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On l’avait un peu cavalièrement qualifiée de « dame de fer » !

En fait, elle serait plutôt forgée dans le platine, tellement elle est « blindée » : c’est aujourd’hui la femme la plus influente de toute l’horlogerie mondiale...

Par ses réseaux et grâce au combinat qu'elle vient de monter dans la distribution des montres, elle a pratiquement un droit de vie et de mort sur l’horlogerie suisse.

1)
••• UNE DRÔLE DE DAME QUI A LE DOIGT
DANS TOUS LES POTS DE CONFITURE FINANCIÈRE DE LA GRANDE CHINE...

La redoutable (et redoutée) « Mrs Chu », Chu Li Yuet Wah pour l’état-civil chinois, Pollyanna Chu pour son nom de guerre occidental, a l’oreille de tous les milliardaires hongkongais, autant dire de quelques-unes des plus grandes fortunes mondiales. Officiellement CEO de Kingston Financial (conglomérat actif dans les casinos, l’hôtellerie et le négoce alimentaire), elle a monté le véhicule d’investissement Bee Bright pour racheter, avec l’autorisation des autorités boursières de Hong Kong, 100 % du réseau Sincere Watch (lui-même coté à Hong Kong). Montant de la transaction : autour de 300 millions de dollars singapouriens, soit 215 millions de francs suisses (estimation Business Montres du 27 février, non officielle et non autorisée). Le fonds Bee Bright est immatriculé aux îles Vierges.

••• ON RETROUVE LE SOURIRE DE « Mrs CHU », qui a été formé au management à York (Royaume-Uni) et aux Etats-Unis, dans de nombreux réseaux horlogers et péri-horlogers en Asie. Business Montres a souligné sa proximité avec la famille qui tient l’empire Chow Tai Fook et avec Zhang Yuping, le patron du conglomérat Hengdeli. On pourrait tout aussi bien y ajouter un poids lourd comme Albert Yeung (réseau Emperor) et d’autres encore, sans oublier les indispensables connexions avec les réseaux LVMH en Asie (L Capital), les institutions économiques locales et les inévitables relations dans l’appareil politico-administratif chinois. Elle est, par exemple, un membre très influent de la CCPPC : Conférence consultative politique du peuple chinois, sorte de « chambre haute » en prise directe sur le Parti communiste chinois et les autorités de Beijing. Elle est aussi présidente d’honneur de la Fédération des femmes de Hong Kong...



2)
••• UN PION STRATÉGIQUE DE LA HAUTE NOMENKLATURA
CAPITALO-COMMUNISTE DES RÉSEAUX D’AFFAIRES CHINOIS...

Autant dire que notre autoritaire « dame de platine » baigne mieux que personne dans la haute nomenklatura capitalo-communiste, là où se décident les stratégies affairistes les plus profitables, les plus complexes et les plus inattendues. Elle a des doigt dans tous les pots de confiture – et il y en a beaucoup sur place et dans la nouvelle Chine ! Cette proximité avec le Parti communiste lui a d’ailleurs permis d’échapper à un certain nombre d’incidents relatés par la presse britannique lors du rachat des footballeurs de Birmingham (source : The Sun). C’est dans le cercle très restreint de la haute finance hongkongaise et auprès des grands requins d’affaires qu’elle fait régner la loi et l’ordre : L Capital Asie (LVMH) n’avait aucune envie de « sortir » de Sincere et aurait même volontiers accru sa participation (qui était de 26,7 %), mais ses responsables ont cédé à la volonté impérieuse de « Mrs Chu », qui voulait 100 %. Mais ce ne sera peut-être pas sans compensations ultérieures dans le macro-réseau qui est en train de se mettre en place autour d’Hengdeli. Sans les « diables occidentaux » pour surveiller les opérations...

