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«On est très créatif quand on a peu de moyens.» Robert Greubel, Alsacien, et Stephen Forsey, Britannique, se sont accrochés à leur rêve mécanique et ont percé le marché de l'horlogerie depuis les montagnes neuchâteloises, sans nom et presque sans fonds. Confirmation, la créativité est bien là. L'inventivité même, puisque les deux comparses ont, ni plus ni moins, réinventé le tourbillon, reine des organes régulateurs de l'horlogerie.
Côté finances, l'humilité est encore sensible. Malgré des «exercices équilibrés», chaque franc est «retourné deux fois». C'est le lot de ce couple unique, entré sur le marché du très haut de gamme avec des sabots d'artisan. Chose rare. Car si les duos sont un classique de l'horlogerie - Patek et Philippe, Vacheron et Constantin, Jaeger et LeCoultre, Audemars et Piguet, etc. - , la tendance est au mariage de raison, le plus souvent entre un commercial et un créateur. Ouvriers du luxe sans ostentation, les horlogers contrastent comme l'eau et le vin avec leurs réalisations, des bijoux d'ingénierie dont les prix s'étalent entre 290 000 francs et un demi-million.
Les deux artisans ont célébré le mois dernier l'ouverture d'un point de vente à Genève, le troisième en Suisse, sur une vingtaine dans le monde. A ce jour, seule une centaine de pièces a été produite, à La Chaux-de-Fonds. Mais le carnet de commandes de Greubel et Forsey est déjà plein jusqu'en 2009.
Leur collaboration a commencé en 1999 avec la création de la société CompliTime, une entité destinée au développement de prototypes pour des marques tierces. Une occupation à 100% au moins, qui se poursuit aujourd'hui et qui constitue leur fonds de commerce. Non contents, l'obsession d'un tourbillon ultraprécis a occupé, trois ans durant, Robert et Stephen pour un second plein-temps.
En 2004, ils font le pas d'une marque en nom propre, moins par goût que par nécessité. «Une invention n'est rien sans une production en série», clament-ils en chœur. «Nous avons bien pensé à vendre notre modèle à une manufacture. Mais ce n'est pas évident de trouver quelqu'un qui relève le défi». Ultime distinction, là où les nouvelles marques se présentent le plus souvent avec une belle idée sur le papier ou un prototype de carton, ils débarquent avec une série. Un lancement empirique et une présentation à Baselworld plus tard, leur travail trouve écho chez les collectionneurs du monde. Des amateurs de haut vol qui prennent leur tentation en patience, chaque pièce nécessitant près de six mois de travail.
La Liberté / Stéphane Gachet |