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Audemars Piguet, l'insolence suisse
 
Le 25-09-2007

UNE MONTRE en acier au prix d'une voiture ? Quand Audemars Piguet lance, en 1972, près d'un siècle après sa fondation, la Royal Oak, il sait qu'il choque les esprits. Qu'importe !

Cette insolence, l'horloger suisse, l'un des derniers indépendants, en a fait une marque de fabrique. À l'époque, la maison produit péniblement 5 000 montres par an. Trente-cinq ans plus tard, elle explose tous les ans ses records de vente : 27 000 modèles seront écoulés cette année, dont une majorité de Royal Oak, son best-seller vendu entre 8 000 et...

600 000 euros selon les versions. Un dynamisme soutenu par un marché de l'horlogerie de luxe en plein boom, de New York à Moscou et Shanghaï. Pour bien cerner cet esprit d'audace un peu bravache, un voyage dans le berceau du Jura suisse s'impose.

La vallée de Joux, ce sont 6 200 habitants et 5 300 emplois dans l'horlogerie, bref, le sanctuaire de la belle montre. Audemars y voisine avec les manufactures Breguet, Blancpain et Jaeger LeCoultre. À sa descente du TGV, à la petite gare de Vallorbe, le visiteur est conduit jusqu'au village du Brassus, siège de l'entreprise, dans la Maserati de service.

Installé à l'Hôtel des Horlogers, coquet chalet quatre étoiles avec spa récemment rache- té par Audemars Piguet, il peut croiser un collectionneur de montres, industriel du ciment du Guatemala, venu faire son shopping dans la vallée. Tant qu'à s'offrir plusieurs modèles valant chacun le prix de deux ou trois Aston Martin, autant faire le déplacement soi-même ! À l'atelier des grandes complications d'Audemars Piguet, ces montres comprenant quatre mouvements complexes (par exemple la « répétition à minutes », un carillon qui donne l'heure), un même horloger fabrique une pièce de A à Z en quatre mois.

Et assure, des années plus tard, son service après-vente. Comme pour cette Royal Oak d'un demi-kilo d'or blanc, pièce unique commandée en 1997 par Giovanni Agnelli, défunt patron de Fiat, renvoyée par ses héritiers dix ans plus tard pour une révision générale. Son seul démontage nécessitera une semaine de travail.

Moins de quinze montres sont fabriquées ici chaque année. Pas de contrainte budgétaire Connu pour ses modèles lourds, Audemars Piguet a voulu surprendre là où on ne l'attendait pas. La Royalk Oak Alinghi Team, sortie pendant la Coupe de l'America, ne pèse que 94 grammes grâce à une fabrication dans une matière inédite : le carbone forgé, en hommage aux matériaux composites du bateau suisse de la compétition à laquelle elle est dédiée.

« Pour certains projets, on n'a pas vraiment de contrainte budgétaire. On n'a pas peur d'y aller, on nous dit non à rien », explique, décontracté, Octavio Garcia, directeur artistique, qui a commencé à plancher sur les esquisses de l'Alinghi Team fin 2004. L'année suivante, le directeur industriel, Bruno Moutarlier, est allé au Salon du Bourget trouver un fournisseur de l'industrie aéronautique acceptant de relever le défi, complexe pour des pièces de si petite taille.

« Les ingénieurs de l'École polytechnique fédérale de Lausanne nous avaient dit :»C e n'est pas possible, vous n'y arriverez pas.* Maintenant, les gens de l'avionique viennent nous demander conseil sur la fabrication de petites pièces », se vante le spécialiste de la technique. Après six mois de mise au point, l'atelier carbone, protégé des regards indiscrets par des vitres opaques, produit en « deux-huit » les fameux boîtiers à partir de quelques brins de fil de carbone et de résine pour fournir dans les temps les 2 007 pièces de la série limitée, qui s'est arrachée avant même son arrivée dans le commerce. À quelques pas de là, le temps semble comme arrêté.

