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L’HABILITÉ STRATÉGIQUE DE NICK HAYEK…
 
Le 17-07-2012
de Business Montres & Joaillerie

••• Le respect élémentaire du droit de la concurrence et des règles usuelles de la liberté d’entreprise auraient sans doute mérité, pour ce qui concerne la Comco, une autre approche et un peu plus d’autonomie dans la rédaction de cette convention, qui ne peut que pousser les marques au refus et au durcissement face aux intentions de ne plus livrer du Swatch Group. Ce durcissement du « front du refus » était peut-être le but de la manœuvre, la faiblesse des marques tierces dans ce bras-de-fer ne leur laissant quasiment aucune capacité de manœuvre : la lâcheté des uns et le découragement des autres éroderont vite ce « front du refus » et consacreront la victoire de Nick Hayek, qui aura réussi, par son habileté, à faire plier la branche…

••• Au nom des principes d’une économie libre, Business Montres a toujours défendu la même position dans ce dossier. Nick Hayek est dans son droit d’entrepreneur le plus strict quand il entend adapter sa politique industrielle à ses intérêts stratégiques : rien ne peut l’obliger à procurer des avantages à ses concurrents en leur vendant à bas prix des mouvements ou des assortiments réalisés dans ses propres usines. Son raisonnement est donc impeccable quand il annonce son intention de changer les règles du jeu de ces dernières années. Seul bémol à cette volonté d’entamer un bras de fer avec ses concurrents : les accords tacites passés par Nick Hayek, son père, avec les représentants de la branche quand le futur Swatch Group avait pris en charge la survie et le destin des usines ETA ou Nivarox. Il était alors entendu que le groupe continuerait ne varietur ses livraisons.

••• Alors, c’était alors ; hier, c’était hier… En trois décennies, le paysage horloger s’est transformé. Depuis cet « alors », le Swatch Group – qui n’était qu’un conglomérat industriel – s’est structuré en groupe de luxe autour de valeurs commerciales et marketing qui relèguent la part industrielle de son activité à des considérations subalternes. Sauf que la tentation est grande, pour maximiser les profits, d’utiliser l’arme industrielle pour faire plier des concurrents qu’on voir grandir et proliférer sans pouvoir contrôler le marché : si TAG Heuer, si Bvlgari, si Sellita ou si tant d’autres clients du groupe n’en venaient pas représenter une menace pour les bastions du nouvel empire horloger, la question des mouvements et des assortiments ne se poserait pas. Faute de vouloir investir dans sa branche industrielle, et toujours pour créer de la valeur pour ses marques, le Swatch Group a choisi de gérer la pénurie à son profit en réorganisant les flux d’allocations de mouvements : c’est sa liberté d’action stratégique et c’est parfaitement légitime de son point de vue.

••• Plus malin encore : Nick Hayek a opté pour l’appel à la Comco. On sait qu’il n’y compte pas d’ennemis, au contraire, et que Johann Schneider-Ammann, le responsable confédéral de la Comco, est un vieil ami qui connaît bien le dessous des cartes de l’industrie. On ne sera pas naïf au point de croire que Nick Hayek s’est tourné vers la Comco par altruisme à l’égard de ses concurrents. C’est pour lui un moyen de désamorcer provisoirement les critiques et de se refaire une sorte de virginité médiatique à ce sujet. Il ne lui restait plus qu’à suggérer - pour ne dire : dicter - aux fonctionnaire de la Comco le texte d’une convention amiable capable de donner le change : là où la brutalité initiale avait obligé la Comco à édicter des mesures provisionnelles qui accordaient un délai aux marques tierces, la méthode douce offre au Swatch Group, sur un plateau d’argent, les moyens d’étrangler ses concurrents avec la bénédiction des autorités économiques de la Confédération. Bravo, l’artiste, c’est bien joué…

••• Si le Swatch Group a le droit d’agir au mieux de ses propres intérêts - ce dont il ne se prive pas -, ses concurrents ont le devoir de se défendre et de défendre les intérêts de leurs entreprises par tous les moyens dont ils disposent. Les recours légaux engagés dans la première phase du combat étaient assez dérisoires. ils ne réglaient cependant pas la question du quasi-monopole historique du groupe sur les mouvements « industriels » et sur les spiraux « industriels ». Est-on sûr d’avoir proposé une alternative globale crédible à cette situation ? Chaque grande marque s’est empressée de se lancer – dans le désordre et sans concertation – dans l’étude de ses propres calibres, ce qui est logique, mais économiquement aberrant - le passé des années pré-quartz a prouvé que c'était même suicidaire. De même qu’on met actuellement au point le démembrement des réseaux bancaires entre services de dépôt et services financiers spéculatifs, on aurait pu imaginer un « Yalta du mouvement » qui aurait sanctuarisé, hors du groupe, une mutualisation des moyens industriels de l’horlogerie suisse ou la reprivatisation des activités jugées sensibles. Le foisonnement brouillon des initiatives individuelles a fini par faire perdre de vue l’enjeu du « coup de force » opéré par le Swatch Group : l’accès facilité à une source de mouvements mécaniques de base dont le prix compétitif et la fiabilité dopent la créativité marketing et la dynamique commerciale des marques.

••• La parole est maintenant aux marques concernées par cet accord qui n’est amiable que pour le Swatch Group et les autorités suisses de la Comco, qui n’ont pas prouvé par sa rédaction leur clairvoyance. On peut imaginer de nouveaux recours juridiques, mais il est probable que seule une montée de la pression politique – au plus haut niveau, confédéral et européen – peut faire évoluer la Comco pour donner aux marques tierces un peu d’oxygène avant que d’autres solutions industrielles soient mises en place : c’est tout au plus une question de trois ans, pour les mouvements comme pour les spiraux. Trois ans de patience, est-ce vraiment si intolérable pour le Swatch Group, dont l’activité industrielle ne pèse que décidément très peu dans les résultats annuels ? De toute façon, l’absence de capacités mise en avant par le Swatch Group pour justifier sa décision risque fort de n’être plus qu’un prétexte obsolète si la crise revient s’inviter dans les vallées horlogères : on peut parier que les marques du groupe auront soudain moins besoin de truster tous les mouvement disponibles et qu’ETA adoucira ses conditions pour les marques tierces…

 



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