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Les contrecoups du taux plancher ne sont pas où on le croit
 
Le 07-09-2012

En défendant la limite de 1,20 franc pour 1 euro, la BNS contribue à la guerre des monnaies

En Suisse, certains observent avec inquiétude le gonflement du bilan de la Banque nationale suisse (BNS). Et pour cause, il enfle à une vitesse quasi exponentielle: ses réserves de change sont passées à 409 milliards de francs en juillet dernier, contre 188 milliards un an plus tôt. Pourtant, l’institution ne peut pas faire faillite, elle peut vivre avec des fonds propres négatifs, et le risque d’inflation peut, pour l’heure, être clairement écarté.

Un an après sa mise en place, le taux plancher apparaît, vu de Suisse, comme un succès. Car les conséquences, en réalité, sont payées ailleurs. En jargon économique, on parle d’externalités négatives.

La Suède et la Norvège font partie des «victimes» de ces effets indésirables. Ces deux pays ont en commun avec la Suisse d’être des économies plutôt en bonne santé avec un chômage et un endettement faibles. Dans le contexte actuel de crise de la dette, ce dernier élément a été un encouragement pour les investisseurs en quête d’un nouveau refuge depuis que la BNS leur a barré la route du havre suisse. Ainsi, ces deux Etats se retrouvent aux prises avec une monnaie qui s’est largement appréciée (5,8% pour la Norvège et 6,2% pour la Suède depuis le début de l’année), menaçant leur secteur d’exportation, dont la contribution est, là-bas aussi, particulièrement importante pour le PIB. Sans parler de mettre un taux plancher ou de prendre des mesures non conventionnelles, les deux banques centrales nordiques sont forcées de garder des taux bas pour limiter cette flambée, alors que leur économie nécessiterait des taux plus hauts. Arrimée à l’euro, la couronne danoise a peu varié, mais la banque centrale danoise a, elle aussi, dû s’essayer à l’exercice délicat de l’intervention sur le marché des changes pour éviter un envol de sa monnaie.

Les Scandinaves ne sont pas les seuls à se trouver aux prises avec une monnaie qui grimpe plus qu’ils ne le souhaitent. Le Canada et l’Australie, par exemple, en font aussi la désagréable expérience, quoique dans une moindre mesure.

Ainsi, la mise en place du taux plancher pour sauver l’économie du naufrage ressemble de plus en plus à la contribution helvétique à la guerre des monnaies.

Autre conséquence imprévue de l’action de la BNS, l’exacerbation de la crise dans la zone euro. Du moins, de l’avis de certains. Partant du principe que la banque centrale se concentre sur des obligations de pays considérés comme sûrs, l’Allemagne en tête, Philippe Askenazy estime qu’«elle accentue les différentiels de taux payés par les Etats européens. Si elle ne l’a pas provoquée, la politique monétaire helvétique approfondit la crise européenne.» Le directeur de recherche au CNRS, qui s’exprimait dans Le Monde, n’est pas le seul à le penser. L’idée que les Suisses ajoutent de l’huile sur le feu européen commence à faire son chemin.

On peut douter du bien-fondé de cette critique. L’institution dit agir avec prudence. Lorsqu’elle veut par exemple diversifier davantage son portefeuille, elle s’arrange pour que cela n’ait pas d’impact sur le marché, en intervenant à petite dose, par exemple. Elle fait également attention à ne pas se tourner vers des pays qui souffrent déjà d’une appréciation de leur propre taux de change.

Mais surtout, comment être sûrs que la BNS influence à elle seule les taux d’intérêt payés par l’Allemagne? Elle a une attitude pro-cyclique certes, renforçant les tendances sur le marché de la dette de la zone euro. Mais même en rachetant des euros par milliards, il faudrait un poids énorme pour influencer un marché obligataire aussi profond que celui de l’Allemagne. En 2010, sa taille était de plus de 2600 milliards d’euros, selon des statistiques de la World Federation of Exchanges (emprunts souverains et de sociétés). Aucun doute qu’il a encore augmenté depuis.

La Suisse, «Chine de l’Europe», pointée du doigt parce qu’elle manipule sa monnaie. A un détail près: la BNS ne maintient pas son taux de change à un niveau sous-évalué pour favoriser les exportateurs. Elle a empêché une appréciation supplémentaire qui aurait été fatale. La différence est cruciale, mais elle est en passe d’être oubliée. L’annonce de la BNS, le 6 septembre 2011, avait pu surprendre. Mais dans les capitales européennes, la mesure – d’urgence – avait été comprise.

Un an après, ces bonnes raisons ont pu être oubliées. L’insolente santé apparente – elle a finalement été rattrapée par le ralentissement au deuxième trimestre – de l’économie helvétique au milieu d’un continent à la peine n’arrange rien.

Nul doute que le taux plancher constitue encore un filet de sécurité essentiel pour les entreprises helvétiques. Mais ces critiques et ces développements sur le marché des changes sont encore une bonne raison pour la BNS de penser à sa stratégie de sortie du taux plancher.

Mathilde Farine
LE TEMPS

 



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