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388 lots pour reconquérir l'estime des grands collectionneurs de montres et pour convaincre les marchands (italiens) de refaire confiance à Sotheby's : le challenger de Christie's a beaucoup misé sur sa vente de mardi, mais le pari s'avère risqué dans le contexte d'apaisement général des enchères et de focalisation des records sur quelques-uns de ces lots exceptionnels qui manquent dans ce catalogue...
1)
••• UN CATALOGUE DE COMBAT POUR PERMETTRE
À SOTHEBY’S DE RELANCER L’OFFENSIVE SUR LE MARCHÉ DES MONTRES DE COLLECTION...
Le réarmement stratégique et moral de Sotheby’s repose sur quatre piliers, qui sont autant de paris sur l’avenir – mais c’est le propre d’un challenger de prendre des risques pour retrouver un espace de manœuvre. Ces quatre axes de travail, effectifs pour cette vente du 15 mai, sont :
••• 1) Le renforcement de l’équipe horlogère : Geoffroy Ader a d’abord été épaulé par Tim Bourne (ex-Christie’s) pour muscler le bureau de Hong Kong. Jean-Claude Sabrier est devenu le consultant attitré de Sotheby’s pour les montres de collection. On a récemment vu Marc Michel-Amadry prendre en mains le marché suisse et le fait d’avoir choisi un ex-horloger (Ebel) comme responsable de ce marché n’est sans doute pas innocent. Renfort encore plus récent : Thomas Perrazzi et Charles Tearle ont quitté Antiquorum pour rejoindre le département montres de Sotheby’s. Au final, une équipe solide, qui ne demande qu’à faire ses preuves en soudant ses efforts dans la reconquête du terrain perdu...
••• 2) La priorité à la culture horlogère : Sotheby’s a choisi de donner la priorité aux pièces « historiques » (celles qui ont du sens en termes de culture, plus qu’en termes d’investissement financier) et d’illustrer par son offre un travail de réenracinement dans le terreau de la tradition horlogère. D’où le rôle moteur assigné aux montres de poche, aux montres anciennes, aux montres émaillées et aux montres « chinoises ». Avec, dans le domaine des montres-bracelets, une spécialisation alternative (à Patek Philippe) sur les icônes Rolex. D’où les conférences autour du livre de Jean-Claude Sabrier...
••• 3) Le choix d’une double session de jour : Geoffroy Ader avait choisi de disperser ses catalogues le dimanche soir, entre la vente Antiquorum et la vente Christie’s. Ce qui posait des problèmes avec l’internationalisation du marché des collectionneurs, notamment asiatiques, et ce qui contraignait Sotheby’s à des catalogues relativement minces (moins de 300 lots, plus faciles à épuiser avant minuit). Pour le 15 mars, ce seront deux séances (matinée et après-midi) et 388 lots au compteur...
••• 4) La sélection d’un « catalogue de combat » : il s’agissait pour ce printemps de reprendre l’initiative grâce à une collection de Breguet, capable de conclure deux sessions aux sections bien équilibrées entre montres modernes, montres-bracelets de collection, montres de poche et montres décorées dans le goût chinois. Catalogue qui fait la part belle aux traditions mécaniques de la culture horlogère, non sans élargir une offre « attrape-tout » capable de sésuire les collectionneurs et les marchands encore peu habitués à la « Day Sale » de Sotheby’s...
2)
••• UNE PROMENADE DANS LES 388 LOTS
DE L’OFFRE SOTHEBY’S POUR LES ENCHÈRES DE CE PRINTEMPS 2012...
Une réflexion avant de se plonger dans ce catalogue : sachant que Breguet n’est pas encore (et de loin) la marque la plus « chaude » pour les amateurs, ni la plus « spéculative » pour les marchands, n’était-il pas risqué de concentrer toutes les Breguet qui portent les espoirs du catalogue en fin de vente (n° 344/388 pièces), à une heure – mardi après-midi – où beaucoup de marchands et d’amateurs seront tentés de quitter Genève faute de vrai coup de cœur pour la fin du catalogue ?
