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À la belle époque, c’était une grande symphonie orchestrale (en Blum majeur).
Ensuite, on a tout essayé, du groupe alternatif glam-rock (style LVMH) au concert de vuvuzelas (l’initiative football de MGI).
On en est maintenant à la petite musique de nuit, dont on espère tous qu’elle ne se terminera pas en requiem...
Faut-il croire à l’avenir d’Ebel ?
Quelles seraient les voies de son (re)devenir ?
1)
••• UNE DESCENTE AUX ENFERS STABILISÉE
AU BORD DU GOUFFRE PAR UNE « LOVE STORY » AVEC LA FAMILLE GRINBERG...
Ebel voudrait bien faire de sa cent-unième année une sorte d’An 1 de sa relance. Depuis une quinzaine d’années, on nous a tellement fait le coup de la « renaissance d’Ebel » et de la marque qui a enfin « tourné la page » qu’on a de bonnes raisons d’être méfiants. Ce qui ne veut pas dire sceptiques ou désabusés...
••• Au chevet d’Ebel, on a tout essayé ! Ou presque... Mais toujours sans trouver de recette réellement convaincante. Difficile d’être et d’avoir été : dans ce domaine, Pierre-Alain Blum avait été très loin ! La chronique horlogère doit à l’héritier des fondateurs de la marque la première boutique de montres place Vendôme et (peut-être) la première boutique horlogère monomarque, ainsi que la pratique systématisée du marketing réseaux – certains diront que c’était de la « poudre aux yeux », mais quelles fêtes ! – et du sponsoring sportif tous azimuts. Avec le recul, on réalise que cette explosion d’Ebel tenait plus du culturisme que du branding : gros biceps et petit QI. L’abus des hormones de croissance se termine toujours par des aberrations génétiques. Ebel post-PAB (Pierre-Alain Blum) n’a pas échappé à cette malédiction...
••• Commencée sous Investcorp (Sandro Arabian), la descente aux enfers d’Ebel s’est poursuivie sous LVMH, qui n’a jamais bien compris cette marque et qui a perdu quelques grosses poignées de millions dans cette déculottée. La débâcle a été stabilisée, au bord du gouffre, par le groupe MGI (Movado International) d’Efraim Grinberg, dont la famille avait une love story très ancienne avec Ebel. C’est ainsi qu’on a vu revenir les Architectes du Temps, bêtement mis au chômage technique alors qu’ils pouvaient faire gagner du temps à la marque. Brillamment pensée, la stratégie football n’était plus dimensionnée pour la dynamique essoufflée de la marque – Hublot en profitera avec un opportunisme conquérant.
••• La crise de 2008-2009 a sévèrement taclé une maison comme Ebel, prise à contre-pied en pleine réorganisation et sans avoir achevé sa mue. L’échec commercial du renouveau de Concord – marque asphyxiée par le galop créatif d’un Vincent Perriard – est loin d’avoir été digéré. Il a fallu quitter le berceau historique de La Chaux-de-Fonds pour Bienne, où MGI regroupera bientôt tout son état-major dans une nouvelle tour au-dessus de la Poste : symbolique, mais poignant ! Il a fallu revendre un « bijou de famille » comme le calibre mécanique 137 (acquis par Ulysse Nardin), ce qui expose Ebel au risque de pénurie de mouvements. Les anciennes équipes ont été décapitées ou ont raccroché d’elles-mêmes les gants. En dépit des assurances formelles, on redoute toujours le pire pour la Villa Turque. Que de signaux inquiétants !
2)
••• LA DERNIÈRE POIGNÉE DE CARTOUCHES SERA TIRÉE
CET AUTOMNE, EN MISANT TOUT SUR UN INTELLIGENT MARKETING DE NICHE...
Bien entendu, la décadence fait parfois bourgeonner de bonnes idées, mais elles se font rares ! La stratégie BTR (« Back to the roots ») imaginée par Marc Michel-Amadry était parfaitement légitime, mais il lui manquait quelques arguments sonnants et trébuchants pour passer l’obstacle dans un univers horloger masculin hyper-concurrencé. De même, l’écoute des marchés a révélé ce qui n’avait pas été perçu par LVMH : la profonde, durable et très enracinée identité féminine d’Ebel, ce qui nous a valu le retour de la Classic Wave – quelques dames ont versé une larme nostalgique – et qui permet aujourd’hui de refonder quelques espoirs sur la relance de 2012 (les montres masculines ne représentent qu’un petit quart des ventes Ebel). Cette « identité féminine » est de toute façon un des seuls derniers actifs de la marque : autant l’instituer comme pivot d’une reconquête des marchés ...
••• Baselworld verra donc le lancement d’une nouvelle ligne de montres féminines, avec autant de modestie que d’ambitions. Modestie stylistique qui préfère jouer dans le registre d’une séduction discrète plutôt que dans le glamour hyper-maquillé, grassement serti et médiatiquement surjoué. Cette nouvelle discrétion d’Ebel tient-elle d’un caractère génétique hérité ou d’un acquis conjoncturel suscité par bien des déconvenues ? Sans doute un peu des deux : elle correspond à la fois aux « petits moyens » de la marque et au profil de sa nouvelle équipe dirigeante. Grand professionnel de la montre, Loek Oprinsen (l’ancien co-prince d’Ebel-Concord, devenu seul CEO après le départ de Marc Michel-Amadry) n’est pas un tonitruant, ni un hâbleur : naturellement et courtoisement porté sur lunderstatement, il se méfie des effets de manche et on ne l’imagine pas en « promo » bruyante sous les sunlights et sur les tréteaux. De son côté, Efraim Grinberg, l’actionnaire (président du groupe MGI), n’est pas, lui non plus, une popstar de la montre : il a un tel amour pour la marque Ebel qu’il est prêt à lui céder tous ses caprices pourvu qu’elle ne fasse plus de bêtises et qu’elle arrête de jeter son bonnet par-dessus les moulins...
