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Courant dans les pays anglophones, le RPO, ou l’externalisation du processus d’embauche, prend ses quartiers en Suisse. Eclairage.
Les temps sont compliqués pour les ressources humaines, et les procédés de recrutement évoluent à grande vitesse. Pour certains profils de poste, la pénurie se fait sentir, le marché local ne suffit plus, et mieux vaut connaître parfaitement les nouveaux outils – comme les réseaux sociaux – pour atteindre les candidats potentiels. Lorsqu’une vague d’engagements pointe à l’horizon, comment faire face à un recrutement massif qui représente parfois plusieurs dizaines d’employés idéaux à dénicher en quelques mois? Déjà très courant en Angleterre et aux Etats-Unis, le RPO semble apporter son lot de solutions aux grosses entreprises, comme Nestlé qui utilise notamment ce procédé. RPO est l’abréviation de Recruitment Process Outsourcing et signifie déléguer tout le processus de recrutement à une entreprise spécialisée.
La différence avec le travail habituel des agences de placement? Elle est de prime abord assez simple: l’agence en question place un ou plusieurs consultants au sein de l’entreprise cliente pour une durée à déterminer selon le volume de travail. Le recruteur aura donc son propre bureau, une adresse e-mail au nom de l’entreprise en question et pourra s’occuper de tout le processus d’engagement. Le mandat peut démarrer à la sélection des dossiers et inclure l’intégration du nouvel employé dans l’entreprise, selon les désirs du client. Un seul consultant ne suffit plus? Qu’à cela ne tienne, on en prend un second, voire même un troisième, le temps de boucler tous les postes à pourvoir. Une petite baisse de régime? Et hop, on revient à deux consultants. Une fois la mission remplie, les recruteurs s’effacent, jusqu’à la prochaine fois – pour autant qu’il y en ait une.
«Trouver une solution rapide et flexible»
Ayant flairé et même précédé la demande, la société Serendi, basée à Genève, s’est imposée en tant que partenaire RPO voilà un an et demi. A l’heure actuelle, il s’agit du seul acteur suisse à proposer ce service très complet d’externalisation de recrutement. Force est de constater que le besoin était là, puisqu’elle place à l’heure actuelle onze consultants dans les murs de cinq entreprises romandes, et pas des moindres. Parmi ces entreprises, Alcon, leader mondial des produits ophtalmiques racheté par Novartis en 2011. «Lorsque je suis arrivé en juillet 2011, il n’y avait qu’une personne à l’interne pour le recrutement», raconte Michael Westermann, directeur des ressources humaines d’Alcon en Suisse. «Avec l’intégration de CIBA Vision, nous avions planifié le transfert d’une quarantaine de personnes, de Zurich à Fribourg. Mais beaucoup ont quitté l’entreprise car cela aurait impliqué un déménagement personnel. Il a fallu faire face à une grande vague de recrutement, trouver une solution rapide et flexible. Nous avons accueilli un, puis deux consultants de Serendi chez nous, dans les bureaux. Ils sont intégrés chez nous, font partie de notre équipe.» Selon Claus-Peter Sommer, CEO de Serendi, «tout le processus est à discuter selon les besoins du client». Pour le cas d’Alcon, le recruteur commence ses démarches dès qu’il a obtenu la description du poste, la fourchette de salaire et qu’il a pu rencontrer le line manager pour clarifier le profil exact. Puis il gère tout jusqu’à la sélection des derniers candidats qui auront un entretien avec le manager. «Moi, je reçois le contrat à signer, à la fin du processus», explique Michael Westermann. Depuis août 2011, Alcon a ouvert 118 postes, dont 60 ont été pourvus par Serendi. «Les profils sont complexes. Il faut chercher au niveau international. Et ce n’est pas facile de faire venir des talents à Fribourg. Cette ville est moins attractive que Genève ou Zurich. Ce n’est pas très sexy!», rigole le directeur RH. Ce qu’il faut savoir, c’est que derrière le recruteur assigné au sein de l’entreprise cliente se trouve une véritable machine de guerre! En effet, pour embaucher une cinquantaine de nouveaux employés, il faut sélectionner en moyenne 5000 personnes et en interviewer 500 par téléphone, avant de choisir les candidats finalistes parmi lesquels se trouve la perle rare…
«Gagner du temps et de l’argent»
Pour assurer ce travail de titan, Serendi a développé un «centre de sourcing» où 23 personnes s’activent, par marchés et par domaines de compétences, grâce à des techniques ultrapointues. «Les codes sont différents pour le marketing, la finance ou les technologies de l’information. Si on ne les connaît pas bien, il est difficile de se connecter tant avec les candidats qu’avec les managers», relève Stéphan Ciccoli, lui-même recruteur chez Serendi. Le budget? Lorsqu’on aborde la question avec le directeur RH d’Alcon en Suisse, il répond du tac au tac: «C’est intéressant! J’ai analysé les coûts en bureaux de placement, et le fait d’avoir un seul partenaire qui fait tout diminue mes dépenses de 30 à 40%.» «Normal, répond Claus-Peter Sommer. En passant par plusieurs agences, le client n’a pas le même poids de négociation. Notre travail, plus concentré, permet de gagner du temps et de l’argent.» Mais attention, il faut atteindre un certain seuil pour que la démarche soit rentable. «En dessous de 15 à 20 recrutements par an, l’économie d’échelle ne se fait pas», précise Stéphan Ciccoli.
