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Explication de textes à propos d’un article qui laisse rêveur, tellement il est révélateur de l’obscénité sémantique qui empoisse cette langue de communication qui voudrait tellement se passer pour de l’information : en avant pour la révolution des moquettes !
••• C’est Fashion Mag qui nous annonce cette « révolution », sous la signature de Dominique Muret. Cartier étant une marque sérieuse, non moins que Fashion Mag, on prête forcément attention à une telle annonce. Le titre est alléchant. Profitons de la suite, et de l’image, avant d’entrer dans les détails. Déjà, à la première ligne, on tente de percer l’énigme oxymoristique de ce « décor classique contemporain », qui nous fait découvrir que ce n’est pas une ouverture, mais une réouverture annoncée comme une métamorphose. La suite nous le dira…
••• C’est donc un projet important pour Cartier [on est content pour la marque], mais ce n’est ni la première boutique importante (flagship) pour la marque, qui dispose déjà d’autres cours de récréation à Paris, à New York et à Londres. Curieusement, dans ces cas-là, on ne parle pas des boutiques en Chine : s’agirait-il de simples comptoirs, qu’on nous avait pourtant décrits avec des superlatifs hyperboliques ? Et ça a coûté beaucoup d’argent [à nouveau, on est content pour les actionnaires de la marque]. Évitons le sourire en coin à propos des « temples » de Cartier : depuis 2 000 ans, on sait à quel point les « marchands du temple » sont fustigeables ! Mais continuons et terminons la lecture de ce passionnant « article »…
••• C’est une ré-ouverture par Cartier, dans le même espace de via Montenapoleone : pas d’agrandissement, donc ! Toutes les grandes marques de montres ont plus ou moins une boutique dans cette rue de Milan qui concentre l’essentiel des maisons de luxe. Ce n’est aussi que la neuvième boutique de Cartier en Italie, où on découvre que la marque a fermé Turin et Naples. Et il y a déjà d’autres boutiques Cartier à Milan. C’est là qu’on commence à chercher la « révolution » annoncée…
••• Peut-être faut-il la trouver dans cette « atmosphère qu’on a voulu rendre « la plus accueillante possible » [c'est quand même la moindre des chose : vivement le communiqué d'une marque qui annoncerait la boutique "la moins accueillante possible !] avec « moquettes et tapisseries aux tons neutres ». Là, on croit rêver : le secret oxymoristique du « décor classique contemporain » qu’on nous vantait, c’est les « tons neutres » : damned, il fallait oser ! Le second secret, c’est les « petits salons » privés : la marque Cartier serait-elle à ce point si galvaudée dans le monde que la création de « petits salons » privés annoncerait une « révolution » ? Les « clients les plus importants » n’en peuvent certainement plus d’attendre pour passer sur la « petite terrasse à l’italienne » [en Italie, ça ne doit pas courir les rues !] du dernier étage de la via Montenapoleone (image ci-dessus)…
••• On va s’arrêter là, parce qu’on pourrait croire que c’est du harcèlement ! Bref, de quoi s’agit-il comme « révolution » ? Une énième boutique Cartier en Italie, hyper-énième en Europe et dans le monde. Cette boutique s’offre un petit lifting après neuf mois de travaux : neuf mois, c’est pour un nouveau bébé, pas pour une opération de Botox commercial. On aura finalement dépensé beaucoup de pixels, beaucoup de kilosbytes et beaucoup d’énergie pour une révolution des moquettes aux tons neutres : s’il y a une révolution ici, il faudra la trouver dans les contenus inconsistants (en haut de page : une vraie révolution Cartier, au sens étymologique du terme)…
••• Cette hyperbole sémantique injustifiée et déceptrice révèle une malaise : elle s’avère symbolique de l’obésité d’une communication du luxe qui veut se donner les apparences d’une information sur le luxe. On est dans l’obscénité d’une langue de poix qui englue et déforme les messages, jusqu’à leur faire perdre toute signification et toute logique : le signifiant est devenu in-signifiant. Au lieu de générer du sens, la novlangue de la com’ – remâchée de travers par les médias perroquets – produit de l’encens : c’est peut-être flatteur pour les narines managériales, mais toxique pour la crédibilité du message des marques. Ceci dit, je vous laisse réfléchir là-dessus…
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