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Basé à Hong Kong depuis des années, Clément Brunet-Moret y conseille plusieurs grandes marques suisses.
Ancien du groupe Richemont et ex-CEO (malheureux) lors de la tentative de relance de la manufacture Favre-Leuba, il nous dévoile les codes à respecter pour aborder ce marché stratégique et tenter d’y tirer son épingle du jeu...
••• SPLENDEURS ET MISÈRES DES MARQUES SUISSES
QUI SE LANCENT SUR LE MARCHÉ CHINOIS DE LA MONTRE...
Beaucoup de lecteurs de Business Montres apprécient, une fois expatriés outremer, des nouvelles fraîches (et libres) en provenance d’Europe. Ils aiment ces actualités chargées de l'air frais des vallées horlogères et cette atmosphère parisienne qu’ils veulent bien reconnaître dans le Quotidien des Montres. C’est notamment le cas des « expat' » européens de Hong Kong, qui s’amusent également des échos de la Chine qu’ils retrouvent dans ces colonnes. L’un d’entre eux, Clément Brunet-Moret, a voulu nous en dire plus sur son expérience « chinoise ». Ancien du groupe Richemont (Cartier Inde, Cartier Hong Kong), ex-responsable de Mauboussin Asie (Desco Hong Kong), puis CEO de Favre-Leuba pendant la tentative de renaissance lancée par le groupe espagnol Valentin, il anime à présent Aspac Distribution (Hong Kong), une société de services spécialisée dans le marketing et la distribution des marques de montres en Asie (image ci-dessus : sur son terrain de manoeuvres). Autant dire qu’il est au premier rang pour comprendre et anticiper les évolutions du marché chinois de la montre. Et donc très bien placé pour répondre à quelques questions élémentaires sur les perspectives de la montre en Chine...
1)
••• La Chine est-elle cet Eldorado qu’on nous dépeint ?
••• Clément Brunet-Moret : Sans hésitation, oui ! D’un point de vue macro-économique, c’est un marché énorme qui se développe très rapidement. Les chiffres sont connus: 1,3 milliard de personnes, c’est-à-dire plus de quatre fois la population américaine et plus de dix fois la population japonaise, avec une croissance annuelle de l’ordre de 9 % par an. Culturellement, les Chinois sont attirés par le luxe : on le vérifie avec leur histoire. C’est un marché qui est entrain de reprendre une place très importante dans la consommation des produits de luxe. Une place que la Chine occupait d’ailleurs au XIXe siècle et pendant la première partie du XXe siècle. A l’époque, les Chinois étaient déjà de grands amateurs de luxe : à peu près toutes les grandes marques historiques commerçaient avec les Chinois, alors même qu’il était très difficile de se rendre en Chine avec les moyens de transport existants ! Quand on compare le nombre de montres suisses vendues au cours de ces dix dernières années aux probables 300 millions de clients à équiper dans les cinq ans qui viennent, on ne peut être qu’optimiste sur les perspectives du marché chinois. A terme, le marche du luxe chinois devrait représenter cinq fois celui du luxe au Japon...
2)
••• Tout le monde veut aller en Chine, mais tout le monde s’y perd : comment y gagner de l’argent ?
••• Clément Brunet-Moret : Il y a beaucoup de manières d’en perdre ! Tout mettre en consignation, investir dans le marketing sans avoir un contrôle direct des opérations, ignorer les demandes de son distributeur, ne rien vendre et devoir quitter la Chine après un an ou deux ans de galère... Etc...
3)
••• Mais, alors, qui y gagne vraiment de l’argent ?
••• Clément Brunet-Moret : Dans l’ordre, le groupe Swatch, le groupe Richemont, Rolex… Le succès de marques comme Omega et Longines est impressionnant. Cartier a également fait un excellent travail. A noter que Rolex ne semble pas être leader sur son segment de marché, mais que les ouvertures de points de vente s’accélèrent pour combler ce retard. Patek Philippe dispose d’une image exceptionnelle, car une « Patek » reste un luxe ultime pour beaucoup de Chinois...
4)
••• Quelles sont les vraies clés du succès ?
••• Clément Brunet-Moret : Fondamentalement, la bonne stratégie en Chine, c’est d’être impliqué directement : soit en y allant directement, soit en soutenant son distributeur avec une équipe sur place. Donc, quelques principes :
• Avoir de bons produits...
• Avoir un concept de marque clair et fort...
• Avoir une stratégie spécifique pour la Chine...
• Savoir investir tout en contrôlant...
• Privilégier une implication directe de la marque sur le marche...
Une présence sur le terrain est nécessaire, avec une équipe sur place : encore trop de marques pensent que, pour réussir en Chine, il faut trouver le bon distributeur. Trouver un distributeur n’est jamais que le debut de l’histoire : c’est là que ça commence vraiment. Et c’est après qu’il faut investir, développer et contrôler. Le distributeur n’est qu’une partie de la solution : on voit d’ailleurs des marques qui ont un distributeur ne pas faire d’étincelles ! Le problème vient très souvent des différences entre les attentes de la marque (en terme de développement d’image et de chiffre) et les attentes du distributeur (qui, bien souvent, ne veut pas prendre de risques et veut gagner de l‘argent immédiatement). On entend souvent le distributeurs dire à la marque que leurs produits ne se vendent pas assez bien. Ce à quoi la marque rétorque que le distributeur ne commande pas assez pour permettre a la marque d’accroître son soutien...
