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TAG HEUER - Un CEO qui vit l’horlogerie pied au plancher
 
Le 14-01-2013

Jean-Christophe Babin a la passion tenace.

Avant d’être nommé à la tête de TAG Heuer, Jean-Christophe Babin ne connaissait pas grand-chose aux montres de luxe. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il s’est bien rattrapé.

Jean-Christophe Babin a la passion tenace. Enfant, il avait déjà la tête dans les étoiles. «Je suis né à l’époque de la grande aventure spatiale. Je rêvais de voler, d’être pilote ou cosmonaute. Depuis, les années ont passé mais la flamme n’a jamais tari. Devenu adolescent, c’est à mobylette, le moteur poussé à son maximum, qu’il assouvissait sa soif de liberté. Puis très vite, il y eut les voitures. Ah, les voitures! «À 12 ans, sourit-il, mon père a commis l’erreur de m’amener aux 24 Heures du Mans. Ses meilleurs amis habitaient la ville. Nous étions venus pour le week-end. Il fallait m’occuper... Assister à la course fut mon cadeau d’anniversaire. De retour à la maison, j’ai remplacé toutes les abeilles napoléoniennes de ma chambre Empire par des posters de voitures!»

Aujourd’hui, impossible de parler de Jean-Christophe Babin sans évoquer le sport automobile. Pas un Grand Prix de F1 ne se passe sans qu’il ne soit vissé devant son écran ou au bord de la piste. «C’est sacré!» Mais le plus beau dans l’histoire, c’est qu’il vit désormais ses passions dans le cadre de son travail. CEO de la marque horlogère TAG Heuer depuis l’année 2000, il est de toutes les courses automobiles, au côté des plus grandes stars en la matière. Histoire d’honorer les nombreux partenariats... Car en réalité, cela n’influence en rien les choix stratégiques de la maison: «TAG Heuer n’a pas attendu Jean-Christophe Babin pour faire de la F1.»

Il n’empêche. C’est précisément grâce aux 24 Heures du Mans qu’il a gagné son premier salaire. Suffisamment pour pouvoir faire le tour du monde. Le premier d’une longue série. Né à Paris en 1959, il n’a que 21 ans lorsqu’il sort d’HEC (Haute École de Commerce). Son sujet de thèse: le sponsoring appliqué au sport automobile, bien sûr. Pour ce faire, il engage une voiture sur le circuit des 24 Heures, coiffant ainsi la casquette très enviée de team manager. La bonne note qui s’ensuit est à la hauteur de sa passion. Il s’envole dès le lendemain, sac au dos.

Ce goût du voyage, Jean-Christophe Babin le tient de ses parents. «Ils m’emmenaient avec eux. Ça m’a rendu curieux, ouvert au monde, aux arts, aux livres», confie-t-il. D’ailleurs, sitôt revenu de son périple, notre globe-trotteur s’embarque comme officier de la Marine nationale française, service militaire oblige. «J’étais aide de camp de l’inspecteur général, l’amiral de Gaulle, le fils du général, précise-t-il. Ce qui m’a amené à côtoyer le président de la République et d’autres personnalités très connues. J’ai pu également avoir une vision globale de la Marine et de toutes ses interactions, avec la politique ou l’armée par exemple. Et puis, à travers le général de Gaulle, dont le fils est le dépositaire des mémoires, c’était toute l’histoire de la France et de la résistance qui se déployait. Sans compter que je voyageais beaucoup.»

Journaliste sur un navire de guerre

Comme si ça ne suffisait pas, il se fait aussi officier des loisirs. C’est ainsi qu’il se retrouve à produire chaque jour un journal télévisé, directement sur le navire de guerre, occupant le temps libre qui lui reste à vendre des espaces publicitaires pour des revues étudiantes. «Le pape Jean-Paul I et Bob Marley sont morts le même jour. J’étais jeune, anticonformiste et j’aimais la musique. Alors, dans mon journal, j’ai d’abord annoncé le décès du chanteur et j’ai laissé le pape pour la fin. Il restait quelques minutes. Ça n’a pas plu au commandant!» Peu importe, le jeune officier gagne bien sa vie et un nouveau tour du monde s’annonce.

Avec tout cela, Jean-Christophe Babin ne commence à travailler sérieusement que quatre ans après la fin des études. «Après ces temps de grande liberté, il me semblait important d’intégrer une société bien structurée, capable de canaliser le chien fou que j’étais.» En 1983, de retour à Paris, il propose donc ses services en vente et marketing à Procter & Gamble, Unilever et Colgate. Les trois réponses sont positives. Ce sera Procter & Gamble: «J’ai trouvé l’ambiance super. On formait une bande de copains. C’était très bureaucratique et hiérarchisé mais on vous y apprend à structurer une pensée, à canaliser votre énergie, à optimiser vos capacités. On vous laisse aussi beaucoup de liberté même si vous êtes jeune.» Quatre années s’écoulent avant que le vent du large se fasse à nouveau sentir et le pousse à prendre une année sabbatique.

