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Inévitable depuis quelques mois, le dépôt de bilan de Péquignet est effectif depuis quelques heures au tribunal de Besançon...
Personne (et surtout pas un Français !) ne peut se réjouir de voir une marque française d’horlogerie trébucher : cet échec cinglant était cependant à la fois prévisible, inéluctable et quasiment programmé.
Grande marque française de référence du temps d’Emile Péquignet (qui restera comme un des grands designers horlogers du XXe siècle), la maison s’est trouvée ébranlée par le départ de son créateur.
Les repreneurs de Péquignet ont hésité entre d’improbables modèles économiques avant d'opter, contre tout logique, pour la mise en place d’une « manufacture » haut de gamme capable de réaliser son propre mouvement et de le vendre aux amateurs du monde entier.
Ambition légitime, et parfaitement honorable, voire même recommandable, sauf qu’elle reposait sur un certain nombre d’absurdités en termes de moyens techniques, de capacités financières, de positionnements stratégiques et de ressources managériales. Erreurs dont le cumul a tué le projet, asséché la trésorerie et contraint l'entreprise à déposer le bilan
••• Moyens techniques : même avec une bonne équipe horlogère (par définition coûteuse), fiabiliser un mouvement mécanique de base pour le mettre sur le marché dans des conditions optimales réclame du temps (ce qui est tout aussi coûteux) et de l’opiniâtreté, avec de lourds moyens techniques ainsi qu’un minimum de ce sérieux professionnel, qui interdit, par exemple, de faire tester ses calibres sur les malheureux clients qu’on a voulu servir trop vite pour soulager sa trésorerie. On voit trop de marques confondre trop souvent contrôle qualité et SAV...
••• Capacités financières : on ne peut développer un calibre « manufacture » qu’en complément de ses activités profitables, et non en remplacement brutal de son activité première. Couper dans ses collections « gagne-pain » pour tout miser sur un développement horloger aléatoire, c’est se condamner à tout sacrifier sur un bûcher capable de dévorer une trésorerie. Il faut quelques millions d’avance pour tenir le coup et ne consacrer à cette élaboration d’un mouvement mécanique que 20 % de ses ressources, grand maximum ! Le « Calibre Royal » de Péquignet avait fini par mobiliser toute l’énergie de la marque et par polariser toute son attention : on peut estimer que six à sept millions d’euros auront été sacrifiés en vain dans cette fournaise implacable, soit l’équivalent d’un an et demi du dernier chiffre d’affaires publié...
••• Positionnements stratégiques : on se dépositionne bêtement en voulant faire d’une marque accessible et appréciée pour sa french touch une « manufacture de prestige à la suisse ». Surtout quand on n’en a pas les moyens et qu’on ne peut pas faire payer son mouvement manufacture à son vrai prix – ce qui conduirait la marque à entrer en concurrence avec des marques autrement plus huppées et réputées. Alors que les marchés internationaux plébiscitent le Swiss Made, vouloir imposer une référence Made in France sur le terrain de la haute horlogerie mécanique était un pari insensé. Prétendre réaliser un mouvement « industriel » sans pouvoir le finaliser à un prix décent, ni pouvoir le vendre à des marques tierces - Péquignet n’est pas une référence assez prestigieuse dans ce domaine -, c’est ne rien comprendre aux évolutions de la demande.
••• Ressources managériales : on ne crée pas une « manufacture » pour calmer ses brûlures d’égo ou pour faire « comme les grands », mais pour ancrer sa marque dans une perspective forte. Et on ne peut se lancer sur ce terrain qu’avec des capacités marketing, des convictions managériales et des qualités personnelles tout aussi fortes. Avant même le départ de l’aventure, on était assez loin du compte. Quand la paranoïa s’en mêle au point de s’affirmer victime des jaloux complots des grandes marques suisses (dont on s'affirme par ailleurs supérieur !), c’est qu’on est déjà parti en vrille. N’en disons pas plus à propos de ce génie des alpages mortuaciens, qui consiste à se piéger soi-même dans un jeu à sommes perdantes : plus on vend de montres et plus on perd d’argent...
Péquignet n’était pas, et de loin, la première « manufacture » française à tenter l’aventure d’un mouvement in-house : BRM l’avait devancé de quelques longueurs (y compris avec un tourbillon 100 % français), sans parler de FDMN et de quelques autres créateurs.
Quoique très prometteur et intelligemment construit, le « Calibre Royal » (ci-dessus) n’aura pas sauvé Péquignet : on peut même considérer qu’il a tué la marque ! Il faut maintenant espérer que le projet sera repris pour être finalisé - il en vaut la peine -, dans d’autres conditions de réalisme industriel mais surtout avec d’autres stratèges.
Une marque vidée de sa substance a-t-elle encore sa place sur le marché ? Les professionnels s'interrogent. C’est l’honneur mécanique et manufacturier de l’horlogerie française qui est en cause : il n’est plus guère aujourd’hui défendu que par Bernard Richards (BRM)...
L’entêtement et l’aveuglement ne sont jamais de bon conseil, surtout quand on les conjugue avec l’esprit courtisan de journalistes directement intéressés à se muer en propagandistes de Péquignet – pour ne rien dire des détaillants qui ont délibérément « planté » leurs clients jusqu’à la dernière minute.
Il faut toujours avoir les moyens de ses ambitions : l’arrogance est le dissolvant naturel de la pertinence entrepreneuriale. Une petite quarantaine d’employés vont payer très cher les insuffisances de cette suffisance patronale...
••• Il y a quelques semaines, une fausse page de Business Montres avait circulé à propos de ce dépôt de bilan. Plutôt bien fait pour un poisson d’avril anticipé, ce pastiche pirate reprenait l’essentiel des informations publiées ici même à ce sujet. On ne s’étonnera donc pas d’en voir l’argumentaire synthétisé ci-dessus : les mêmes causes produisant les mêmes effets, la fin de l’aventure était facile à anticiper depuis les mauvais résultats des salons horlogers (Genève et Bâle) et face au manque d’intérêt des marchés asiatiques pour un me too français sans légitimité. Depuis le début 2012, ce n’était plus qu’une question de mois, sinon de semaines. Business Montres avait officiellement et à plusieurs reprises tiré le signal d’alarme : ce n’était pas la peine d’en rajouter avec une nébuleuse manipulation dont on remarque qu’elle a été immédiatement relayée par les médias locaux les plus sensibles à la publicité de la marque. On espère pour ces « journalistes » que les trente deniers qu’ils méritent leur seront bien payés par l’administrateur judiciaire de ce dépôt de bilan...
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