••• C’EST APPAREMMENT CETTE MÊME MYSTÉRIEUSE « Mrs CHU » qui a piloté tout le projet Sincere-Hengdeli, de reprise en main (chinoise) de la distribution des montres de luxe en Asie. Les Chinois sont fondamentalement des commerçants :ils se soucient peu des marques, de leur image, de leur branding et des égos de leurs dirigeants ! Ils n’apprécient que le business et le chant du tiroir-caisse, le soir au fond des boutiques. Puisque les groupes et les marques occidentales se mêlent de créer leurs propres boutiques, l’opération Hengdeli-Sincere apparaît comme une riposte stratégique pour imposer un nouveau rapport de forces sur les marchés asiatiques. Il n’est pas exclu sur la consolidation se poursuive au-delà du périmètre actuel : pour Albert Yeung (Emperor), l’horlogerie est un domaine marginal, bien moins excitant que les petites actrices des sit-coms hongkongaises. Chow Tai Fook préfère les diamants aux montres. Racheter quelques réseaux parallèles et concurrents – à Singapour, à Hong Kong, en Malaisie – ne devrait plus poser de problème pour mettre en place un de ces conglomérats dont les Chinois ont le secret – en toute opacité, bien entendu...


3)
••• DES PETITS ARRANGEMENTS ENTRE AMIS POUR VERROUILLER
EN TOUTE OPACITÉ LE MARCHÉ DE LA DISTIBUTION DES MONTRES DE LUXE EN ASIE...

La Bourse de Honk Kong n’y a vu que du feu et n’y a trouvé rien à redire : elle devrait accepter avant la fin de cette semaine que Sincere Watch reste une société cotée à Hong Kong (seuls 25 % du groupe l’étaient), comme elle l’avait accepté lors du rachat par Peace Mark et lors du réachat par Liam Wee Tay, L Capital et les banques créancières de Peace Mark. Comme le signalait dès le 23 février la page Facebook de Business Montres, « ça branle dans les bambous » ! Les grandes manœuvres ont commencé pour verrouiller entre compères – certains diront pour affermer entre complices – l’immense territoire de la distribution des montres en Asie...

••• C’EST CE QUE LES EUROPÉENS N’ONT PAS ENCORE COMPRIS : ils pensaient faire la loi sur le marché chinois, devenu pour eux si stratégique qu'ils y jouent la pérennité de leur marque et l'avenir de toute l'industrie horlogère suisse. Ils ont voulu reprendre la main trop tôt en développant leurs propres réseaux de boutiques et en organisant leur propre distribution. Les coûts d’accès au marché ont explosé : dépenser plus pour vendre plus ! Même les analystes financiers commencent à le comprendre et à s’en inquiéter : face à ces dépenses d’exploitation en hausse vertigineuse, les marges s’érodent tellement que la profitabilité des groupes cotés baisse dangereusement. Se découvrir trop tôt : erreur majeure de tactique vis-à-vis de joueurs de go, qui ont comme atout supplémentaires la connaissance du terrain, le décodage du tissu relationnel, le sens des petits arrangements entre amis et le goût de la prédation. ..

••• LES CONSOMMATEURS CHINOIS ADORENT LES MONTRES, c'est certain, mais rien ne garantit qu’ils voudront toujours les mêmes modèles des mêmes marques dans les mêmes boutiques. A tout moment, le gouvernement peut changer les règles du jeu (taxes locales, règlements d’urbanisme, code des affaires, néo-nationalisme économique). Il peut réorienter les flux commerciaux en faveur des « copains » et des « coquins » de la nomenklatura post-communiste. La charmante « Mrs Chu » a désormais le pouvoir d'ouvrir et de femer le robinet. Ses relations politiques au plus haut niveau lui donne un pouvoir sans contrepoids sur un marché essentiel pour la survie de l'industrie horlogère suisse. Ses connexions économiques lui permettent toutes les ambitions sur ce terrain de la distribution horlogère. Elle a la maîtrise de l'agenda, des flux financiers et du cadrage administratif. Aux Occidentaux, les galères de budgets qui explosent. Aux partenaires locaux, les facilités commerciales. L’enfer (des autres) est pavé des mauvaises intentions qu'on a pu y semer : et si l’Asie devenait un guêpier après avoir été un Eldorado ?

••• AVEC QUELQUES JOURS DE RETARD SUR BUSINESS MONTRES (27 février), la presse singapourienne découvre enfin cette transaction Sincere Watch-Bee Bright (The Business Times de ce matin), même si le volet Hengdeli – ultra-stratégique et décisif, mais confidentiel – n'est en rien évoqué. C’est l'avantage de nos lecteurs d’être informés à l’avance et plus complètement que les autres ! Et c'est leur intéret de voir l’actualité des montres mise en perspective et décryptée à la lumière des intérêts à long terme de toute l'industrie : les résultats ronflants de groupes pour 2011 ne doivent pas masquer les sérieux nuages noirs qui apparaissent à l’horizon...