que l’étaient les mécaniques ajustées par ses ancêtres. C’est en cela qu’il est générateur d’émotions en même temps que réémetteur de traditions. Dans ce sillage, ce livre permettra de découvrir le double tourbillon central (H2 Résonance) et de mieux comprendre le simple tourbillon central – y compris celui qui ne donne même plus l’heure, pour centrer la fascination sur la cage en rotation sur elle-même. Conceptuel ? Sans doute, mais sans forfanterie, avec une légèreté revendiquée comme un élégant hommage aux beaux-arts de la montre…
•••TOUJOURS GRÂCE AU LIVRE, ON PEUT JETER UN REGARD RAPIDE sur la manufacture de Beat Haldimann. « Manufacture », vraiment ? Oui, mais sans la moindre concession aux commandes informatisées. Ce n’est rien de dire que tout se fait ici à la main. Tout, vraiment tout. Pas un outil qui n’ait été consacré par la tradition : énergisé peut-être, mais toujours piloté et asservi à la main du maître-horloger et de ses élèves. Ce livre est une leçon d’horlogerie mécanique, pré-industrielle quoique techniquement très compliquée et pré-numérique quoique diaboliquement subtile dans ses équations et son ultra-précision micrométrique. C’est surtout la démonstration qu’une autre horlogerie est possible dès qu’on s’adresse à des amateurs initiés à la culture horlogère : il n’y a pas que le retour sur investissement dans la vie et on peut prospérer sans flagship sur le Bund de Shanghai ! Ne le répétez pas aux actionnaires, mais les riches amateurs asiatiques font le pèlerinage à Thoune pour supplier qu’on veuille bien accepter leurs commandes : comme hier les empereurs chinois de la Cité interdite, ils ne veulent que le meilleur – et pas les pacotilles marchandes que les trafiquants internationaux veulent leur refiler…
••• N’ALLEZ CEPENDANT PAS CROIRE qu’il s’agit là d’une forme de « digitophobie ». Pour découvrir ces montres et l’univers haldimannien, il suffit de visiter le site d’Haldimann Horology : six montres et trois régulateurs de parquet, c’est ce qu’on peut appeler une offre « ramassée » ! D’autant qu’elle est aussi consistante que cohérente. C’est également sur ce site qu’on peut se procurer le livre dont il est question ici. Une dernière précision à propos de ce « trésor vivant » de l’horlogerie contemporaine, dont la Suisse ne compte qu’une poignée de représentants - on pense ici à Philippe Dufour et à quelques autres - : si on devait lui trouver un dernier défaut, c’est probablement de ne pas être éligible à l’exploitation publicitaire. Ses montres sont réservées plusieurs années à l’avance : il n’a donc pas besoin des commerciaux de la presse magazine plus ou moins spécialisée – ce qui peut expliquer son manque de « visibilité » sur la scène horlogère. En revanche, c’est ce même sentiment d’injustice collective à l’égard d’un « trésor vivant » tel que Beat Haldimann qui avait justifié son invitation à la « Watch Gallery » que Business Montres avait organisé et mis en place, à Baselworld, en 2009, pour fédérer sous le chapiteau du Palace une riposte à la crise des créateurs indépendants…
••• ON COMPREND MIEUX POURQUOI cet homme est « dangereux » ! Il est le témoin vivant, prospère et recherché d’une nouvelle perspective pour l’horlogerie suisse : l’hyper-exclusivité dans l’ultra-qualité. Il est l’incarnation du précieux flambeau qu’on se passe, au bord des lacs et dans les vallées, de génération en génération, depuis cinq siècles. Certes, s’il n’y avait que des Haldimann, l’industrie ne pourrait pas survivre : il ne s’agit donc passer de casser tous les outils industriels pour faire éclore des dizaines de milliers d’ateliers artisanaux, mais de s’inspirer du regard qu’il pose sur le devenir horloger pour en déduire quelques règles inaliénables de légitimité et d’authenticité. On peut toujours débaucher des experts suisses du marketing horloger, on peut toujours recruter les meilleurs designers de montres du marché suisse, on peut évidemment acheter les machines suisses et les ingénieurs qui vont avec, mais on ne pourra jamais copier, imiter, ni surtout surpasser cette « culture » intimement pétrie d’histoire, de paysages incomparables et d'humanité profonde. L’œil et la main d’un « trésor vivant », son savoir-faire et son ingéniosité, son style personnel et son goût du travail bien fini : voilà autant d'armes de création massive capables de redonner un avantage stratégique à l’horlogerie européenne... |