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Des chiffres et des lettres, mais aussi des index et des aiguilles, des quantièmes et des lunes : la grammaire de l'algèbre horloger est d'une incroyable richesse sémantique.
On l'a vérifié hier aux enchères sous le marteau d'Aurel Bacs : l'équation n'a pas vraiment de limites quand les coefficients multiplicateurs sont bien posés...
POUR CES CHIFFRES DU MARDI, VOTRE QUOTIDIEN DES MONTRES VOUS INVITE À COMPTER...
1)
••• 3,8
MILLIONS DE FRANCS SUISSES SOUS LE MARTEAU D'AUREL BACS...
4,3 millions avec les frais : c’est le record du monde pour une montre Breguet aux enchères (pas pour une pendule), mais c’est un score auquel on pouvait s’attendre (Business Montres tablait dès le 10 avril sur les « quatre ou cinq millions » pour cette Breguet n° 2667). On aurait même pu aller plus haut si le musée Patek Philippe – sous-enchérisseur final contre le musée Breguet – avait décidé d’insister, mais Philippe Stern s’est arrêté à 3,7 millions, alors qu’il savait parfaitement qu’une telle occasion ne pourrait plus se représenter sur le marché (les deux autres montres de cette série sont au musée de Jérusalem). Explication de ce retrait inattendu : après avoir éliminé la « menace » de collectionneurs privés (dont Jean-Claude Biver), Philippe Stern – qui avait très bien repéré que son seul adversaire était le musée Breguet – a estimé d’autant plus légitime la prétention de Breguet à s’adjuger cette pièce qu’il savait tout aussi parfaitement que la montre serait exposée pour le grand public et qu’elle nourrirait de nouvelles recherches sur l’art de Breguet et les racines de l'horlogerie mécanique. On sortait donc d’un contexte de spéculation marchande. La logique de diffusion de la « culture horlogère » et l’intérêt pédagogique collectif l’ont donc emporté sur l’instinct territorial – ce dont chacun se félicitera...
2)
••• 8
ÉTOILES QUI VALENT 300 000 FRANCS SUISSES (SOUS LE MARTEAU)...
Soit 363 000 francs suisses avec les frais ! Pas mal pour une petite Oyster trois aiguilles (lot n° 268 de la vente Christies : alerte Business Montres du 13 mai)... C’est le double de l’estimation haute et c’est désormais la cote des Rolex étoilées à cadran « Bao Dai » dans un état de netteté impeccable. En revanche, on remarquera que les « jolies petites Rolex en fin de catalogue » (n° 410 et n° 411) n’ont pas trouvé acquéreur, peut-être parce qu’elles étaient trop pimpantes (voire tape-à-l'oeil) : Business Montres s’était interrogé à leur sujet, en précisant que « l’instinct des collectionneurs serait déterminant » et que ces montres ne tiendraient leurs objectifs que « si les amateurs avaient le sentiment qu’elles sont vraiment sincères ». L’instinct et le sentiment du marché ont parlé : les bricoleurs qui proposaient ces Rolex ont dû les reprendre – mais c’est Christie’s qui n’aurait pas dû les prendre dans son catalogue...
3)
••• 28
« FERMIERS » D’ALPAGE (DONT JEAN-CLAUDE BIVER) QUI PLEURENT LEUR CHALET...
Un incendie a ravagé le chalet fromager de la Neuve, qui était le plus célèbre des chalets d’alpage horlogers : c’est là que Jean-Claude Biver (Hublot) faisait fabriquer le fromage de ses vaches qu’il faisait déguster dans la monde entier et c’est là qu’il mettait en scène la désalpe la plus médiatisée de l’univers du luxe. Les 28 propriétaires de la Société d’Alpage de Blonay n’ont plus qu’à tout reconstruire. Ne pas y voir de cause à effet paranoïaque, mais cet incendie s’est déclaré à l’instant même où Jean-Claude Biver tentait de mettre le feu aux enchères genevoises, en tentant personnellement d’acquérir la montre à double mouvement Breguet, contre le musée Breguet et contre le musée Patek Philippe...
4)
••• 30
MILLIONS DE FRANCS SUISSES QUI SONT RÉCLAMÉS PAR LE SWATCH GROUP À L’UBS...
On savait qu’il y avait un gros différent entre le Swatch Group et ses banquiers, notamment l’UBS, accusée d’avoir fait perdre beaucoup d’argent à la trésorerie du groupe, du fait de placements hasardeux. La conciliation tentée fin 2010 ayant échoué, l’enjeu est désormais à 30 millions de francs suisses, réclamés par Nick Hayek devant le tribunal de commerce de Zurich. Deux témoins numéros un de l’excellence helvétique (la banque et la montre) qui s’affrontent devant un tribunal suisse : pas banal, mais logique ! La famille Hayek – le père hier, le fils aujourd’hui – n’a jamais aimé l’arrogance parasitaire (et souvent anti-économique) des banquiers suisses : sans le savoir, Nick Hayek redécouvre l’ancienne distinction aristotélicienne de l’économique (l’argent pour échanger) et de la chrématistique (l’argent pour l’argent)...
5)
••• 33
MILLIONS (DE DOLLARS) D’ENCHÈRES QUI SONT ADJUGÉES CHEZ CHRISTIE’S...
