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L’élection de François Hollande ou la réélection de Nicolas Sarkozy auront-elles un vrai impact sur l’industrie des montres ?
Qu’aurions-nous à attendre de la victoire de l’un ou de l’autre ?
En décodant les messages (parfois subliminaux) émis pendant cette campagne, quelques éléments de réponse aux six questions qu’on peut se poser, entre cantine et machine à café, juste avant le second tour...
1)
••• « ROLEX CONTRE SWATCH ? »
(ON ATTEINT LE DEGRÉ ZÉRO DE L’INCULTURE MÉDIATIQUE)...
Et pourquoi pas Patek Philippe contre Swatch, ou Girard-Perregaux contre Seiko, ou tout autre « duel », qui revient à assimiler l’image qu’on se fait d’un homme à l’image qu’on se fait d’une marque de montres. Relation qui est factuellement fausse, politiquement absurde et horlogèrement stupide, mais si médiatement correcte !
• Si Nicolas Sarkozy aime les belles montres - qui sont le plus souvent des cadeaux qu’on lui fait - et s’il a la naïveté de les porter dans ses interventions publiques, n’est-ce pas tout simplement la preuve qu’il est sensible aux meilleurs symboles de l’art de vivre européen ?
• Si François Hollande affecte la plus grande indifférence pour les montres et s’il a choisi de n’exhiber qu’une Swatch, ce minimalisme n’est-il pas, à sa manière, très ostentatoire et très politiquement révélateur d’un travail d’image millimétré, sinon d’un camouflage légèrement inquiétant de sa personnalité profonde - pourquoi ne pas parler de la facture des costumes sur mesures du candidat socialiste ?
• Les rapports entre les montres suisses et les hommes politiques français sont décidément une source inépuisable de savoureuses analyses péripolitiques (Business Montres du 19 avril), mais on aura compris que le match final de la Swatch contre la Patek Philippe présidentielle ne passionne plus guère les larges masses depuis le premier tour – et on les comprend (l’article de Business Montres avait été repris sur Atlantico et classé deuxième « article le plus lu » pendant toute la semaine)...
2)
••• « UN PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE PEUT-IL MÉPRISER LE LUXE ? »
(DONT LE CHIFFRE D’AFFAIRES EST SUPÉRIEUR À CELUI DE L’AÉRONAUTIQUE)...
La sensibilité personnelle ou l’indifférence au luxe est une affaire privée, qui relève de l’éthique individuelle et de la conception du monde de chaque homme et de chaque femme. En revanche, l’attitude publique vis-à-vis du « luxe » en général est une question de responsabilité politique : les industries du luxe représentent en France près de 180 000 emplois, elles sont fortement exportatrices, relativement peu délocalisatrices et elles représentent un chiffre d’affaires nettement supérieur, par exemple, à celui de l’aéronautique.
• Que dirait-on d’un président de la République qui refuserait d’utiliser (ou de commander) un avion français sous prétexte qu’il préfère rouler en voiture ou en vélo ? Ce serait au mauvais signal adressé aux acheteurs internationaux d’avions français. Il en va de même pour tout signal concernant le luxe français adressé par un président français à l’opinion publique internationale.
• Certes, les plus belles montres sont suisses (dans les cinq premières marques helvétiques, deux sont malgré tout « françaises » !), mais on peut parler d’un vrai tissu horloger franco-suisse (40 % de personnel français et 60 % de managers français dans les manufactures suisses). Il existe une vraie communauté d’intérêts franco-suisses pour l’horlogerie.
• Un bon président doit porter de bonnes montres (françaises ou européennes). Il doit avoir le courage d’assumer ses choix, sinon le devoir de donner l’exemple en tant qu’arbitre des élégances et « ambassadeur » de ce que la France sait exporter de mieux. Ce ne sont pas les belles marques françaises qui manquent : il faut rétablir la tradition des « cadeaux horlogers » offerts par la présidence de la République aux invités de la France - le général de Gaulle n’y manquait pas. De même, tout président de la République se doit de porter au poignet – achat, cadeau ou prêt – des témoins de l’art de vivre français - Hermès, Chanel, Cartier, Bell & Ross, BRM, Richard Mille, Saint-Honoré, Boucheron, Van Cleef & Arpels, Chaumet : on pourrait allonger la liste aux dimensions de cette page - et même européen - des centaines de marques à sa disposition, dans une bonne dizaine de pays...
3)
••• « UN CHEF DE L’ÉTAT DOIT-IL ENCOURAGER LE LUXE ? »
(RESPECTER LES VALEURS DE L’ART DE VIVRE FRANÇAIS EST UNE « OBLIGATION PRÉSIDENTIELLE »)...
