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Suite de notre reportage sur l'America's Cup à Venise (Business Montres du 19 mai), avec une redécouverte, au ras de l'eau, dans des conditions acrobatiques d'équilibre et de survie, de la compétition nautique dans tout ce qu'elle a plus noble : un même bateau pour tout le monde et que le meilleur gagne.
A ce petit jeu, Loïck Peyron (Energy Team-Corum) parvient à tirer sa petite épingle tricolore d'un grand jeu, qui n'est plus réservé à une poignée de milliardaires capricieux.
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••• LA NOUVELLE VISIBILITÉ (LISIBILITÉ)
DES NOUVELLES RÈGLES DE LA PLUS ANCIENNE COMPÉTITION NAUTIQUE DE L’HISTOIRE...
C’est ainsi qu’on peut expliquer le choix d’un multi-coque (catamaran) unique pour tous les équipages, ce qui ne peut que faire émerger le barreur le plus fin du lot. AC 45 pour 45 pieds : 5 hommes d’équipage lancés à 35 nœuds dans le vent, sur un engin qui ne pèse pas un tonne et demi – on imagine les accélérations et la réactivité de cette « Formule 1 » des océans. Pour la Coupe elle-même, après les Word Series, on passera aux choses sérieuses avec l’AC 72 : 72 pieds de longueur, 131 pieds pour le mat et onze hommes d’équipage sur deux flotteurs qui peuvent dépasser les 42 nœuds !
••• Les règles de la course ont été revues pour favoriser son traitement médiatique : avec de tels bateaux, seuls des vents extrêmes (trop forts ou trop faibles) annuleraient l’épreuve. On peut donc garantir des plages horaires fixes aux médias télévisées. De même, le cantonnement du parcours à la fois dans l’espace (les équipages évoluent dans un « couloir » qui favorise la compréhension de la course) et dans le temps (manches plus courtes) permet à l’audience audio-visuelle de mieux suivre, même sans initiation à la régate). Par principe, les courses se tiennent au plus près possible des spectateurs : à Venise comme à San Diego, on pouvait presque toucher de la main les bateaux lors des virements de bord, effectués au rasoir à quelques mètres des quais : l’America’s Cup a désormais tout pour faire vibrer les foules...
••• Ce qui ne pourra que faire vibrer les sponsors, un peu échaudés par l’épisode précédent. D’où la « tournée » internationale des AC World Series (pourquoi pas la France ?) et d’où la magnanimité – tout sauf naïve – d’un Larry Ellison, qui partagera avec Loïck Peyron (Energy Team) tous ses dossiers de R&D et de mise au point du futur AC 72 d’Oracle : cette base de données en open source peut maintenir dans la course une équipe française qui est loin d’avoir fait le plein pour son budget. Larry Ellison s’offre ainsi un challenger réputé (Loïck Peyron est le roi du multi-coque), ce qui ne fera que rendre plus éclatante et encore plus incontestables la possible victoire d’Oracle en septembre 2013 (la Louis Vuitton Cup se courra entre juillet et août, les régates de l’America’s Cup proprement dite étant programmées du 7 au 22 septembre)...
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••• UN AMUSE-BOUCHES VÉNITIEN
QUI A PERMIS DE JAUGER LES QUALITÉS DES ÉQUIPIERS FRANÇAIS...
Loïck et Bruno Peyron n’ont guère eu que trois mois pour préparer cette session des AC World Series, mais ils en sont aujourd’hui sur le podium (troisième place au général) et ils commencent à faire figure de sérieux challengers, non seulement pour le Defendeur américain, mais aussi pour les syndicats concurrents qui peuvent prétendre à la victoire (essentiellement les Néo-Zélandais de Team New Zealand et les Italiens de Luna Rossa, alias Prada). Pour s’en faire une idée, autant enfiler la combinaison d’Energy Team pour monter à bord, non comme équipier en course, mais comme « sixième homme » – c’est-à-dire quelque chose entre le lest, le contrepoids et la possible variable d’ajustement de la gîte quand on est au près...
••• Sur un AC 42, « sixième homme » (prononcer « guest », parce que ce n’est jamais le même), c’est naviguer au plus près de l’équipage, posé sur un filet ultra-souple de 40 cm de largeur, accroché à un bout (écoute) qui vous scie les mains et obligé de courir sur ce filet mou au gré des virements de bord pour maintenir l’assiette du bateau. Poste d’observation privilégié sur les « dobermans » : ce sont les équipiers de Loïck Peyron, ainsi surnommés à cause de leur agressivité nautique (ils ne lâchent rien, et surtout pas la drisse dont ils sont responsables) autant qu’à cause de leur voracité solide ou liquide (le rythme intensif des courses réclame beaucoup de calories et de réhydratation après chaque manche). Ces « dobermans » sont par ailleurs de charmants garçons, vrais sportifs et gouailleurs impénitents...
••• Toute expérience avec ces « dobermans » est marquante : quoiqu’il porte son Admiral’s Cup au poignet pendant toutes les compétitions, Loïck Peyron égrène le compte à rebours sur la base de ses instruments et de son évaluation des distances. Au « zéro » de son commandement, la manœuvre s’effectue prestement, avec une explosivité stupéfiante : les virements s’opèrent à la seconde dans le mouchoir de poche décidé par le barreur, qui a non seulement l’œil, mais aussi l’expérience des plans d’eau, de leur clapot sournois et de leurs couloirs de vent inattendus. Le « sixième homme », casqué et botté de néoprène, caparaçonné dans son gilet de sauvetage, fait ce qu’il peut pour suivre le mouvement sans trébucher dans le filet et sans (trop) se fracasser tibias et rotules sur la poutre de fibre de carbone qui lui interdit tout espoir d’échapper à la bande de 40 cm où il joue sa survie. Une amélioration par rapport au « dix-septième homme » qu’on était à bord des anciennes coques Class America : en AC 42, c’est plus sportif et, surtout, c’est plus silencieux, sans les craquements de tonnerre des voiles en carbone...
••• À la pause, Loïck Peyron s’offre une ou deux cigarettes, ses « dobermans » dévorent tout ce que le bateau d’assistance leur a jeté en pâture (sanwiches et boissons énergétiques : ci-dessus), un mécano s’empresse pour revisser un élément affaibli dans le winch, on discute tactique, on se refait le match, on prend des bonnes décisions et on se reconcentre tout en se décontractant. Pas un mot plus haut que l’autre : on est entre grands professionnels et le calme d’un Loïck Peyron est épatant, dans la victoire comme dans l'insuccès. Le « sixième homme », lui, se repose à calfourchon sur la poutre centrale et tente de calmer les battements de son cœur en métabolisant son adrénaline. Pas facile...
••• Et Corum dans tout ça ? On porte la marque sur son cœur (du moins, à droite) avec l’uniforme de l’équipage. On a la marque sous les yeux tellement elle tient de place sur le mât-aile – qui a dû être inventé pour que les sponsors puissent placer leur logo sans qu’il soit déformé par la toile (ci-dessus). On ne peut que voir la clé de Corum, sur vingt mètres de haut, sur le gennaker hissé au portant. En se penchant sur les flotteurs, d’autres marquages Corum affrontent les embruns. Carton plein, surtout avec la montre du barreur, mais les équipiers ont laissé la leur au vestiaire, au profit de cadrans digitaux plus faciles à lire en compétition...
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