••• De même, alors que la tendance à la polarisation des enchères exceptionnelles sur quelques pièces exceptionnelles se confirme, au détriment des pièces « moyennes » qui ne font plus que des enchères « moyennes », ce catalogue n’est-il pas un peu trop « classique » et un peu trop dépourvu de lots vraiment marquants ? Ne manque-t-il pas de cette épice particulière que sont les pièces « millionnaires » ou les « records du monde » qui posent la réputation d’une maison ?
••• 252 lots pour la session du matin, dès 9 heures, au Beau-Rivage : un programme chargé, qui réclamera de garder le rythme sans faiblir pour « passer » tout le catalogue dans les délais...
••• La mise en jambes habituelle des premiers lots se prolonge jusqu’au n° 67, avec les classiques offres de montres modernes et de collection, de toutes les marques et à tous les prix (on restera normalement dans les enchères à cinq chiffres). Rien de rare, ni de passionnant, mais il faudra surveiller la cote de la Royal Oak Rubens Barichello (Audemars Piguet lot n° 19, estimée à 77 000 dollars), dont on espère qu’elle tirera mieux son épingle du jeu que les Royal Oak de la vente Antiquorum de dimanche...
••• On passe aux montres de poche dès le n° 68 (jusqu’au n° 93), avec quelques pièces intéressantes comme le lot n° 71 (une montre émaillée un peu dépareillée, avec des éléments disparates, estimée 66 000 dollars), le lot n° 75 (une Terrot & Thuillier de 1750 à double cadran, de qualité ou d'intérêt musée, manifestement sous-cotée à 8 800 dollars), le lot n° 79 (une montre « astronomique » anglaise de 1790, estimée 20 000 dollars), le lot n° 81 (une montre anglaise pour le marché chinois, estimée 88 000 dollars, sans doutre un peu trop restaurée) ou le lot n° 93 (une montre en cristal de roche, estimée 8 000 dollars, ce qui serait un vrai cadeau pour un tel mouvement squelettisé !)...
••• On repasse aux montres-bracelets dès le lot n° 94, la première montre à six chiffres arrivant au lot n°99 (Patek Philippe réf. 5970G de 2009, estimée 130 000 dollars, qui n’est pas vraiment une « montre de collection »), bientôt suivie par d’autres Patek Philippe récentes (lots n° 115, n° 116, n° 117 ou n° 118, dont le total devrait dépasser le million de francs suisses). On reprendra sa respiration avec les lots suivants, du n° 119 au n° 140, un chrono-QP Patek Philippe réf. 5971 de 2007 serti de baguettes (estimation : 240 000 dollars)...
••• Retour aux montres de poche, à commencer par un des lots phare de la vente, le n° 141, une grande complication patek Philippe « pièce unique » estimée 880 000 dollars et réalisée en 1992 (c’est la montre qui a précédé le fameux Calibre 89). Les numéros suivants présentent quelques excellentes montres de poche, dont le lot n° 152 (une Tavernier à seconde centrale et phases de lune, estimée 55 000 dollars :image ci-dessus), et quelques montres pas forcément bien cataloguées, mais dont les caractéristiques mécaniques ont piqué la curiosité des amateurs - laissons-leur le plaisir de faire une bonne affaire, sans révéler quels sont ces numéros - ! Dès le lot n° 179, Sotheby’s propose une intéressante série de tourbillons de poche (dont quelques Thomas Engel des années 1980), mais également un tourbillon-bracelet dix jours Patek Philippe (lot n° 187), avant la fin de cette séquence poche au n° 191 (là encore, quelques approximations du cataloue vont permettre à quelques collectionneurs de s’amuser)...