Beaucoup d’avantages, donc. Et les inconvénients, dans tout ça? «Je dois vraiment bien chercher, puisque vous me posez la question, hésite Michael Westermann. En tant que directeur RH, je me demande toujours si les recruteurs effectuent le travail de la même manière que moi je le ferais. S’il y a un mauvais recrutement, ils ne subiront pas les mêmes répercussions… Et pour mes employés, j’ai le feeling, je sais où ils en sont dans leur carrière. Avec le consultant, on ne peut pas savoir. Mais là je pinaille, car ils livrent un travail de qualité.»
«Il faut garder le contrôle sur les postes clés»
Le RPO ne doit pas être utilisé pour recruter un top manager, estime Matthias Moelleney, expert en ressources humaines.
Expert en ressources humaines pour l’entreprise PeopleXpert à Uster (ZH), coach RH pour pléthore de grandes entreprises, Matthias Moelleney pense plutôt du bien du RPO. A quelques exceptions près. «Pour certains types de postes, je pense que l’entreprise doit faire le recrutement elle-même. Il faut garder un certain contrôle sur les postes clés. Ou alors donner le mandat à un chasseur de têtes.» Argument que Claus-Peter Sommer, CEO de Serendi, approuve: «Les postes de top management sont souvent à part, confiés à des chasseurs de têtes. Mais récemment, l’un de nos consultants a finalisé le placement d’un responsable informatique au sein d’une banque basée à Genève.» Si Matthias Moelleney estime que le RPO est généralement une excellente solution, il souligne également la rapidité d’évolution des procédés dans le secteur des ressources humaines, notamment du côté des réseaux sociaux. «Il faut investir dans la recherche de talents. Donc en plus d’une aide extérieure lors de vagues d’engagements, les responsables RH doivent absolument rester à la pointe.» Selon Claus-Peter Sommer, les candidats potentiels sont de moins en moins actifs dans leurs recherches, d’où la nécessité d’aller les chercher à l’échelle internationale. Pas une mince affaire!
«Avec ce système, les entreprises se déresponsabilisent»
Joëlle Rossier, directrice d’un cabinet de recrutement regrette une «perte de substance».
«Le RPO, c’est sûr, est une manière de juguler les coûts. Mais c’est dommageable à l’entreprise dans sa capacité à attirer les talents. J’ai l’impression que certains recruteurs remplissent des cases au lieu de conserver l’esprit RH de l’entreprise.» Pour Joëlle Rossier, directrice de son propre cabinet de recrutement et conseil RH qui rayonne dans l’arc lémanique, ce procédé est trop «impersonnel». «Comment sait-on si les consultants présentent l’entreprise de la bonne manière? Je pense que l’entreprise perd une partie de son contrôle. Par contre, les recruteurs gèrent les flux et les modes d’embauche, ce qui évite peut-être d’avoir quelqu’un à l’interne qui ne soit pas complètement à jour…»
Joëlle Rossier, qui met en avant auprès de ses clients un type de services privilégiant la proximité et qui a pour but de «définir le potentiel d’un candidat pour que l’entreprise sache à qui elle a affaire», pense clairement qu’il y a une «perte de substance», une «mise à distance», et que «les entreprises qui utilisent le RPO donnent l’image de se déresponsabiliser». Stéphan Ciccoli, lui-même employé de Serendi régulièrement envoyé en entreprise en tant que consultant, tient à préciser qu’il est là pour «représenter la société cliente. Il faut être un peu caméléon, s’intégrer, savoir s’adapter.» Selon lui, «le candidat ne réalise pas que son interlocuteur est un consultant externe».
Crédits photos: Thierry Parel, François Wavre, Charly Rappo
Par Camille Destraz
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