Le dollar étant l’unité de compte internationale pour les enchères horlogères - c’est d’autant plus bizarre que la plupart des records ont été adjugés en francs suisses ! -, c’est le montant atteint, sous le marteau d’Aurel Bacs (hors frais), pour les enchères Christie’s du printemps. Un total qui n’étonnera pas les lecteurs de Business Montres (14 mai), qui les avait anticipés. Les chiffres détaillés ne sont pas encore disponibles, mais il y avait 414 lots : très peu ont été repris (probablement moins de 5 %). Un certain nombre de records du monde ont été battus pour différents types de montres, notamment celui d’une montre Breguet aux enchères (4,3 millions pour la « montre plate à deux mouvements » du lot n° 230). On compte, selon nos pointages (faillibles)n huit montres « millionnaires » : un score élevé, qui prouve que les adjudications les plus poussées ont été concentrées sur un petit nombre de pièces exceptionnelles, le marché s’avérant beaucoup plus raisonnable et beaucoup moins explosif que l’année dernière pour les pièces courantes. Un marché devenu très sélectif : si tout se vend bien, ça ne se vend plus au même prix qu’auparavant. Et un marché en pleine mutation : le « clan des Italiens », qui verrouillait l’accès aux plus belles pièces, est désormais clairement à la remorque des nouveaux amateurs asiatiques, dotés d'une force de frappe financière nettement supérieure - ce qui n’a pas empêché les plus avisés de ces Italiens – dont beaucoup sont repartis déçus de Genève – de faire quelques belles affaires -...
6)
••• 37,5
MILLIONS DE DOLLARS POUR LA VENTE DES BIJOUX « SAFRA » (CHRISTIE'S)...
Le second événement Christie’s de la journée était, dans la même salle, la dispersion des bijoux de la collection Safra, le montant de la vente étant reversé par Lily Safra à de multiples organisations caritatives. Ces 37,5 millions de dollars représentent le double de l’estimation initiale ! Une vente de 70 bijoux (diamants, rubis, saphirs) dont Christie’s a su faire un événement mondain genevois et dont l’ambiance chic contrastait de façon assez plaisante avec celle des tâcherons de l’horlogerie, qui avaient mis 414 lots pour parvenir à 30,3 millions de dollars, lesquels sont loin d’être au double de l’estimation initiale. De quoi rafraîchir les enthousiasmes et confirmer la tendance à l’apaisement du marché des enchères horlogères, où il ne faudrait pas que les records d’Aurel Bacs - voir ci-dessus - soient l’arbre qui cache la forêt...
7)
••• 500
MÈTRES D’ÉTANCHÉITÉ POUR LA NOUVELLE VICTORINOX DIVE MASTER 500...
43 mm d’un boîtier taillé pour l’aventure dans les grandes profondeurs, mais avec des bracelets et des cadrans de couleur qui se piquent d’une élégance rugueuse un peu absente de l’offre classique en « plongeuses » (variantes noir, aubergine, marron, gris, vert kaki et blanc). Les index sont parfaitement lisibles, de même que les chiffres surdimensionnés de la lunette tournante. Les aiguilles sont parfaitement fonctionnelles, mis on appréciera tout particulièrement l’aiguille des minutes orange de certains modèles (image ci-dessus). Avec un mouvement automatique, des finitions soignées (satinage soft touch du boîtier, triple anti-reflets, etc.) et une vraie qualité de service (robustesse garantie trois ans), la facture ne dépasse pas les 1 000 euros (675 euros en quartz, dans un boîtier de 38 mm). Que demander de plus à une montre Swiss Made ?
8)
••• 600 000
FRANCS SUISSES (SOUS LE MARTEAU) POUR UNE MOSQUÉE ÉMAILLÉE...
Le prix payé par un marchand italien pour la montre de poche émaillée Patek Philippe du lot n° 186 de la vente Christie’s (780 000 dollars avec les frais) est à étudier de près. L’estimation haute n’était que de 350 000 francs suisses : avec un motif aussi segmentant que la mosquée de Wattayah, dans le sultanat d’Oman (qui n’est pas la plus connue du monde), on aurait donc pu s’attendre à un certain dédain des amateurs. C’est d’ailleurs pour cette raison que les collectionneurs, un instant tentés, ont laissé filer une telle pièce, qui est tout de même une Patek Philippe unique (réf. 864), dotée d’un mouvement ultra-compliqué (répétition minutes, calendrier perpétuel, chronographe rattrapante et phases de lune : une combinaison rare pour un calibre de 16 lignes), signée d’une grande émailleuse, parfaitement documentée et, de surcroît, dans un état impeccable. Une pièce qui vaudrait facilement un million de francs suisses sans ce motif émaillé islamique, qui empêche d’en voir toute la rareté. C’est là que le flair du marchand a joué - il a vu plus loin que les autres - et c’est là que les collectionneurs asiatiques ont montré qu’ils n’avaient pas encore tout compris et qu'il leur restait beaucoup à apprendre : on reverra donc un jour cette montre de poche sur le marché, et sans doute à son vrai prix – à moins qu’elle ne soit préemptée ultérieurement par quelque émir exotique... |