••• Bref passage aux montres-bracelets avant un nouvel épisode consacré à la culture horlogère, avec la collection Chapiro (lors n° 206 à 224) qui fait défiler des objets du temps qui remontent au XVIe siècle (1540), certains franchement faux, d’autres abusivement restaurés, au milieu d’excellents « oignons » de l’aube du XVIIIe siècle, dont le lot n° 234 (une montre Thuret à Paris, daté de 1695, mais dont l’attribution à la collection du Régent n’est pas établie : estimation haute à 27 000 dollars). Le lot n° 226 (très belle montre émaillée, « attribuée » à Bovet, ce qui justifierait les 132 000 euros de son estimation)...
••• On reprend goût aux montres-bracelets avec le lot n° 230, pour en arriver à quelques Patek Philippe de grand style, quoique contemporaines , comme les lots n° 239, n° 240 (une Celestial réf. 5102 estimée 220 000 dollars), le n° 243 ou le n° 244 (une réf. 5004P estimée 275 000 dollars). La session du matin sera bouclée par une répétition minutes Patek Philippe réf. 5029 de 1998 (estimation : 413 000 dollars) et ce qui aurait été la première vraie Patek Philippe vintage, un chrono rattrapante réf. 1436 de 1959, malheureusement retiré de la vente...
3)
••• LES GRANDS MOMENTS
DE LA SESSION DE L’APRÈS-MIDI (LOTS 253-288)...
On va alterner montres-bracelets modernes et montres de poche pour retrouver le rythme, en abordant les premières pièces vintage avec une impressionnante série de Rolex (lots n° 258 à 265), suivie de montres de maharadjahs - Geoffroy Ader semble en détenir un gisement inépuisable - et de pièces assez rares, comme le lot n° 281 (une Rolex Sporting Prince datée de 1934 et estimée 33 000 dollars, qui se portait au poignet tout en étant logée dans un boîtier de protection). Beaucoup de très belles Rolex (Daytona Paul Newman, Submariner militaire anglaise, triple calendrier réf. 6062 à cadran étoilé, lot n° 307 estimé 330 000 euros) et de fines Patek Philippe dans cette séquence, qui confirme l’excellente réputation de Geoffroy Ader chez les collectionneurs de Rolex anciennes, dont il s’est fait une spécialité
••• On en vient ensuite aux pièces de poche de référence, comme les lot n° 332 et n° 333 (thermomètres de poche Houriet, de la collection de Jean-Claude Sabrier). Les montres de poche suivantes (lots n° 334 à 343) passionneront les collectionneurs, notamment le lot n° 343 (un tourbillon thermomètre de Favre-Bulle, estimé 385 000 dollars et daté de 1820. Elles nous introduisent avec habileté vers les lots Breguet qui assurent la fin de la vente...
••• Cette impressionnante série de pièces Breguet se distingue par leur qualité globale plus que par l’aspect exceptionnelle de telle ou telle d’entre elles. C’est l’ensemble qui fait sens, plus que la recherche de records qui auront de toute façon été battus la veille. Donc, pas de pièces réellement introuvables, démentiellement chères, inconnues, fresh to the market ou stupéfiantes, mais une excellente offre collective dans les arcanes de la culture et du style Breguet à travers les décennies (de la Révolution française à nos jours)...
••• On peut cependant remarquer tout particulièrement le lot n° 354 (belle montre de souscription, estimée 88 000 dollars), le lot n° 363 (une autre montre à tact, commandée en 1823 par le prince Galitzine et estimée 110 000 dollars), la pendule Aldobrandini du lot n° 364 (estimée 385 000 dollars, image en couverture du catalogue) ou le lot n° 365, une autre pendule, datée de 1825, estimée 495 000 dollars et impressionnante par sa décoration autant que par ses dimensions. Hormis la montre de poche « Louis Audemars Grande Complication » de 1908 (lot n° 366, estimé 275 000 dollars), la fin du catalogue a nettement moins d’intérêt, même le tourbillon 250e anniversaire du lot n° 388 (estimation : 330 000 dollars)... |