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Ce sera un printemps Breguet très disputé entre collectionneurs, mais la querelle 2012 se règlera au mois de mai, à coups de marteau, dans les salles d'enchères genevoises...
Christie’s donne le ton avec plusieurs Breguet réellement historiques, jamais vues, pas même dans les livres d’histoire de la marque...
Une sacrée valse des millions se prépare pour le mois de mai sur les bords du lac...
1)
••• DES ENCHÈRES GENEVOISES SUR FOND DE BRAS-DE-FER
ENTRE LE LEADER (CHRISTIE’S) ET LE CHALLENGER (SOTHEBY’S)...
C’est parti pour une saison d’enchères qui s’annonce extraordinairement riche en pièces exceptionnelles. Horizon général : la contre-offensive de Sotheby’s, qui a considérablement étoffé son équipe et revu le positionnement de ses ventes, désormais déplacées au mardi, soit le lendemain de la vente Christie’s (révélation Business Montres du 10 février). Le 15 mai, Sotheby’s devrait donc disperser un catalogue plus épais que ces dernières saisons, en deux sessions, avec une collection d’une cinquantaine de Breguet qu’on peut qualifier d’« historiques » – dont certaines fresh to the market. On imaginait bien que Christie’s allait réagir...
••• Le 14 mai, la veille, Aurel Bacs adjugera du haut de son pupitre Christie’s quelques lots d’une importance non moins « historique » – dont plusieurs Breguet de l’aube du XIXe siècle jamais passées sous le marteau et même jamais vues par personne. Le fait de voir arriver ces Breguet sur le marché au cours d’un printemps déjà riche en Breguet est sûrement une coïncidence. On aura compris qu’Aurel Bacs – leader mondial incontesté pour les montres – n’est pas décidé à concéder le moindre espace de manœuvre à son challenger historique pour les enchères horlogères. C’est donc sur le terrain des plus légendaires Breguet de poche que la bataille aura lieu : au moment où les collectionneurs asiatiques réveillent le marché des montres mécaniques du XIXe siècle, c’est plutôt bien pensé. Et c'est d'autant plus habile que Christie's avait un léger défaut de légitimité (réel ou supposé) sur ce marché des montres de poche « historiques »...
••• Quand deux géants se combattent, les amateurs du monde entier retiennent leur souffle. Il restera peu de place pour les followers et les propositions subalternes. C’est un peu comme quand les deux premiers mondiaux de tennis disputent une partie sur le court n° 1, il y a peu de monde sur les gradins des courts annexes, même si d’excellents champions s’y affrontent. Ce printemps 2012 risque d’être difficile à vivre pour Antiquorum – qui a récemment perdu deux de ses meilleurs éléments au profit de Sotheby’s (révélation Business Montres du 14 mars, info n° 8). Et il ne sera guère plus clément pour les maisons françaises ou allemandes qui commençaient à se pencher sur le marché de la montre de collection...
2)
••• LA BREGUET À DEUX MOUVEMENTS (INCONNUE À CE JOUR)
QUI EST AUSSI LA PREMIÈRE MONTRE À RÉSONANCE DE L’HISTOIRE HORLOGÈRE...
Toute Breguet réalisée du temps du grand Abraham Louis est – par nature – une Breguet « historique ». Certaines sont cependant plus historiques que d’autres et peuvent même être qualifiées d’exceptionnelles. C’est le cas de la montre n° 2667, qui était pour Breguet une sorte de « prototype » des deux autres montres à résonance qu’on connaît de lui et qui avaient été commandés, l’une par le roi George IV (Royaume-Uni), l’autre par le roi Louis XVIII (France). Abraham Louis Breguet n’en a plus jamais fait d’autres. De plus, ces deux montres sont relativement mal connues puisqu’elles faisaient partie de la collection Salomon volée en 1983 à Jérusalem, montres disparues depuis, mais récemment retrouvées et exposées au musée d’Art islamique de Jérusalem, où elles sont tout simplement... interdites de toute communication, même à des chercheurs !
••• Cette « montre à deux mouvements » n° 2667 (image ci-dessus) a été vendue par Breguet en 1814 à M. Garcias de Londres (5 000 francs de l’époque). On lui connaît plusieurs propriétaires successifs, mais elle est entrée dans les coffres du château d’un héritier des familles royales européennes vers les années 1850-1860 et elle n’en est jamais ressortie depuis. Le archives Breguet la trace pour des réparations et des entretiens jusqu'à la fin du XIXe siècle. Ensuite, silence... Ce qui fait qu’elle n’a jamais été étudiée et qu’elle était inconnue d’Emmanuel Breguet, l’historien « familial » de la marque, et même de George Daniels, l'historien mécanicien de la marque ! Jamais répertoriée (sinon dans les livres de la marque), jamais étudiée et, bien sûr, jamais passée aux enchères...
••• On imagine l’émotion d’Aurel Bacs quand il a pris en main une montre intouchée depuis un siècle et demi, à l’or légèrement oxydé, mais au mouvement intact et jamais « bricolé » par un toujours hasardeux SAV (image ci-dessus). Un double mouvement, qui est celui de la première montre à résonance de l’histoire : Abraham Louis Breguet voulait à tout prix réussir ce qu’un Antide Janvier avait réussi pour les pendules. Il faudra ensuite attendre François-Paul Journe pour remettre au format d’une montre-bracelet ce principe de la résonance.
••• On peut ajouter à ces qualités une esthétique parfaite, qui devrait faire saliver les amateurs de néo-classicisme horloger : ils vérifieront au passage que le « grand Breguet », qui voulait rompre avec l'esthétique baroquisante des montres du XVIIIe siècle, n'a pas choisi d'en revenir aux codes stylistiques des montres du XVIIe ou du XVIe siècle, mais qu'il a délibérément inventé un nouveau style, que sa force intérieure a ensuite qualifié comme classique...
3)
••• UNE VALSE À PLUSIEURS MILLIONS SOUS LE MARTEAU D'AUREL BACS,
POUR PEU QUE LES GRANDS MUSÉES ET LES COLLECTIONNEURS SE FRICTIONNENT...
Les deux autres montres à résonance de cette série étant gelées à Jérusalem, la mise en vente de cette pièce est un événement extraordinaire, à la fois pour la culture horlogère - on va pouvoir étudier de plus près les principes mécaniques déployés par Breguet - et pour les collectionneurs de Breguet, qui auront là l’occasion d’acquérir une pièce proprement exceptionnelle. Occasion qui ne se représentera pas de sitôt...
••• Ces collectionneurs privés auront du mal à se battre contre le musée Breguet - Nayla et Marc Hayek vont devoir casser leur tirelire -, contre les grands musées d’horlogerie – qui ont les moyens de leurs ambitions encyclopédiques – ou contre les institutions spécialisées. Estimée autour du million de dollars (d’euros ou de francs suisses, peu importe) par Christie's, cette montre n° 2667 est tout simplement inestimable : elle n’a aucun équivalent sur le marché en termes de rareté, d’historicité et d’intérêt mécanique ! Elle devrait largement exploser cette estimation très défensive pour une telle oeuvre d'art horloger : le coup de marteau final pourrait atteindre les quatre ou cinq millions (dollars, euros ou francs suisses), voire même un peu plus si les nouveaux collectionneurs sino-asiatiques décident d’entrer dans la danse pour épater leurs copains...
••• Il y a dans cette dispersion Breguet plusieurs montres tout aussi exceptionnelles : votre Quotidien des Montres y reviendra ces jours-ci, de même qu’il vous révélera, dès que possible, les trésors du catalogue Sotheby’s (les Breguet et les autres) et ceux des autres catalogues...
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