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Suite, mais pas fin, du grand Monopoly horloger…
Avec un groupe d'amis investisseurs, Georges-Henri Meylan, l’ancien patron d'Audemars Piguet, rachète Hautlence.
Leur idée est de créer une plateforme au service des marques indépendantes.
Naissance d'un futur poids lourd sur le marché des re-créateurs de la montre et des nouveaux machinateurs de mécaniques horlogères ?
1)
••• UNE STRATÉGIE D’AGRÉGATION
DE MARQUES INDÉPENDANTES
POUR PESER PLUS LOURDEMENT
SUR UN MARCHÉ DEVENU TRÈS SÉLECTIF…
La crise financière de la fin des années 2000 aura été fatale aux ambitions d’Hautlence, marque indépendante et créative, née dans la première moitié de cette décennie et développée dans la seconde moitié, grâce au soutien apportée à l'époque par une poignée d’investisseurs privés qui croyaient au rêve de Guillaume Têtu et Renaud de Retz. Après plusieurs tentatives de relance et de remise en ordre de la maison, après le départ de son co-fondateur Renaud de Retz, ces actionnaires ont fini par jeter l’éponge et par rendre les clés à Guillaume Têtu, qui n’avait plus guère le choix. Il a donc ménagé la transition avec un discret groupe d'investisseurs, dont le plus connu est Georges-Henri Meylan, récemment libéré de ses obligations managériales chez Audemars Piguet et désormais soucieux d’entamer un parcours indépendant sur les grands chemins d’une horlogerie internationale qu’il connaît sur le bout des doigts.
••• Avec ses copains, Georges-Henri Meylan a donc racheté la totalité du capital (et la totalité du passif), pour un montant symbolique qui prouve que les investisseurs initiaux ont préféré s’effacer totalement derrière leurs illusions perdues. L’horlogerie est un univers impitoyable, surtout pour les non-initiés qui pourraient croire que les leçons et les recettes des autres métiers y sont facilement exportables, ou même exploitables…
••• Pour Hautlence, c’est un nouveau départ – encore un ! Les dettes les plus urgentes vont être épongées. Guillaume Têtu reste aux commandes d’une maison qu’il tenait à bout de bras depuis des mois, sans budgets, ni moyens, à la seule force de sa conviction que la marque pouvait s’en tirer. Les fournisseurs, qui tiraient la langue depuis trop longtemps, seront sans doute rassurés par cette arrivée d’un familier du métier comme co-actionnaire de référence.
••• Reste à définir un nouveau modèle économique, réaliste, à la fois dans le développement des produits [Hautlence aurait presque trop d’idées fortes], dans la stratégie de commercialisation [comment miser sur une distribution indépendante en pleine mutation ?] et dans la stabilisation d’une identité pérenne. Le statut – très envié, mais très périlleux – de « manufacture indépendante » n’est plus forcément tenable avec les volumes imaginés par Hautlence, qui se refuse à être une « marque de niche » sans toutefois posséder les moyens de grandir pour atteindre une masse critique qui la rendrait viable…
••• Les amis de Georges-Henri Meylan, et lui-même, sont avant tout des hommes d’affaires, et non des philanthropes de l’horlogerie. Apparemment, ils n'ont pas que la marque Hautlence en vue. Ils devraient très rapidement annoncer le contrôle de plusieurs autres marques indépendantes. Même sans idée de contrôle capitalistique, il s'agit de mettre en place une plateforme de moyens et de services, orientée vers l'amont industriel (partage des commandes et des études) comme vers l'aval commercial (partage des frais de commercialisation). L’idée est de constituer un mini-pôle dont les marques seraient capables de se soutenir les unes les autres, tout en offrant une alternative crédible aux détaillants indépendants – chez lesquels l’ancien patron d’Audemars Piguet a conservé toutes les sympathies nées d’années de business en commun…
2)
••• UNE REDÉFINITION STRATÉGIQUE DE LA PLACE
DES NOUVELLES MARQUES CRÉATIVES
DANS LE PAYSAGE DE L’HORLOGERIE CONTEMPORAINE…
La question existentielle demeure : la référence Hautlence, qui était une des « nouvelles marques » les plus sympathiques des années 2000, a-t-elle encore sa place sur le marché tel qu’il a évolué ? Comment lui redonner force et vigueur, sans l’attrait de cette nouveauté qui émoustillait les amateurs (devenus plus sélectifs), alors que les prix sont revus tendanciellement à la baisse et que les détaillants sont abonnés à la grogne face aux marques indépendantes ? Entre autres cartes, le « joker Meylan » (tout comme celui d'autres de ses amis investisseurs) peut-il résoudre les problèmes, en amont pour stimuler l’enthousiasme des fournisseurs un peu trop restés sous la douche froide et, en aval, pour doper la motivation de détaillants tragiquement tétanisés face aux incertitudes de leur destin ?
••• Les atouts ne manquent pas pour Hautlence, à commencer par l’infinie résilience de l’équipe restée autour de Guillaume Têtu, qui vient de traverser les neuf cercles de l’Enfer imaginé par Dante [qui ne songeait cependant pas aux affres des jeunes créateurs horlogers]. On mettra à leur actif une image de marque relativement préservée, le travail de « nettoyage » de la distribution ayant été effectué par les anciens investisseurs – qui y ont probablement perdu beaucoup de forces. Le « style Hautlence » est resté lisible et bien identifiable au fil des années, avec son goût pour les affichages séquentiels, le surlignage des fonctions mécaniques et la pratique de l’embiellage. On peut imaginer, sur cette base, tout en gardant des « ovnis » comme la HL 2 en talking pieces, des nouvelles déclinaisons de cet « esprit Hautlence », pas forcément « 100 % in-house » pourvu qu’elles soient proposées à des prix compatibles avec l’idée d’accessibilité que se fait le marché…
••• Pour ce qui est des faiblesses, il faut avoir le réalisme d’admettre que plus personne n’attend Hautlence – tant chez les amateurs que chez les détaillants – avec cette fébrilité qui marquait la soif de nouvelles références des années 2000. On sait que Business Montres a beaucoup fait – et continuera à faire beaucoup – pour soutenir cette nouvelle génération de machinateurs : ce n’est donc pas faire preuve de mauvais esprit que de s’interroger sur la légitimité actuelle et future d’Hautlence, ainsi que sur son modèle économique. Les marques indépendantes n’ont pour seule force que celles de leur produits et de leur créativité, dont elles doivent sans cesse réaffirmer la preuve. Deux ans de développement techniques, voire trois, pour lancer des concepts innovants fiabilisés, avec un créneau de rentabilisation de l’ordre d’une seule année : cela réclame une trésorerie en or massif pour sécuriser le cycle sur une dizaine d’années, délai d’institutionnalisation minimum pour une nouvelle marque. Investisseurs pressés, s’abstenir ! C’est également déconseillé aux investisseurs qui auraient les nerfs fragiles…
••• Bon courage à ceux qui ont déjà tenu bon dans la tempête et bon courage aux nouveaux investisseurs, notamment à Georges-Henri Meylan qui a la bravoure de redescendre dans l’arène horlogère, dont il était un des princes du sang, sous le costume d’un simple gladiateur en armure légère. Il sait déjà qu’il y perdra beaucoup d’« amis » – a-t-il encore des illusions à ce sujet ? – et que certains lui tourneront le dos maintenant qu’il n’est plus réduit qu’à ses propres forces. Décaper les illusions de son carnet d’adresses : un vrai plaisir d’esthète, et « GHM » l’appréciera en connaisseur, lui qui n’a plus rien à prouver, sinon à lui-même… |