|
Le Seco vient de baisser ses prévisions pour 2012. Eric Scheidegger, le nouveau chef de la Direction de la politique économique, s’explique et appelle à poursuivre les réformes
Le ralentissement conjoncturel international touche désormais la Suisse. La semaine dernière, le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) a ramené ses prévisions à un taux de croissance de 1% pour 2012, contre 1,2% prévus cet été.
Le Temps: Le Seco avait prévu une meilleure fin d’année 2012. Qu’est-ce qui s’est révélé faux?
Eric Scheidegger: Vous vous souvenez de l’été 2011 très difficile et des menaces sur l’économie suisse à cause du renchérissement du franc. Puis, il y a eu le 6 septembre avec l’intervention de la Banque nationale suisse (BNS) qui a fixé un taux plancher de l, 20 franc pour un euro. Mais on ne savait pas si ce taux allait stabiliser l’économie suisse durant les mois suivants. Pendant la deuxième partie de l’année 2011, on entendait souvent l’industrie, notamment celle des machines, se faire de grands soucis. Or, le secteur d’exportation a été plus capable que prévu de s’adapter à ce défi du franc fort. Mais les marges et les profits ont continué à baisser, pour plusieurs secteurs d’activité. Depuis le début de l’année, nous observons que le ralentissement touche aussi l’Asie. C’est surtout ce ralentissement de la croissance mondiale qui est à l’origine de notre légère révision vers le bas des prévisions pour 2012.
– L’économie suisse croît néanmoins mieux que les pays voisins. Cela peut-il durer dans la mesure où même l’Allemagne, moteur de l’UE et principal partenaire commercial de la Suisse, montre des signes de faiblesse?
– A court terme oui, mais pas sur plusieurs années. Si nous partons de l’hypothèse que la croissance en Europe sera faible pour un certain temps encore, cela affectera la dynamique d’expansion de la Suisse. Durant les dernières années, grâce notamment à l’absence de grands problèmes structurels, la Suisse a pu profiter de la croissance mondiale avant la crise de 2008 et de la reprise depuis 2009-2010. Notre capacité d’adaptation et de réaction a été impressionnante.
– Dans son rapport annuel sur la Suisse, le FMI salue la BNS qui a fixé le taux plancher de 1,20 franc pour un euro, tout en disant qu’il s’agissait d’une mesure temporaire. Quelles sont les conditions nécessaires pour un retour à l’avant-6 septembre 2011?
– La BNS doit rester indépendante dans ses choix. Les conditions à remplir pour un retour à l’avant-septembre 2011 sont multiples. La BNS vient de constater que le franc était encore surévalué. Elle a en même temps confirmé qu’elle défendra ce taux plancher, parce qu’elle voit encore des risques conjoncturels considérables.
– Des entreprises demandent de relever le taux plancher au-delà de 1,20 fr. Qu’en pensez-vous?
– En économie, il y a un prix pour tout. Défendre le 1,20 franc implique des mesures exceptionnelles. Les coûts et les bénéfices liés au choix de ce cours plancher ne sont pas les mêmes à 1,20 franc, 1,30 franc ou 1,40 franc. Je le répète, c’est à la BNS de se prononcer et de choisir.
– L’an dernier, l’industrie suisse évoquait la délocalisation et la suppression massive des emplois à cause de la cherté du franc. Fallait-il prendre ce message au sérieux?
– Les annonces de potentielles délocalisations doivent toujours être prises au sérieux, car il s’agit de phénomènes irréversibles. Entre août 2011 et août 2010, l’indice du cours de change pondéré du franc suisse avait augmenté d’environ 20%, pratiquement la même appréciation avait été observée face à l’euro. Du jamais vu sur une aussi courte période. On comprend que des entreprises ont eu peur. Avec le cours plancher, la situation s’est stabilisée. Pour concrétiser une délocalisation, d’autres critères, indépendants du cours de change, doivent toutefois aussi être pris en compte.
– L’évolution du dollar constitue-t-elle une préoccupation pour vous?
– Le cours du dollar, puisque beaucoup de monnaies asiatiques et d’autres régions du monde sont liées au dollar, est également important. Nos exportations en dehors de la zone euro ont connu une évolution favorable ces dernières années. Pour le futur, j’ai moins de soucis à ce propos.
– Comment se comportent les consommateurs suisses? La question se pose dans la mesure où le marché intérieur compte pour la moitié du PIB suisse.
– Leur comportement était très positif jusqu’au début de l’année vu que l’économie, et surtout le marché du travail, avait plutôt bien performé en 2011. Ils ont aussi vu qu’il n’y avait pratiquement aucune pression d’inflation, les prix ont même baissé. Les salariés se sont retrouvés avec des salaires réels plus élevés, ce qui les a motivés dans leur comportement de consommation. Depuis le deuxième trimestre 2012, nous constatons une légère détérioration du climat de consommation. Cette détérioration reflète sans doute la dégradation et les risques sur le marché du travail. Pour revenir à votre question, il est important de réaliser qu’une grande partie de la consommation des ménages n’est pas trop dépendante de la conjoncture (loyers, santé, dépenses pour l’énergie et le chauffage, communication). Ces dépenses ne peuvent pas être réalisées à l’étranger.
– Le 31 août 2011, le Conseil fédéral a pris des mesures pour aider l’économie? Ont-elles été utiles?
– Il ne s’agissait pas de mesures contre le ralentissement, mais pour atténuer les conséquences de l’appréciation du franc. La décision du Conseil fédéral a été suivie une semaine après par celle de la BNS de défendre le franc. Le train de mesures du Conseil fédéral a été politiquement nécessaire. Il comprenait aussi des mesures préventives, notamment celle qui visait à aider l’assurance chômage. La crainte était que la hausse du franc allait engendrer une augmentation du chômage et du chômage partiel. Il fallait donc renforcer la capacité de l’assurance chômage en cas de besoin. Le crédit hôtelier a été renforcé parce qu’il n’était pas exclu à l’époque que le secteur se trouve privé du financement. Le marketing de Suisse Tourisme a aussi été renforcé. Non seulement le franc fort dissuadait des touristes européens de venir en Suisse. Mais il encourageait aussi les Suisses à passer leurs vacances à l’étranger. Enfin, il y a eu le financement de la promotion à l’innovation à hauteur de 100 millions de francs.
– La Suisse arrive pour la quatrième année consécutive à la tête du classement 2012 de la compétitivité du WEF. Dans quels domaines peut-elle encore faire mieux?
– En premier lieu, il faut maintenir la volonté de poursuivre des réformes en Suisse. Le Conseil fédéral avait défini dans sa politique de croissance 2008-2011 différentes réformes – fiscale, TVA, l’ouverture du marché de La Poste, assurances sociales, santé. Nous sommes en retard dans tous ces domaines. Il faut aussi maintenir les acquis. J’ai des soucis quand je suis le débat sur la libre circulation des ressortissants de l’UE. Quand il y a 60 000 à 70 000 personnes, qualifiées et surtout des ressortissants de nos pays voisins, qui entrent chaque année dans le pays, c’est très positif. L’an dernier, les étrangers ont largement contribué à soutenir la consommation en Suisse et à faire face à la crise. La somme de toutes les résistances constitue des menaces pour l’attractivité du pays mais aussi pour sa capacité à résister aux éventuelles nouvelles crises.
LE TEMPS
|