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Le groupe a tenu son assemblée générale. Johann Rupert a précisé quelques points clés sur la croissance actuelle.
«Nous avons eu beaucoup de chance.». Le président et dirigeant du groupe de luxe genevois a accordé quelques minutes à quelques journalistes mercredi, à l’issue de l’assemblée générale, et c’est par cette litote que Johann Rupert a traduit la construction de Richemont sur un quart de siècle. «Nous avons maintenant la chance que les Chinois veulent des montres mécaniques suisses. Nous avons la chance que nos maisons y soient très désirées.» En discussion avec les rares médias présents, Johann Rupert - entouré de Richard Lepeu, actuel président exécutif adjoint et Garry Saage, directeur financier - s’est passablement étendu sur la question chinoise, si centrale dans les débats sur l’avenir du luxe.
Faut-il craindre un atterrissage? Pour le dirigeant sud-africain, l’interrogation n’a pas vraiment lieu d’être. Et de citer l’expansion phénoménale des régions intérieures. Le groupe prévoit-il d’étendre encore son réseau de distribution en Chine? «Nous allons où se trouve l’argent. La seule limite est qualitative, uniquement des centres de commerce classés AAA». Le dirigeant sud-africain mentionne a contrario des régions à forte croissance où le groupe n’est volontairement pas implanté comme le Lagos ou l’Angola.
La chance est parfois une prise de risque au bon moment. L’élément clé de la construction du groupe par exemple. «La reprise (pour quelque 3 milliards de francs) de LMH (Jaeger-LeCoultre, IWC et Lange & Söhne) il y a 11 ans a vraiment marqué une rupture («a big ice breaker»). Cela nous a permis d’entrer dans le coeur de la production horlogère. Aujourd’hui encore, une maison comme Jaeger- LeCoultre fait partie des maisons les plus intégrées de toute l’industrie. » Le coup de chance annexe est venu à l’époque de l’entrée de Vivendi dans Canal+. Richemont était alors actionnaire de la chaîne payante et réalise une transaction à plus d’un milliard d’euros. «Nous avons pu vendre au plus haut - et financer l’acquisition.»
Les propos sur la chance ont aussi servi de commentaire sur les chiffres intermédiaires, publiés hier. Qu’en est-il de l’interrogation persistante du marché sur un possible risque de sur-stockage? «Nous n’avons aucun problème d’inventaire. La rotation des stocks est bonne.»
Interpellé sur la question européenne, Johann Rupert a tendu le ton: «Cela n’a rien de passager. La crise est structurelle.» Un contrepoint: la faiblesse de l’euro favorise la consommation des touristes chinois en Europe.
Le reste est venu en vrac. Les contacts de Johann Rupert avec la presse sont rares et souvent imprévisibles. Le reste des réflexions est donc venu en vrac.
Le Swiss made? Le dirigeant défend le savoir-faire en Suisse. La décision de Swatch Group de réduire (avant de les stopper) les livraisons de composants et de mouvements aux tiers? «Nous sommes en empathie avec Swatch Group. Nous avons toujours été en bons rapports avec la famille Hayek et nous comprenons leur décision. Nous savons ce que cela signifie d’investir dans l’appareil de production - le groupe a créé 2000 emplois en deux ans en Suisse.» Dans les faits, l’interrogation sur les approvisionnements doit néanmoins persister. Toutes les marques de Richemont ne sont pas intégrées (ou pas complètement intégrées) et le groupe reste un client important de Swatch Group sur les mouvements, en particulier pour sa marque moyen de gamme, Baume & Mercier. Johann Rupert a encore fait part de sa conviction que l’industrie horlogère suisse fonctionnera toujours sur un principe de partage de spécialités et de capacités de production. A l’exemple du fabricant de cadrans Stern, propriété de Richemont, mais disponible aux commandes externes. Avec des réserves de liquidité de quelque trois milliards de francs, la question persistante reste l’expansion du portefeuille de marques. Richemont était par exemple vu en repreneur potentiel de Bulgari, repris par LVMH. Est-ce un échec? «Pourquoi avoir Bulgari quand on a Cartier et Van Cleef & Arpels? Notre travail est de créer du goodwill, pas de l’acheter!» Quid des acquisitions en vue? «Beaucoup d’envie, mais rien n’est disponible!»
Quant à l’assemblée générale proprement dite, elle s’est déroulée à l’image d’un mot en aparté du porte-parole, Alan Grieve: «Je vous promets qu’il n’y aura aucun imprévu. » Toutes les propositions ont en effet été acceptées (dont la réélection complète du conseil et le dividende de 55 centimes par action) et la séance, en pure formalité, a été achevée en à peine une demi-heure. La seule interpellation a porté sur le manque de femme au conseil (une seule membre dans la composition actuelle). Le président a abondé dans ce sens: «Le problème est que tout le monde recherche les dirigeantes de talent. Elles sont rarement disponibles. Mais la prochaine génération devra peut-être faire l’inverse et chercher des talents masculins.»
Attentes dépassées sur cinq mois
Les chiffres de Richemont sur cinq mois, présentés mercredi, ont été unanimement perçus dans la continuité des annonces précédentes - le groupe avait procédé à un avertissement sur bénéfice positif dans le courant de l’été. A savoir une normalisation des ventes à haut niveau et un recul légitime de la croissance en raison d’une base de comparaison extrême (+35% à la même période l’an dernier).
Les craintes éventuelles ont toutes été rappelées dans les notes publiées mercredi. A commencer par le risque d’inventaire et de surstockage. Une sorte d’effet accordéon dont la branche horlogère a largement souffert lors de la crise du luxe de 2009. Un mécanisme lié à l’amplification des anticipations de ventes aux différents niveaux de la distribution. Dans les chiffres, Richemont semble plutôt à l’écart sur cette question. Johann Ruppert l’affirme (lire ci-dessus). Citi semble le souligner également en relevant que la progression de Richemont sur cinq mois, jusqu’à fin août, se situe vers 13%, supérieur aux attentes, mais en-dessous des 16% apparaissant dans les statistiques d’exportation de l’industrie horlogère suisse. Le sentiment dominant sur le titre reste la prudence. Pour deux raisons. La première reste la somme d’incertitudes phénoménale touchant l’évolution macro sur l’ensemble des débouchés principaux, Europe, Etats-Unis, Asie. Ce que corrobore la direction de Richemont. Une position conservatrice ceci dit plus traditionnelle que circonstancielle qui apparait dans tous les communiqués résultats du groupe. Johann Ruppert, président exécutif et non-exécutif, réitère le message cette fois. Dans les faits, la première partie de l’année a été positive en Europe (+19%), reflétant l’importance du tourisme asiatique selon Citi.
L’autre grand motif de prudence est un effet direct de 2009 et de la volatilité fulgurante dont ont fait preuve les titres luxe. Richemont n’a pas fait exception. Une réplique n’est jamais exclue, même si les brokers continuent d’afficher une confiance solide dans le potentiel de croissance des valeurs principales. Citi en particulier confirme son discours positif sur Richemont et sa capacité à croître au-delà du marché, même dans un contexte difficile. Un momentum continu, porté par le poids-lourd du groupe, Cartier (près de 70% du chiffre d’affaires global), et une valorisation notée attractive par Citi, qui classe le titre parmi les «EMARP» (Emerging markets at reasonnable price).
Stéphane Gachet
AGEFI
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