Vue illimitée sur les collines vertes du Jura sans soleil, Jean-Charles Bratschi travaille, avec son cousin Jean-Paul, appelé à prendre un jour sa relève, dans un atelier au sein du musée Audemars Piguet. Ici, on restaure, avec les mêmes outils qu'au XIX e siècle, d'anciens modèles de poche. On en fabrique encore parfois, sur commande spéciale.

L'horloger monte et démonte les 638 pièces d'une montre jusqu'à cinq ou six fois de suite, avant d'obtenir la perfection recherchée, comptant ses coups de lime sur un petit morceau de métal microscopique pour obtenir un son de carillon cristallin. Au risque d'en perdre le sommeil. Jean-Charles Bratschi a ressuscité, pour un client anglais, une montre de 1899 : six ans de travail !

« Elle me réveillait la nuit », confie cet obsessionnel aux gestes calmes. Chèques en blanc L'ambiance n'est sans doute pas très éloignée de celle de l'atelier fondé en 1875 par Jules-Louis Audemars et Edward-Auguste Piguet, deux amis d'enfance passionnés d'horlogerie. Au fil du temps, ils s'illustrent avec des créations qui bousculent les frontières du métier en établissant de nouveaux records ou standards.

Après la Première Guerre mondiale, les fils des fondateurs poursuivent leur oeuvre. Le krach de 1929 et la Seconde Guerre mondiale portent un coup d'arrêt au développement. Pendant plusieurs années, la manufacture n'emploie plus que deux personnes dévolues à l'entretien de vieilles montres, histoire de maintenir la flamme.

Ce n'est qu'à partir des années 1970, grâce à la Royal Oak, que l'essor reprend. Cent trente-deux ans après la création de l'entreprise, ce sont toujours les descendants des fondateurs qui contrôlent sa destinée. Jasmine Audemars, présidente du conseil d'administra- tion, représente la quatrième génération de sa famille.

À ses côtés, Olivier Audemars, comme son nom ne l'indique pas, est un descendant des Piguet. Trois autres familles, dont celle de Georges-Henri Meylan, administrateur délégué depuis 1987, et des héritiers LeCoultre, sont actionnaires. « Nous sommes un syndicat de familles obligées de s'entendre entre elles parce que personne ne domine », assure Georges-Henri Meylan.

Même face aux sirènes de l'argent. À la fin des années 1990, une frénésie s'empare de l'industrie. Les groupes Swatch, Richemont et LVMH, engagés dans une course à la taille, se mettent à racheter à coups de millions tout ce que la Suisse compte de marques horlogères.

Aux côtés des autres indépendants, Rolex et Patek Philippe, Audemars Piguet résiste, stoïque. L'héritière Jasmine Audemars renvoie les chèques en blanc l'invitant à vendre. C'est à ce moment-là qu'Audemars cède à Richemont (propriétaire de Cartier), pour 280 millions de francs suisses (170 millions d'euros), les 40 % de Jaeger LeCoultre acquis pour 9 millions douze ans plus tôt.

Indépendant, d'accord, encore fallait-il donner le change. En moins de cinq ans, le chiffre d'affaires aura doublé, atteignant 400 millions de francs suisses (244 millions d'euros) l'an dernier. Chaque année, il croît d'à peu près 25 %.

Avec des profits « dans les normes du luxe », élude Georges-Henri Meylan. Comme toute l'industrie horlogère suisse, Audemars peine à répondre à la demande, faute de main-d'oeuvre suffisante ou de composants. L'an prochain, une nouvelle usine sera inaugurée au Brassus pour réunir les 650 employés de Suisse.

Parallèlement, Audemars Piguet se met à quadriller le monde de points de vente à son nom. Après avoir ouvert sa première boutique hors de Suisse, à Paris, il y a plus de dix ans, en partenariat avec le distributeur Chrono- passion, la manufacture s'apprête à inaugurer rue Saint-Honoré son nouveau magasin géré en direct. En juillet, c'était carrément une tour, comme c'est la mode là-bas, à Tokyo.

Car, très vite, l'Asie est appelée à prendre le relais de l'Europe, avec un insatiable appétit pour les belles mécaniques.

Le Figaro / FLORENTIN COLLOMP

 



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