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Aujourd'hui, l'annonce d'un plan social ne suscite plus qu'une émotion passagère, vite emportée dans le flot torrentiel de l'information. Mais en avril 1973, quand la direction de Lip, entreprise d'horlogerie réputée de Besançon qui emploie 1 300 salariés, annonce quelque 500 suppressions de postes, c'est un des plus longs conflits sociaux du pays qui commence, dominé par la figure d'un syndicaliste, Charles Piaget. Mai 68 n'est pas si loin et ses slogans utopistes encore dans les mémoires. Celui des étudiants des Beaux-Arts notamment, qui affirmaient « Ton patron a besoin de toi, tu n'as pas besoin de lui ! »
Les Lip, qui occupent leur usine, vont s'en inspirer et décider de briser un tabou : fabriquer, vendre et se payer, mais sans le patron. Le stock de montres déjà produit est mis à l'abri par les ouvriers dans un lieu tenu secret. Il servira de trésor de guerre et de monnaie d'échange pour la suite des événements. La fabrication est remise en route. De petits groupes d'ouvriers essaiment la France pour vendre les montres. Dans les villes, sur les plages. Le succès est énorme. En six semaines le chiffre d'affaires réalisé est égal à la moitié de celui d'une année entière.
Il est vrai que les Lip soignent leur communication, ouvrant les portes de l'usine à tous, y compris aux journalistes. Leur résistance devient très populaire dans la France entière. L'autogestion, un des grands idéaux véhiculés par Mai 68, a tout d'un coup pignon sur rue, grâce à la presse, aux radios, à la télé. Le pouvoir giscardien y voit là, comme c'était prévisible, l'exemple à ne surtout pas suivre. L'usine est évacuée par les forces de l'ordre.
Un nouveau plan de licenciement, allégé à 159 suppressions de postes, est proposé. Refusé par les ouvriers. Colère du Premier ministre Pierre Messmer. « Lip c'est fini ! », tonne-t-il, en tapant sur la table. Pas du tout car l'entreprise est reprise par un patron classé à gauche, Claude Neuschwander, qui remet la machine en route. En 1974, tous les ouvriers sont réembauchés.
La suite, c'est Jean Charbonnel, ministre de l'Industrie, qui la raconte. Selon lui, Giscard aurait ordonné : « Il faut punir les Lip. Qu'ils soient chômeurs et qu'ils le restent. Sinon ils vont véroler tout le corps social. » Est-ce un hasard ? Renault, un des plus gros clients qui est encore nationalisé, annule brutalement toutes ses commandes. Les banques retirent leur soutien. Après cela en effet, Lip, c'est bien fini.
Trente ans après, que reste-t-il de ce conflit dans la mémoire collective ? Qu'a-t-il changé dans les relations sociales et le paysage économique ? Et de quelle manière ? Charles Piaget, aujourd'hui âgé de 74 ans, sera présent pour répondre à ces questions à l'issue de la projection du film de Christian Rouaud.
Ouest France / Pierre BIGOT
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