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Jean-Claude Biver, président de Hublot, estime que le secteur peut doubler ses exportations. Hublot confirme son investissement de 25 millions de francs à Nyon pour une nouvelle usine
Jean-Claude Biver, figure incontournable du secteur, ne craint pas une nouvelle crise horlogère d’ampleur. En tout cas, la branche ne devrait pas connaître un marasme identique à celui de 2008-2009. Au sérieux coup de frein qui semble se profiler, le président de Hublot lui oppose le terme «d’accalmie bienvenue», après des nombreux trimestres de progression au-delà de 10%. La branche va se consolider à un haut niveau à court terme. A plus longue échéance, les exportations horlogères vont même doubler, prophétise-t-il, à quelque 40 milliards de francs.
Pour sa part, Hublot va connaître une nouvelle année record en 2012. «Et de très loin», se réjouit l’as du marketing, qui a cédé la direction opérationnelle en début d’année pour se concentrer sur la présidence de la marque vaudoise haut de gamme.
Le Temps : En septembre, pour la première fois depuis 30 mois, les exportations horlogères suisses ont reculé. Faut-il s’en inquiéter? Le secteur s’achemine-t-il vers une crise similaire à celle de 2008-2009?
Jean-Claude Biver: Non, je ne le pense pas. Car, à mon sens, les caractéristiques de la période actuelle sont différentes. Les entreprises ont pris conscience qu’une période de fléchissement fait partie d’un cycle normal. Je pense, notamment, aux jeunes managers qui ont vécu à l’époque leur première crise. Ils savent donc y faire face, théoriquement. Ils ont surtout appris que la variable la plus importante réside dans le «sell out», c’est-à-dire les ventes réelles au client final. Il ne faut donc réapprovisionner, achalander les détaillants en montres qu’en fonction de ce qui sort de leurs boutiques.
– Il n’y a donc plus de problème de stocks surabondants?
– Si tout le monde a appliqué ce principe de base, alors non. Ce qui veut dire que les conséquences d’une crise similaire à 2008 seraient alors moins importantes aujourd’hui. Le coup d’arrêt serait moins brutal. En principe, l’horlogerie est donc mieux structurée qu’il y a trois ans pour faire face. Mais là ne réside pas forcément l’essentiel.
– C’est-à-dire?
– J’ai l’impression que le marasme économique ne se concrétisera pas avec la même intensité ou la même violence qu’en 2008-2009. Les gouvernements et les banques centrales en ont aussi tiré les conséquences. De plus, ils ne peuvent plus se permettre une nouvelle catastrophe, alors que dans bien des pays le taux de chômage se situe à 15, 20 ou même 25%. Ils y feront face, avec des plans de relance. La prochaine crise, que l’on nous annonce, sera moins profonde et moins longue que la précédente. Les fondamentaux et les perspectives de l’horlogerie restent solides.
– Vous voilà bien confiant…
– Il faut arrêter de peindre le diable sur la muraille. Soyons sérieux… Dans le contexte difficile actuel, l’horlogerie n’en va pas moins connaître une année record, avec un niveau d’exportations jamais vu. Qui peut en dire autant?
– Le fléchissement est pourtant bien là…
– Certes et je ne le nie pas. Mais il est concentré essentiellement en Chine. Cela s’explique par plusieurs facteurs. D’abord, le processus de renouvellement de l’appareil politique, qui crée des incertitudes et ralentit l’économie de la globalité du pays, pas que l’horlogerie. Les cadeaux commerciaux pour obtenir des avantages, ou simplement en guise de remerciements, ont disparu. Pourquoi offrir un produit onéreux à quelqu’un qui ne sera peut-être plus en place dans deux mois? Ensuite, il convient de redire que les Chinois continuent de fortement acheter des montres à l’étranger. C’est bien la preuve qu’il ne s’agit pas d’un problème général de consommation.
– Mais certaines marques suscitent désormais la défiance, car symboles d’un luxe trop ostentatoire et immoral aux yeux de la population…
– C’est peut-être, en effet, le phénomène des grandes marques de luxe. A force de trop en voir partout, la désirabilité s’étiole. Jusqu’à présent régnait le «moi aussi». Lorsque quelqu’un portait une Omega ou une Rolex, son collègue en voulait également une. Désormais, l’approche est plus sélective, moins bling-bling ou nouveau riche. Il est vrai qu’il y a un début de fatigue pour certaines marques horlogères.
– Est-ce la fin de l’eldorado?
– Absolument pas. La Chine n’est qu’au début de son histoire d’amour avec l’horlogerie suisse. Il est tout à fait normal qu’un marché en développement évolue par palier. C’est d’ailleurs le premier observé en dix ans dans l’Empire du Milieu. C’est même une accalmie bienvenue. A la bourse, on appellerait cela une consolidation. Il n’y a pas du tout lieu de s’affoler, hormis, peut-être, pour les marques qui génèrent plus de 50% de leurs ventes dans ce pays. Toujours est-il qu’il faut rester vigilant et ne pas mettre tous les œufs dans le même panier.
– Que pèse la Chine pour Hublot?
– Sa part est encore très limitée, même si elle a presque doublé cette année, passant de 3 à 5%.
– Donc la confiance règne à long terme pour le secteur…
– Notre branche va continuer de croître. J’en veux pour preuve que dans beaucoup de pays le niveau de vie s’améliore, que les revenus progressent, le bien-être en général ne cesse de croître presque partout sur la planète. Depuis que la montre est devenue un signe extérieur de richesse, de communication et non plus seulement de mesure du temps, nous avons un bel avenir devant nous. Un garde-temps n’est plus seulement fait pour indiquer l’heure, mais c’est un symbole de réussite, d’exclusivité, un objet unique.
– Où en sera-t-on dans dix ans?
– Durant la dernière décennie, les exportations ont doublé. A nouveau l’horlogerie suisse a le potentiel de doubler sur les quinze – ou vingt – prochaines années et de parvenir à 40 milliards de francs d’exportations. La croissance ne sera pas forcément aussi forte en volume, mais en valeur, sans aucun doute. A condition, toutefois, de poursuivre les investissements, d’innover et de renforcer le «Swiss made».
– Comment se porte Hublot?
– Comme un charme. Appartenant à LVMH, groupe coté, je ne puis vous donner les détails. Mais nos taux de progression sont très largement supérieurs à ceux des exportations horlogères - +13,6% sur les neuf premiers mois de l’année, selon la Fédération horlogère. Ce sera tout simplement une année record pour nous, de très loin. Notre chiffre d’affaires a été multiplié par quinze depuis 2004. Il y a huit ans, nous produisions 95% de nos montres en quartz. Aujourd’hui, le mécanique représente 100%.
– Où en est le projet d’extension de votre usine?
– Hublot est encore en attente de quelques formalités administratives. Les travaux pourraient débuter au printemps 2013. L’investissement sera de l’ordre de 22 à 25 millions de francs. Il nous permettra de rapatrier nos activités et nos machines de notre site de Gland. Un doublement de la surface ne signifie ni doublement des capacités, ni des effectifs, mais permettra d’élargir le parc machines et d’intégrer encore davantage des compétences à l’interne. Et d’avoir un peu plus de place pour d’autres activités. Nous sommes un peu à l’étroit maintenant.
– Combien d’employés compte Hublot aujourd’hui?
– Sous peu, nous allons atteindre les 380 personnes. Ce qui veut dire que nous avons engagé soixante employés depuis le début de cette année.
– Et en termes de production?
– Nous devrions parvenir à 32 000 pièces sur l’ensemble de 2012, contre 9000 en 2004.
Bastien Buss
LE TEMPS |