5)
••• Les boutiques monomarques servent-elles à quelque chose ?
••• Clément Brunet-Moret : Sur un marché vierge, il faut « éduquer » les clients. Les boutiques sont donc l’écrin parfait pour présenter les produits et la marque dans les meilleures conditions....
6)
••• Les nouvelles marques indépendantes ont-elles leur chances sur ce marché émergent ?
••• Clément Brunet-Moret : L’accès à ce marché est très compliqué pour les marques indépendantes. Nous n’en sommes encore qu’au commencement, avec un marche en phase de développement. Les acteurs locaux préfèrent se focaliser sur des marques faciles à vendre et génératrices de volumes. Cependant, comme partout ailleurs, plus le marché va devenir mature et plus les acteurs vont rechercher des ventes additionnelles, donc se tourner vers les niches. Certaines villes connaissent déjà ce type de processus comme Shenyang, Dalian ou Beijing et Shanghai, bien entendu ? Pour les marques indépendantes, il est important de commencer en Chine dès que possible, car il faut du temps pour que les clients cibles acceptent une nouvelle marque. De plus, l’accès au marché, au lieu de devenir de plus en plus facile, devient au contraire de plus en plus difficile !
7)
••• Un bon exemple de stratégie gagnante ? Et de stratégie perdante ?
••• Clément Brunet-Moret : Omega, Longines et Cartier, bien sûr, mais aussi des marques de taille plus modestes, mais qui ont pris les bonnes décisions. Je pense notamment à Frederique Constant et à Movado. Deux exemples très différents dans leur approches, mais deux succès à leur échelle. Frederique Constant va cependant peut-être devoir gérer très prochainement l’après-Hengdeli – ce qui ne va pas être évident...
Côté stratégies perdantes, il y en a malheureusement beaucoup ! Ceux qui ont fait confiance à des distributeurs historiques, mais mal implantés en Chine, ou encore ceux qui ont fait confiance à des gens qui avaient les bonnes « connexions » et les fonds, mais pas l’expérience….
8)
••• Les Chinois aiment les marques, les montres ou l’étiquette de leurs prix ?
••• Clément Brunet-Moret : Tout dépend de quel client chinois on parle… Il n’y a pas un marché chinois, mais plusieurs. Les motivations d’achat ne sont pas les mêmes pour un client régulier de Shanghai, qui devient collectionneur, et pour le manager d’une banque locale, à Yingkou (ville moyenne de la province du Liaoning), qui va s’acheter sa Longines pour faire comme tout le monde... Comprendre et réussir en Chine, c’est aussi ne pas se tromper de cible ! Il est facile d’ouvrir partout, mais difficile d’ouvrir aux bons endroits. Il faut faire un tri sélectif en fonction du positionnement et de la stratégie : c’est le travail de la marque et de son équipe locale, qui doivent opérer un contrôle très strict dans ce domaine...
9)
••• Faut-il perdre de son âme pour gagner de l’argent en Chine ?
••• Clément Brunet-Moret : Certainement pas ! Il faut être a l’écoute du marché en développant une stratégie adaptée aux spécificités chinoises sans pour autant perdre son identité, car ce serait un échec assuré. Un bon exemple dans ce domaine, c’est TAG Heuer. Après avoir investi lourdement en communication pendant plusieurs années, les ventes ne progressaient pas comme elles auraient dû le faire. Remontées du marché : les montres de sport, ce n’est pas vraiment ce qui marche le mieux en Chine, où il vaut mieux avoir une offre « classique ». Au début, TAG Heuer n’a pas voulu modifier son offre produits, mais, après quelques années, il fallait bien faire quelque chose pour que faire décoller le marché chinois. La marque a donc commencé à introduire des produits plus classiques et mieux adaptés. Les résultats ne se sont pas fait attendre, car TAG Heuer avait déjà investi sur la notoriété de la marque. Tout cela s’est fait de façon douce et plutôt intelligente : la marque n’y a probablement pas perdu son âme...
10)
••• « The place to be », c’est vraiment Hong Kong ?
••• Clément Brunet-Moret : Opérer a Hong Kong devient problématique tellement les coûts ont explosé. L ‘idéal, c’est d’y avoir un boutique pour démontrer la force de la marque auprès des consommateurs, mais aussi pour convaincre les détaillants chinois que la marque a les moyens d’investir. Zenith a récemment accepté de payer plus de 130 000 euros par mois pour une boutique a Causeway Bay : il faut en vendre des montres pour atteindre ne serait ce que le break-even. Heureusement pour eux, une partie de l’investissement est prélevée sur leur budget de communication...
••• Clément Brunet-Moret (ASPAC Distribution) : +852 9643 3183 (101 Nathan Road, TST, KLN, Hong Kong, China). E-mail : cbm@aspac.com.hk
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