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On ne le répétera jamais assez : l’histoire de l'horlogère n’est jamais définitivement écrite...
Il ne faut pas craindre de réviser en permanence nos connaissances...
Par pur plaisir intellectuel, une belle trouvaille de Joseph Flores, le « Sherlock Holmes » de l’horlogerie ancienne...
••• C'EST COMME
L'OEUF DE CHRISTOPHE COLOMB
(IL SUFFISAIT D'Y PENSER)...
On connaît de Joseph Flores ses études – techniquement irréprochables – sur les (montres) Perpétuelles à roue de rencontre (disponible chez l’auteur), livre dont les connaissances lui ont permis de réécrire, de façon définitive et quasiment imparable, l’histoire des montres automatiques. Ses recherches l’ont mené à réévaluer le rôle d’un horloger comme le Liégeois Hubert Sarton, dont il fait – document incontesté à l’appui, le vrai « inventeur » des montres automatiques à rotor – assez bizarrement attribuées, sans preuve historique probante et au détriment de toute évidence technico-horlogère, à Abraham Louis Perrelet...
••• On connaît moins, hormis une poignée d’aficionados, le travail de recherche historique effectué en profondeur par Joseph Flores (prix Gaia 1998), sur la base de connaissances en horlogerie mécanique absolument irremplaçables et surtout uniques chez les historiens de la montre. C’est pourquoi chacune de ses livraisons d’Horlogerie ancienne (revue de l’AFAHA, Association française des amateurs d’horlogerie ancienne) est une fête pour l’esprit et un régal pour les neurones. On devrait trouver, dans un prochain exemplaire, une de ses dernières découvertes, mais on ne résiste pas au plaisir de vous la livrer tout de suite, sans attendre...
••• Le musée d’horlogerie des Monts (le Locle) présente ainsi une montre largement documentée dans tous les livres d’histoire – par exemple, à la page 184 du très récent La montre à remontage automatique de Jean-Claude Sabrier (éditions Cercle d’Art, 2011). Sa devise, gravée sur la platine arrière, « Non Plus Ultra », nous est dépeinte par Jean-Claude Sabrier comme « relativement courante sur les montres à remontage automatique les plus anciennes, produites dans la région du Locle, dans les années 1770-1775 ». L'historien ajoute qu’« elle n’est pas signée de manière apparente, mais porte sous le cadran la signature de “A.L. Perrelet“ ». Ce qui ne veut d’ailleurs pas dire grand-chose, les signatures retrouvées sous bon nombre de cadrans ne correspondant en rien aux signataires ou aux créateurs des montres concernées, mais passons...
••• Ce qui est amusant, avec cette pièce de poche, c’est qu’elle est généralement décrite comme une montre « perpétuelle » (on dirait aujourd’hui « automatique ») dont la masse oscillante pivotée sur la périphérie de la platine est gravée « DHF » (image ci-dessus : en haut – 1). Ce « DHF » en lettres gothiques – régulièrement présenté comme tel – a intrigué Joseph Flores, notamment les point gravés entre les lettres, mais en hauteur. C’est alors qu’il a eu l’idée de retourner l’image de 180° : les lettres gothiques « M.C. » sont apparues, parfaitement reconnaissables, avec des points entre les lettres comme il convient pour des initiales gravées (image ci-dessus : au centre – 2). C’est comme l’œuf de Christophe Colomb : il suffisait d’y penser. Le problème des commentateurs de seconde main, c'est qu'ils ne pensent pas à grand-chose...
••• Ce « renversement dialectique » va cependant beaucoup plus loin... C'est là que l'expertise technique d'un Joseph Flores, vrai Sherlock Holmes de la montre ancienne, prend tout son sel. « M.C. », d’accord, mais quoi de plus ? On peut imaginer que ce sont les initiales de l’horloger qui a travaillé sur cette pièce, ou de celui qui l’a commercialisée, ou même de l’acheteur de la montre - encore que ce soit l’hypothèse la moins probable. On sait que l’« attribution à A. L. Perrelet » sur la seule foi de ce qui est gravé au dos du cadran est d’autant moins crédible qu’on ne peut y trouver le moindre lien entre ce qu'on sait de Perrelet et les autres parties de la montre (système de remontage, mouvement, style, etc.). Il se trouve, en revanche, qu’on connaît beaucoup d’autres mouvements de ce type, avec une masse pivotée latéralement, notamment une montre « perpétuelle » à masse oscillante en platine, dont le cadran porte la mention « Meuron & Comp. » (horloger bien connu de la région du Locle à la fin du XVIIIe siècle).
••• Le « M.C. » pourrait donc bien être la même signature « Meuron & Cie », stylisée en lettres gothiques sur la masse oscillante, comme cela se pratiquait souvent à l’époque. Dans La montre à remontage automatique, Jean-Claude Sabrier présente cette montre du musée des Monts – côté « DHF » – sans la commenter, mais en compagnie de nombreuses pièces comparables, dont celle qui porte le cadran « Meuron & Cie » (page 186)...
••• Abraham Louis Perrelet (lequel ? Il y en avait tant au Locle !) a décidément le dos large : dès qu’on ne sait pas à qui attribuer une montre, c’est pour lui ! Le flou qui entoure son existence autorise toutes les affirmations. La vérité est ailleurs, comme toujours ! Si on examine attentivement la montre « M.C. » - comment douter de la logique de ces initiales, et donc de son attribution à « Meuron & Cie » ? - ou les autres montres de cette famille, on ne peut qu’être frappé par la ressemblance de ces calibres avec le croquis qu’on trouve sur le brevet de montre perpétuelle déposé par Louis Recordon le 18 mars 1780 (image ci-dessus : en bas – 3). Brevet qui est le premier jamais déposé pour une montre « perpétuelle » : la présentation de la montre d’Hubert Sarton à l’Académie des sciences de Paris, en 1778, n’est pas un brevet, quoique le croquis exhumé par Joseph Flores (révélation Business Montres du 16 janvier 2010) soit, à ce jour, le document technico-mécanique le plus anciennement attesté à propos des montres automatiques. Les historiens de l’horlogerie admettent cependant que Louis Recordon, qui était très proche d’Abraham Louis Breguet, a toutes les chances d’avoir été inspiré, pour ce brevet, par les tentatives dans le même sens du grand Breguet lui-)même...
••• Moralité : encore une attribution fautive à ce pauvre Perrelet, qui n’en demandait probablement pas tant ! Et encore une réécriture à opérer dans les manuels d’histoire horlogère. Notre Sherlock Holmes de l'histoire des montres a encore frappé : « Élémentaire, mon cher Watson ! » Un tant soit peu de bon sens - l’idée de retourner la montre ou l’image pour y voir de nouvelles initiales - et un minimum d’expertise technique ont ainsi permis de rendre à César (Recordon) ce qui lui appartenait et de corriger une légende pieusement copiée-collée par les commentateurs successifs. Les origines précises de la première montre à remontage automatique restent aussi mystérieuses que controversées qu'avant, mais la vérité avance. Lentement, trop lentement parfois... |