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La valeur de la devise helvétique a franchi vendredi le cap de 1,25 franc pour un euro. Radiographie des entreprises qui gagnent – ou perdent – au change
Enclenchée depuis maintenant deux semaines, la glissade de la valeur de la devise helvétique face à l’euro se poursuit. Vendredi, il a même fallu débourser plus de 1,25 franc pour s’offrir un euro. Cette semaine écoulée aura été marquée par la plus forte dépréciation de la monnaie nationale depuis la réaction ayant suivi l’annonce de la défense d’un change – plafonné à 1,20 franc pour un euro – par la Banque nationale, en septembre 2011.
Les sociétés de la bourse de Zurich apprécient: l’indice SMI a touché jeudi son plus haut en quatre ans et demi. Le courtier Kepler Capital Markets tente de faire le tri, listant notament des sociétés qui profitent le plus du mouvement de change, car réalisant plus de la moitié de leur chiffre d’affaires dans la zone euro. En tête, la «pharma» de Basilea ou la confection de Charles Vögele, avec respectivement 95 et 70% de leurs débouchés commerciaux. Nestlé, dont un tiers des ventes s’opère en euros, en profite également. Par contre, pour ABB, Givaudan ou Novartis, l’effet s’avère nul.
Il y a aussi ceux qui sont pris en étau. Comme Barry Callebaut, le leader mondial du cacao, dont la moitié des ventes sont réalisées dans la monnaie unique… mais dont 55% des frais sont réglés en euros. Le groupe est perdant «en raison de son énorme site de production à Bruxelles», résume Kepler.
Unia veut le plancher à 1,25
Qu’en pensent les industriels? L’association faîtière Swissmem parle de «soulagement considérable». «Chaque mouvement d’un centime - ndlr: du change - correspond à un changement d’environ 3 millions de francs de nos résultats», déclare en écho le spécialiste de l’implant dentaire Straumann. Le fabricant de sanitaires Geberit, dont 70% des ventes sont en euros, relativise: il est trop tôt pour parler d’impact significatif. Il y a aussi ceux qui n’en profitent pas, comme les assureurs.
Quid de la distribution, qui voit ses clients partir de l’autre côté de la frontière? «Alors que le taux de déflation en Suisse est de l’ordre de 0,7%, il est clair que le moindre recul du franc a un impact énorme sur ce type de comportement», assure Daniel Mori, directeur des opticiens Visilab. De son côté, le syndicat Unia – qui craint «une vague de licenciements au printemps» – a invité la BNS «à définir dès maintenant ce cours de 1,25 franc pour un euro comme un nouveau seuil de référence, et à le défendre par tous les moyens».
Faiblesse temporaire?
Dans les salles de marché, les experts ont du mal à voir cet accès de faiblesse du franc persister. Et ils estiment que la Banque nationale suisse va devoir se remettre au travail pour empêcher une appréciation au-delà du plancher de 1,20 franc pour un euro.
Cette opinion ne reflète pas seulement la crainte d’une nouvelle aggravation de la situation dans la zone euro. Elle tient aussi à une avidité moindre des déposants internationaux pour les inébranlables billets. «Cette récente fluctuation du change entre le franc suisse et l’euro symbolise une sortie des placements refuges», juge ainsi l’équipe londonienne des devises de Morgan Stanley.
«Le mouvement a été favorisé par l’introduction de taux d’intérêt négatifs par la Banque cantonale de Zurich sur ses dépôts; une décision qui fait écho à celle qu’auraient prise Credit Suisse et UBS d’imposer des frais à leurs clients institutionnels», explique ainsi Ursina Kubli, spécialiste au sein de la Banque Sarasin. «L’impact symbolique est très fort.»
Un franc loin d’être faible
Ces quinze jours d’effritement de la devise helvétique doivent également être relativisés. Le franc «fort» n’est pas devenu faible. Mais un peu moins fort. A 1,25 franc pour un euro, la devise vaut certes 3% de moins qu’il y a quinze jours. Mais 15% de plus qu’il y a trois ans.
Problème: il existe autant de façons de mesurer la valeur «vraie» d’une monnaie que d’économistes. Selon l’association industrielle Swissmem, à 1,20 franc pour un euro, la monnaie suisse est «surévaluée d’environ 10% par rapport à la parité du pouvoir d’achat». Le patron de Visilab estime en revanche que «la vraie valeur du franc se situe plutôt autour de 1,50 franc pour un euro».
Par ailleurs, cela ne dit rien du taux de change avec le billet vert. Face au dollar, le franc s’est certes effrité de 2% en dix jours. Il reste cependant toujours de 10% plus fort qu’il y a trois ans.
Pierre-Alexandre Sallier
LE TEMPS |