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Prémonitoire du « troisième tour social » qui attend le prochain président de la République, quel qu’il soit ?
En tout cas, la diffusion de L’été des Lip, ce soir, sur France 3, va rappeler des souvenirs aux horlogers de la Franche-Comté et à tous les Français, puisque l’affaire Lip avait été très médiatisée à l’époque (1973-1976).
••• UN TÉLÉFILM QUI FAIT RÉFLÉCHIR
SUR NOS CONTES & LÉGENDES DE L’INDUSTRIE DES MONTRES
L’été des Lip (France 3, 5 mai, 20 h 35) n’est ni le premier, ni – on l’espère – le dernier des films consacrés à l’« Affaire Lip », qui aura marqué à la fois la mémoire sociale, la mémoire horlogère et la mémoire régionale. Cette fiction vient cependant compléter, en dépit de ses maladresses et de ses anachronismes (ci-dessus), l’excellent Les Lip, l’imagination au pouvoir de Christian Rouaud (centré sur la lutte du personnel). Dominique Ladoge, qui a réalisé L’été des Lip, avait tenu à faire participer la population de Besançon au tournage, dans le centre ville : à défaut d’être « d’époque », les têtes sont au moins indigènes !
••• Au-delà des images, plutôt bien faites, quelques réflexions sur ce conflit social, qui avait paradoxalement achevé une horlogerie française qu’il prétendait sauver. Après l’« affaire Lip », plus un investisseur ne voudra se risquer dans l’industrie horlogère tricolore : les efforts désespérés de la gauche pour recréer un grand combinat horloger sur les ruines de cette industrie, dans les années 1980, ne feront que hâter une disparition programmée, qui aurait cependant pu être évitée....
••• LIp, qui était encore, en 1970, la plus maison horlogère française, et une des plus grandes dans le monde, y compris face aux marques suisses, a toujours marqué, tout au long de son histoire, un certain goût pour l’innovation, en matière de commercialisation (Lip distribuait et cosignait Breitling ou Blancpain) et d’industrialisation (machines-outils vendues aux horlogers suisses !). Innovations mécaniques, aussi, comme les calibres T18 et R25, et inventions fortes, malheureusement pas toujours suivies sur le plan technique, comme le premier prototype de tourbillon pour montre-bracelet ou une des premières montres électriques (1952).
••• Tout va commencer à se gâter quand... les Suisses entrent dans le capital de Lip, via Ebauches SA (futur Swatch Group), qui devient l’actionnaire principal en 1970. Fred Lip a perdu la main. Ses successeurs perdent le cap et ne comprennent rien à la crise du quartz, tout comme leurs actionnaires suisses. Lip se met à la remorque des Américains et des Japonais pour répondre aux défis du quartz : c’est suicidaire. Premier dépôt de bilan en 1973 et début d’un conflit social qui va durer trois ans : les ouvriers de Lip séquestrent les cadres, mettent la main sur le stock des montres (25 000 pièces) qu’ils vont cacher, puis revendre, les gardes mobiles cognent sans états d'âme et la gauche se mobilise autour d’une utopie d’autogestion ouvrière et de coopératives horlogères, alors soutenues par le « patronat de gauche ». La liquidation interviendra en 1977, la marque étant reprise, puis relancée grâce à une délocalisation de la production en Chine...
••• Quand une entreprise va dans le mur, autant comprendre pourquoi ! En 1973, une manufacture d’horlogerie mécanique comme Lip se trompait de modèle économique : elle n’avait pas mis en place de riposte industrielle à la révolution du quartz. Aussi sympathiques qu’elles aient été, les utopies gauchistes et anarcho-syndicalistes développées autour de Lip n’étaient guère plus réalistes : conserver un tel outil de production mécanique, alors que le quartz emportait tout sur son passage, ne résolvait rien et ne faisait que retarder l'échéance. Reprendre Lip ? Relancer Lip ? On se demande bien pourquoi et comment... Contrairement à une idée reçue, la maison Lip n’a pas été « assassinée », comme on l’a dit et écrit : Lip a été naufragée par ses différents managers – dans lesquels on comptera les ouvriers eux-mêmes – qui pensaient vivre dans une « bulle » alors que l’horlogerie mondiale était en pleine mutation...
••• Le mythe Lip a beaucoup obscurci et compliqué l’avenir de l’horlogerie franc-comtoise, qui n’en finit plus de mourir et de renaître en attendant de nouvelles bonnes idées et de nouvelles énergies. Quelques affaires récentes devraient nous inciter à réfléchir :
• Technotime – projet qui ne manquait d’arguments industriels – n’a bénéficié d’aucune aide, alors qu’il s’agissait d’une initiative structurante capable d’avoir un effet d’entraînement sur toute l’activité horlogère régionale, et jusqu’en Suisse : mauvais point pour les pouvoirs publics !
• Alain Silberstein, référence internationale, n’a pas su trouver les soutiens locaux nécessaires à la mise en place d’un pôle de compétences dans le domaine du design et de la création horlogère, alors même que le capital immatériel et le savoir-faire sont les seules richesses indélocalisables : mauvais point pour les autorités régionales et pour les institutions horlogères à courte vue...
• Péquignet a bénéficié d’aides régionales et de beaucoup d’indulgence de la part du tissu politico-économique local, mais un modèle économique aberrant, une grave myopie marketing et un management inefficace ont pourri le dossier jusqu’à le rendre (provisoirement, on l’espère) aussi désespéré que la cause des révoltés de l’affaire Lip : mauvais point collectif pour tous ceux qui ont cru qu’on pouvait ignorer le principe de réalité...
••• Du temps de Lip, le personnel séquestrait les administrateurs. Aujourd’hui, ce sont les administrateurs qui prennent le personnel en otage pour forcer la main des pouvoirs publics : le « chantage à l’emploi » a toujours un effet de sidération en période électorale ! Dans tous les cas, les canards boiteux ne deviennent pas des chevaux de course : au lieu de réfléchir à des solutions innovantes - comme celles qu’avait pu imaginer Nicolas Hayek pour sauver l’horlogerie suisse, quelques années après Lip] et au lieu de sacrifier l’accessoire pour sauver l’essentiel, la France a la spécialité de l’intervention brouillonne et colbertiste téléguidée par différents groupes de pression régionaux ou syndicaux. D’abord économique et managérial, le désastre devient vite politique, et finalement social. Tous comptes faits, Lip : un exemple à ne pas suivre...
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