••• Donc, 2012 en mode mineur, presque en sourdine et en toute discrétion, avec un marketing de niche lui aussi sans la moindre ostentation. Ce qui ne veut pas dire banalisation ! Au contraire, tous les efforts vont se trouver concentrés sur cette nouvelle collection féminine, dans une sorte de quitte ou double : si le marché ne réagit pas bien, on court à la catastrophe – parce tout, vraiment tout, aura été tenté ! Si les détaillants y croient ou commencent à y croire, le mix marketing intelligent et séduisant de cette nouvelle collection peut recréer, pour Ebel, un terreau fertile de reconnaissance générationnelle...
••• Efraim Grinberg a parfaitement perçu les dangers, mais aussi les lacunes, de la verticalisation des réseaux par les groupes et les grandes marques. S’il a été tenté, pendant un temps, par le retail (en ouvrant une quarantaine de boutiques aux Etats-Unis, aujourd’hui revendues), il a aussi compris que cette « retailisation » à marche forcée libérait, chez les derniers indépendants de la distribution, de vastes espaces : pour survivre, ces professionnels doivent impérativement compenser avec de nouvelles marques le chiffre perdu avec les groupes. Donc, grandes manœuvres en direction de ces réseaux traditionnels, pour lesquels on a construit une offre de « niche », stratégiquement bien travaillée en termes de style, de prix et de communication. Loek Oprinsen et son actionnaire ont du métier commercial et du flair marketing : ça se voit !
••• Éléments simplifiés d’analyse : les marques et les griffes de mode plafonnent passés quelques centaines de dollars (francs, euros, peu importe). Les grandes marques « féminines » sont aspirées vers le haut par la joaillerie : à quelques exceptions près (Chanel, Dior ou Cartier pour l’entrée de leur gamme), elles se sont insensiblement dépositionnées de l’entrée du « luxe accessible ». Entre mode et glamour, il y a un espace « naturel » dans lequel Ebel voudrait s’ébattre (image ci-dessus : la nouvelle mini-Brasilia, mignonnette, séduisante et sans prétentions, à l'image de la nouvelle image voulue par Ebel)...
••• La petite sœur des Classic, des Brasilia et des Beluga sera donc présentée dans son berceau à Bâle. L’offre a été pensée pour les marchés traditionnels et pour les clientes de ces marchés : on ne cible pas le flux des touristes chinoises, mais les nouvelles consommatrices des marchés matures, en s’appuyant sur une sélection bien pensée de détaillants locaux, qu’on aidera par des campagnes de promotion ultra-ciblées à large spectre holistique (360° print, digital et nouveaux réseaux). L’idée est d’auto-alimenter un cycle vertueux et profitable de ventes, en donnant aux détaillants des armes pour survivre face à la pression des groupes qui les étranglent. Moins de détaillants, plus de chiffre d’affaires par point de vente : de quoi enclencher une réputation « commerciale » qui manque à Ebel. On sait que les détaillants sont sensibles à ce « bouche-à-oreilles » positif autour d’un best-seller et qu’ils volent toujours au devant la victoire...
3)
••• UNE TENTATIVE DE PERCÉE SUR LE TERRAIN
DE L'ANTI-BLING-BLING ET D'UN NOUVEAU RAPPORT ÉGO-LUDIQUE AU LUXE...
Question de moyens, le marketing sera lui aussi modeste, ce qui ne veut pas dire minable ou indigent : Efraim Grinberg a prépositionné quelques budgets consistants pour atteindre la masse critique sur quelques marchés-clés (Etat-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, Suisse et Proche-Orient). Ce sera un marketing d’acupuncture sociétale : des aiguilles posées au bon endroit et au bon moment, là où elles peuvent stimuler les méridiens commerciaux (les détaillants) et exciter les méridiens générationnels (les nouvelles femmes qui peuvent succomber au nouveau message d’Ebel). On reste dans la séduction douce plus que dans la drague appuyée, avec une offre consistante en termes de design, un bon rapport qualité-prix et un appel subliminal à l’intelligence de cette nouvelle génération de femmes actives – celles qui ne veulent pas se laisser aveugler comme des papillons de nuit par tout ce qui brille (en plus, l’anti-bling ou le post-bling sont une tendance lourde).
••• Lancement des opérations à la rentrée 2012, qui sera donc l’automne de tous les dangers pour Ebel, qui va devoir démontrer la sincérité de son approche du marché, la légitimité de son storytelling et sa capacité à recréer des montres must have face aux hyperpuissances qui quadrillent le marché et les médias. Le pari n’est pas gagné d’avance, mais Efraim Grinberg a bien pensé son coup. Sur le papier, ça tient la route. Surtout : miser sur les réseaux occidentaux évite la dépendance stratégique d’un marché chinois qui semble bien devoir s’étouffer dans les mois qui viennent (on sait que ls coûts d’ccès au marché y deviennent rédhibitoires)....
••• Au bénéfice du doute, et par empathie pour une marque familière dans le grand horizon des maisons suisses de référence, on peut donc répondre plutôt positivement à la question initiale sur l’avenir d’Ebel : oui, il y a encore quelques raisons d’y croire, mais il n’y a plus beaucoup d’allumettes dans la boîte et les ténèbres sont profondes...
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