«Quand je voyageais, je n’achetais que le premier billet. Je payais la suite en travelers cheques. Je résidais dans des guest house à deux dollars, dans des chambres de 4 m2, avec sanitaires à l’étage et douche froide. C’était au petit bonheur la chance. Car à l’époque, il n’y avait quasi pas de guides de voyage.» De quoi s’évader vraiment. De quoi, également, revenir avec d’autres idées de carrière en tête. Moralité: sitôt réintégré son poste, Jean-Christophe Babin le quitte pour un autre. Il veut se lancer dans le consulting. «Ça permet de travailler avec beaucoup de sociétés différentes, d’être plus dans le process, la stratégie, la restructuration, explique-t-il. Ça offre une vision à 360° du vrai monde du business. On devient plus flexible.»

L’épisode dure trois ans, au sein du Boston Consulting Group, «le nec plus ultra en la matière». Et Jean-Christophe Babin d’ajouter: «Ce travail fut une vraie leçon d’humilité. Chez Procter & Gamble, on vous dit tout le temps que vous êtes les meilleurs. Ici, on est entouré de gens brillants. Au début, ce fut difficile de tout comprendre. Mais on apprend à consacrer son énergie à ce qui compte vraiment.» Une capacité primordiale pour un dirigeant s’il veut pouvoir faire face au stress et à la masse de travail qui lui incombe.

Mais un coup de fil va tout changer: «Le Boston Consulting Group avait ouvert un bureau à Milan où l’on m’a affecté. J’ai alors été contacté par une société allemande de produits d’entretien, le groupe Benckiser.» Il en sera le nouveau directeur marketing. Il faut dire que le consulting a quelque chose de frustrant: «On prépare entièrement la voiture et, au dernier moment, on donne les clefs à quelqu’un d’autre...» Et voilà qu’en 1994, le concurrent de Benckiser fait monter les enchères en lui proposant le poste de directeur général de sa filiale italienne. Son premier du genre. Il s’agit du géant Henkel. Le challenge est de taille mais notre homme connaît bien le secteur et les clients. Et puis, il y a la jolie Marzia qui travaille comme directrice marketing de Moët Hennessy Italie. Ils se marieront six ans plus tard. Entre-temps, Jean- Christophe Babin aura été promu à Düsseldorf, en Allemagne, devenant ainsi le senior vice-président de la maison mère (1998). Une partie de sa mission consiste à implanter le groupe aux USA.


Adieu la grande distribution

C’est là qu’un chasseur de têtes le repère. «Il m’a fait une offre qu’on ne peut pas refuser»: prendre la direction de TAG Heuer. Et non, Jean-Christophe Babin ne connaît rien ni à la marque ni à l’horlogerie! À l’exception de ces compétitions automobiles où, maintes fois, il avait vu le nom de la maison. À l’exception aussi de cette montre – une TAG Heuer Carrera – achetée à Düsseldorf il y a quelques mois en arrière. «Je l’ai payée 1000 deutschemarks; ça me paraissait astronomique!»

Sa nomination prend effet le 1er novembre 2000, un an après le rachat de la marque par le grand groupe de luxe LVMH. Pour lui aussi, le secteur horloger était nouveau. «Personne ne m’avait dit ce que je devais faire, se souvient Jean-Christophe Babin. Je savais juste que je devais augmenter les ventes et les profits. Mais dans l’univers où j’étais avant, on faisait tout le contraire du luxe: on tentait de vendre à tout le monde, d’avoir le plus de points de vente possible et d’attirer le client par des prix bas. Dans le luxe, le prix n’est pas variable, il ne faut pas trop produire ni trop avoir de distributeurs.» Il a fallu s’adapter, rencontrer les anciens pour mieux comprendre les dominantes.

«TAG Heuer s’inspire directement des courses automobiles, rappelle le CEO. Elle voue une véritable obsession à la mesure des temps infinitésimaux et à l’amélioration de la chronométrie dans le domaine du chronographe. C’est pourquoi j’ai développé le département Recherche & Développement. Car après des années de design et de très beaux moteurs, il était temps d’amener les exigences de la compétition directement au poignet, de les sortir du seul cadre de la course.» Depuis, la société a fait des miracles en termes de croissance et de montée en gamme. Elle s’est aussi ouverte à d’autres domaines comme les lunettes et
les téléphones portables de luxe.

Aujourd’hui papa de cinq enfants, Jean-Christophe Babin continue de multiplier les tours du monde. Mais en classe business. L’attaché-case a remplacé le sac à dos et les chambres ont prix du galon. Quant aux étoiles, il les côtoie tous les jours, en particulier celles des circuits de F1 et celles du grand écran. Et lorsqu’on lui demande ce qu’il fait lorsqu’il ne travaille pas, il répond dans un sourire: «Je profite de ma famille, j’écoute de la musique et je regarde les films... que j’ai ratés dans l’avion!»


Trajectoire en dates

1959 Naissance à Paris où il suivra ses études de commerce (HEC).
1980 Officier à la marine nationale française comme aide de camp de l’amiral de Gaulle.
1983 entrée chez Procter & Gamble à Paris, département vente et marketing.
1988 Entrée chez Boston Consulting Group, une importante société américaine de consulting.
1991 Directeur marketing du groupe Benckiser, une entreprise allemande de produits d’entretien.
1994 Directeur général de la filiale italienne de Henkel.
2000 Le 1er novembre, prise de fonctions en tant que CEO de TAG Heuer.

Sylvie Guerreiro
Tribune des Arts

 



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