On peut le déplorer, mais le président de la République, aussi « normal » qu’il se rêve, est un « monarque républicain » dont les prérogatives régaliennes recoupent parfaitement celles des anciens rois de France qui encourageaient les arts, les sciences et les lettres. François Mitterrand l’avait bien compris, le général De Gaulle aussi, mais ce n’était pas le cas de tous leurs successeurs.
• Les nouveaux beaux-arts de la montre et l’évolution de nos sociétés d’abondance ont transformé les objets du temps en chefs-d’œuvre artistiques à part entière, tant sur le plan culturel que sur le plan des techniques mécaniques. Les montres de collection, les grandes complications mécaniques ou les pièces de joaillerie se sont hissées au rang des pièces de musée – comme les pièces autrefois signées par Breguet, Berthoud, Leroy ou Cartier. On a d’ailleurs suggéré, ici même, de faire de l’horlogerie le « douzième art »...
• Ignorer cette évolution récente des montres relève de la myopie sociétale, sinon du sectarisme de classe : les montres ne sont plus, ou ne sont pas que des instruments usuels du quotidien, pas plus que la gastronomie française ne se réduit à ses cantines d’entreprise. Elles témoignent d’une identité et d’un système de valeurs franco-européen : souvenons-nous que la France a été la fille aînée de l’« église » horlogère jusqu’au siècle dernier.
• Un chef de l’Etat doit donc donner l’exemple dans ce domaine, si ce n’est par goût personnel, du moins par obligation professionnelle : il est le défenseur non seulement de l’art de vivre à la française, mais aussi des centaines de milliers d’emplois directs et indirects liés à cet art de vivre. Pour rester rigoureuse, la République n’a pas l’obligation d’être rigoriste : elle se doit d’honorer les valeurs de la culture française et européenne, sous toutes leurs formes, notamment horlogères. Même pour rompre avec les excès du passé, un président qui mépriserait trop ostensiblement le luxe, à titre personnel ou à titre politique, se tirerait une balle dans le pied et tirerait une balle dans le dos de la communauté du luxe francophone...
4)
••• « LA RÉPUBLIQUE DOIT-ELLE STIMULER OU STIGMATISER LE LUXE ? »
(LA FAUTE POLITIQUE CONSISTE À CONFONDRE MORALE ET GRANDE POLITIQUE)...
Industrie peu délocalisable (par l’importance du terroir d’origine), fortement créatrice de valeur ajoutée et surtout stratégique pour l’économie autant que pour la place de la France dans le monde, le luxe tricolore (francophone au sens large, donc horloger) n’est pas une maladie honteuse, mais un des fleurons et une des clés de la réussite pour toute la maison France. Au lieu d’en pénaliser la consommation - François Hollande résistera-t-il à la tentation démagogique de surtaxer les biens de luxe ? - et d’en anathémiser les amateurs, on devrait au contraire encourager le développement d’un marché intérieur capable de renforcer cette industrie sur son territoire de référence.
• Il faut que ces produits expriment visiblement et sincèrement – et par seulement par les vertus storytelling marketing – l’art de vivre d’un peuple et ses attachements à une certaine conception du monde. Il faut qu’ils témoignent, avec une intensité vérifiable in situ, de ce « système des objets » et de ce cadre de vie que tous les peuples nous envient : qui boirait du Coca-Cola et qui regarderait les comédies hollywoodiennes si cette boisson et ces films laissaient les Américains indifférents ? Qui boirait du beaujolais et qui porterait des foulards Hermès si on découvrait que les Françaises et les Français n’aiment pas ça ?
• Il est donc naturel qu’un Etat soucieux de ses responsabilités régaliennes et qu’un président de la République, quelle que soit sa couleur politique, se mêle d’encourager – sans gêne comme sans forfanterie – les performances des industries du luxe, au besoin en donnant l’exemple au plus haut niveau et en payant de sa personne...
5)
••• « LA CHASSE AUX RICHES VA-T-ELLE DEVENIR UN SPORT NATIONAL ? »
(LA NOUVELLE FRONDE ANTI-LUXE À LA GAUCHE DE LA GAUCHE)...
Les indices d’une « ouverture de la chasse » ne manquent pas dans ce domaine, entre les pancartes vindicatives anti-Rolex des défilés du 1er Mai et les propos de Jean-Lux Mélenchon – allié de François Hollande – qui veut « faire les poches des riches » (peut-être veut-il se faire pardonner de porter une Seiko : un comble pour un protectionniste !). Sans parler de la taxation confiscatoire des plus hauts salaires et du coup de matraque fiscal qui attend les grandes fortunes.
