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STORYTELLING : Splendeurs et misères du « contenu de marque »
 
Le 26-06-2012
de Business Montres & Joaillerie

Une bonne histoire de glaçons arctiques pour nous rafraîchir les neurones aux premiers jours de l’été : Dassault Systèmes tente et réussit une des plus belles histoires de « contenus » jamais imaginées dans l’univers de la communication contemporaine. Décodage et perspectives pour les montres…

La semaine dernière, Business Montres racontait les bonheurs et les malheurs du « grand récit historique », désormais soumis aux examinateurs sourcilleux des moindres références avancées par les marques ou exposées aux fluctuations du politiquement correct. Un pas en avant vient d’être franchi dans le storytelling avec le lancement d’Ice Dream, un grand « documentaire » (du moins, ça y ressemble) imaginé par Dassault Systèmes pour présenter son savoir-faire en matière d’expériences 3D et d’univers virtuels. 51:45 minutes d’un grand récit, qui s’appuie à la fois sur un projet existant (le rêve d’un iceberg qui serait remorqué de l’Arctique vers l’Afrique qui meurt de soif) et sur une imagerie ultra-réaliste, quoique digne des meilleures productions de science-fiction.

••• C’est sans doute la plus grand opération de storytelling jamais tentée à l’ère de la communication moderne : elle achève un cycle autant qu’elle en refonde un autre. Après ce « documentaire », on regardera d’un autre oeil les petits films viraux tentés ici ou là, de même que les propositions plus ambitieuses, mais encore trop centrées sur la marque, ses codes et ses produits. Les magnifiques séquences polaires d’Ice Dream, les vues plongeantes d’éhlicoptères, les explications techniques, le réalisme de l’ambiance illustrent parfaitement la virtuosité des équipes de Dassault Systèmes et leur savoir-faire exceptionnel - c'est le but de l'opération -, mais elle repousse aussi très loin les limites de ce qu’une marque peut créer pour étoffer son discours et nourrir son image.

••• Le décryptage sommaire de l’opération Ice Dream en souligne les apports. Le budget n’est sans doute pas aussi pharaonique qu’on peut l’imaginer, si on le compare aux coûts de production d’un grand film publicitaire, du type de ceux qui nous proposent les compagnies aériennes, les marques automobiles ou les marchands de sandwiches. Même constat si on compare ce film aux publicités pour la presse écrite et à l’achat d’espace qu’elles réclament en plus de production. On aura noté que ce « documentaire » - comment le qualifier autrement ? - est co-produit par différentes chaînes de télévision, alors que c’est une pure opération promotionnelle. On y réussit à masquer la marque (Dassault Systèmes) derrière le produit (virtuosité logicielle), qui n’est d’ailleurs lui-même évoqué que très allusivement derrière le spectacle généré par cette virtuosité. Le medium, c’est le message : c’est plus vrai que jamais ! Dassault Systèmes réussit à s’imposer comme un expert de la 3D créative, mais c’est le spectateurs qui fait le lien, la marque se contentant de présenter le contenu et de le faire apprécier.

••• Le tout avec la plus grande liberté d’accès au message : seuls les volontaires peuvent visionner ce film (trois essais avant de devoir acheter le DVD) et ils le font au moment de leur choix, dans le lieu et sur le support de leur choix. Il se crée ainsi, en toute connivence, une vraie transparence de l’opération, sans pression commerciale et avec un émetteur qui n’est pas masqué pour une révélation in extremis. On ne recherche pas ici la puissance, mais l’influence : ne pas oublier que nous sommes dans une opération B2B (Business to Business), puisqu’aucune ou presque des millions de personnes qui visionneront ce « documentaire » ne sera une cliente potentielle. En termes de retour classique sur investissement, on doit être proche de zéro avec les indicateurs classiques (coût au mille/décision d’achat). En revanche, en retour d’image, en imprégnation lente des valeurs de Dassault Systèmes (expertise numérique, densité créative, inventivité marketing) et en capacité à convaincre, on est proche des 100 % d’efficacité – sachant, de plus, que quelques prescripteurs de commandes se glisseront dans les spectateurs…

••• C’est bien, mais qu’est-ce que ça nous fait, à nous horlogers ? La question de ces « contenus de marque » commence à se poser un peu partout, du moins chez ceux qui ont compris que le classique (et obsolète) packshot marque-produit-base line dans la presse écrite avait du plomb dans l’aile. Il y a quelques mois, Cartier avait apporté une réponse créative à cette question : son Odyssée de Cartier repoussait loin tous les concurrents (Business Montres du 2 mars). Ice Dream va beaucoup plus loin et, comme tous les événements fondateurs, change la règle du jeu : un tel « documentaire » ouvre considérablement le jeu en libérant le champ des possibles. On peut aller très loin dans le storytelling – et nettement décaler son message du core business – si on s’en tient à un cadre logique (le médium, c’est le message) et si on démontre véritablement son « pouvoir de dire » en même temps que son « savoir dire »…

••• Au premier regard, aucun rapport entre les icebergs et Dassault Systèmes : sauf que… ça fonctionne très bien, l’important n’étant pas dans ce qui est raconté, mais dans qui le raconte, comment et pourquoi. On pourrait donc imaginer des sagas signées Rolex sur l’audace du temps au poignet ou des « documentaires » signés Patek Philippe sur l’art mécanique. Beaucoup d’autres exemples seraient à citer, à commencer par les « contenus » aériens mis en piste par Breitling et qui commencent à faire tâche d’huile pour totalement imprégner l’imaginaire contemporain. Après un demi-siècle de marketing à outrance, les neurones des consommateurs avancés – fils de pub et héritiers de la société de consommation – commencent à saturer vis-à-vis des marques, qui paient déjà leur arrogance passée et qui se profilent aujourd’hui très bas en s’affirmant relationnelles et conversationnelles. Cette posture ne suffit plus : on attend aujourd’hui des émetteurs – surtout s’ils se veulent plus horizontaux que surplombants – qu’ils soient aussi des producteurs de belles histoires, qui aient du sens, qui soient ludiques et qui génèrent de nouveaux plaisirs.

••• Rien ne vaut un bon glaçon à l’approche de l’été : en plus de nous divertir et de nous faire rêver de cette banquise qui éteint la soif, Dassault Systèmes nous rafraîchit les idées ! Pas sûr que ce soit si involontairement subliminal que ça…

 



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