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Pékin ramène son objectif de croissance à 7,5% pour 2012, contre 9,2% l’an dernier, et la récession en Europe n’explique pas tout. Le secteur suisse machines-outils, plus que celui du luxe, s’inquiète. Bulle immobilière en Chine, quelle bulle, selon un financier à Hongkong
Selon l’astrologie chinoise, l’année du dragon s’annonce imprévisible, houleuse et intense. De fait, les signes de tensions politiques, économiques et sociales en ce début 2012 inquiètent en Chine et à l’étranger. Décryptage, point par point, des nuages qui s’accumulent au-dessus du pays le plus peuplé, considéré comme le moteur de l’économie mondiale.
Récession en Europe et baisse des exportations
La récession qui s’installe en Europe, premier débouché du «made in China» pour environ 380 milliards de dollars par an, commence à affecter les exportateurs chinois. Depuis le début de l’année, plusieurs études montrent cette évolution. Des dizaines d’usines chinoises indiquent que les carnets de commandes se dégarnissent mois après mois.
Les statistiques officielles sont attendues dans dix jours. Mais hier, Pékin a publié ses premières estimations. Le pays a enregistré un taux de croissance du produit intérieur brut (PIB) de 8,4% au premier trimestre 2012. Mais les dirigeants chinois ont revu fin février leur objectif de croissance pour 2012 à la baisse à 7,5%, contre 8 à 10% ces dernières années.
L’activité manufacturière a commencé à souffrir dès l’automne 2011. Elle s’est redressée le mois dernier, tout comme l’activité des services qui s’est relevée en mars. Il est vrai que la récession en Europe s’avère moins violente que prévue. Autre bonne nouvelle: les responsables de l’économie chinoise mènent une politique volontariste pour réduire la dépendance envers les exportations. D’après UBS, celles-ci constituent encore un moteur de l’économie, mais en termes de plus-values, elles ne contribuent plus qu’à 15% du PIB.
La consommation compromise
La Chine ne fait pas exception aux perspectives pessimistes globales. Le pouvoir d’achat des Chinois, plus particulièrement celui des nouveaux riches et de la nouvelle classe moyenne, a certes stimulé la croissance ces dernières années, mais les craintes d’une chute se font réelles.
Les licenciements se multiplient dans les zones industrielles et les banques ferment le robinet du crédit tant pour les ménages que pour les grandes entreprises, sources d’emplois et de création de richesse. La consommation privée représente 34% du PIB, contre 71% aux Etats-Unis et 58% en Allemagne. Un écart grandissant qui fait dire aux autorités que le potentiel de croissance à long terme est toujours là. Le fossé entre les différentes couches sociales peut aussi justifier des investissements à destination des populations les moins favorisées, donnant un coup de fouet à la consommation de produits courants.
Compétitivité: fini les bas salaires
Le décollage de la Chine s’est reposé en grande partie sur la délocalisation des entreprises étrangères sur son territoire, attirées notamment par les bas salaires. Ce phénomène s’estompe. Le coût du travail s’est renchéri, allant jusqu’à doubler dans certains secteurs en quelques années, et ce n’est pas fini.
Par ailleurs, la politique active aux Etats-Unis et en Europe visant, d’une part, à décourager les migrations et, d’autre part, à faire revenir des entreprises, donne des résultats. Le mois dernier, General Electric a annoncé 400 places vacantes dans le Kentucky, rémunérées à 13,50 dollars l’heure. L’entreprise a reçu 6000 réponses en moins de 50 minutes.
Une bulle financière
Les banques gouvernementales n’arrivent plus à cacher leur fragilité. En 2009, elles étaient encouragées à avancer des prêts massifs aux collectivités locales pour financer des projets d’infrastructures anticycliques, et aux promoteurs immobiliers. Beaucoup de cet argent a été gaspillé et les banques doivent désormais assumer les créances pourries.
Dans le passé, un tel exercice était relativement facile. La vente des terres appartenant à la collectivité et les dépôts en pleine croissance leur permettaient de se refinancer. C’est plus compliqué aujourd’hui et plusieurs banques rassurent leurs épargnants grâce à des injections d’argent public. Les craintes qu’une bulle financière soit sur le point d’éclater circulent en Chine.
Une crise sociale en gestation
Les licenciements qui se multiplient, les revendications pour des meilleures conditions de travail, les manifestations de colère contre l’accaparement des terres par les collectivités locales, l’assèchement du crédit, les mécontentements liés aux passe-droits et à la corruption ainsi que les incertitudes politiques – le parti communiste chinois va renouveler une partie de sa direction cet automne – ont fini par créer un climat délétère en Chine. La récente mise à l’écart de Bo Xilai, le chef du parti de Chongqing, a même été à l’origine de rumeurs sur un coup d’Etat.
La réaction de Pékin
Les autorités ont pris la mesure des menaces. Une fois n’est pas coutume, tout en disant que cette situation était liée à la récession en Europe, elles ont reconnu que des problèmes structurels minent la stabilité politique, économique et sociale du pays.
C’est dans ce contexte précis que le premier ministre Wen Jiabao a baissé l’objectif de croissance pour 2012 tout en adoubant une étude que viennent de publier la Banque mondiale et le Centre de recherche pour le développement, un institut de recherches économiques basé à Pékin. Ses recommandations ont été résumées dans un dessin publié début mars en une du China Daily, porte-voix du parti communiste chinois. Il s’agit d’un chemin tortueux qui conduit vers 2030. Les panneaux de signalisation se trouvant à chaque virage donnent la direction à suivre: redéfinir le rôle de l’Etat, restructurer les entreprises publiques, dynamiser le secteur privé, réformer le marché du travail et la propriété foncière et encourager un développement durable.
Ram Etwareea
LE TEMPS
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