• En cas de victoire de la gauche aux présidentielles et dans le cadre des prochaines élections législatives, il faudra bien lâcher du lest à la gauche de la gauche et transformer les « riches » en punching ball d’autant plus pratique que personne n’osera les défendre. Tout ceci n’est évidemment pas encourageant pour la consommation des biens de luxe, et en particulier pour celle des montres : c’est au poignet qu’on porte aujourd’hui les stigmates les plus sociéto-répréhensibles !
• Le néo-racisme social a désigné ses nouveaux boucs émissaires : ils lisent l’heure avec indécence sur leurs « montres de luxe », même si, pour l’instant, on n’a pas encore fixé la barre de la dépense horlogère acceptable pour les ménages : faudra-t-il compter les enfants dans le calcul des parts horlo-familiales et quels seront les pouvoirs d’investigation des contrôleurs de la nouvelle « police des poignets » ? Dans un contexte de chasse aux sorcières (dorées sur tranche) et de surenchères post-électorales, on a plutôt du souci à se faire : les achats et les investissements horlogers seront moins prioritaires que la mise à l’abri des patrimoines. On en déduira que le résultat de l’élection présidentielle aura un impact durable sur les industries du luxe – qui ne se limitent pas aux achats des touristes asiatiques en Europe...
6)
••• « SOMMES-NOUS CONDAMNÉS À LA GÉHENNE D’UN NOUVEAU PURITANISME ? »
(LES PROGRÈS DE L’INQUISITION ET LES NOUVEAUX CODES DE LA BIENSÉANCE AU POIGNET)...
On peut se demander si les courants sournois d’un nouveau conformisme bien-pensant n’ont pas durablement submergé une Europe qui était réputée pour son art de vivre et pour réinventer en permanence les plaisirs de la vie, à travers le luxe, les arts et la mode. Le culte du ressentiment l’emporte sur les impératifs dionysiaques qui étaient ceux de la génération du baby boom.
• Comme l’écrivait récemment Denis Tillinac dans une chronique d’Atlantico : dans l’hypothèse où..., « la France sera à la merci d'un mixe d'idéologues obtus, de snobinards parisianistes et de notabilités régionales prudhommesques. Les pulsions inquisitoriales des militants et le clientélisme bananier des ducs, comtes et marquis “décentralisés“ produiront un univers grisaillant de planqués serviles et de tartufes coincés... (...) Les nihilistes de l'“ordre moral“ socialiste n'oseront pas mettre à l'index notre patrimoine spirituel, intellectuel et esthétique bien qu'il soit très majoritairement “élitiste“ et assez foncièrement “réac“... (...) Ils nous débineront, ils nous excommunieront mais nous sommes trop nombreux pour qu'ils nous embastillent »... Il évoque aussi « la menace d'une torpeur sans rêve dans la morne bienséance d'un cléricalisme de basse saison »...
• Les montres avaient résisté – et même prospéré – lors du passage de l’Ancien régime aux temps modernes : elles avaient su s’adapter aux nouveaux codes d’une civilité plus bourgeoise et post-révolutionnaire. Devenues moins fonctionnelles, donc moins indispensables, et reléguées au rang des fétiches d’un ordre social révolu, elles pourraient ne pas résister aux assauts d’un nouveau médiatiquement correct : la façon dont la maison Rolex a été affectée, sur le marché français, par les « conneries » d’un Jacques Séguéla et par leur exploitation forcenée chez tous les « humoristes », en dit long sur les nuisances idéologiques qui peuvent parasiter un discours de marque.
• De même, on peut affirmer avec certitude qu’une flétrissure morale attachée aux belles montres en Europe aurait un retentissement inévitable sur les achats de ces mêmes belles montres dans les marchés exotiques qui ne les vénèrent que parce qu’elles traduisent un art de vivre auquel ils aspirent... Le message envoyé par les électeurs français au soir du second tour aura, bien évidemment, un impact structurant (ou déstructurant) sur l’économie européenne, qui reste mondialement motrice en dépit de son atonie actuelle. Notamment pour les industries du luxe, dont la France est leader - voir ci-dessus.
• Selon que l’économie française sera ou non durement affectée par les inévitables plans de rigueur qui l’attendent (quel que soit le candidat), selon que l’ambiance sera plutôt grecque, espagnole, anglaise ou allemande, le climat international des affaires s’en ressentira – et rien n’est plus réactif que le marché du luxe, fragilisé par son interconnexion multi-continentale grandissante. Si les achats de luxe déclinent en Occident, ils connaîtront la même évolution en Orient, surtout si les industries européennes de luxe (France, Suisse, Allemagne, Italie) finissent par ne plus produire que pour une clientèle émergente en surchauffe, qui est malheureusement tout sauf prescriptrice en matière de goûts et de couleurs. Dans une planète en pleine mutation économique et sociétale, les erreurs d’aiguillage et les impasses stratégiques vont se payer au prix fort...
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