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Louis Moinet remet à l’heure les aiguilles du chronographe
 
Le 26-03-2013

La redécouverte d’une montre d’époque permet de réécrire en partie l’histoire horlogère. L’horloger français a réalisé la toute première pièce de cette complication en 1815, selon les experts

Des tierces qui font trisser. Une page d’histoire se tourne et une nouvelle s’ouvre. Elle permet de réécrire en partie l’historiographie horlogère. Une montre, tombée dans l’oubli et restée cachée pendant un siècle et demi, jusqu’à sa vente aux enchères l’an dernier, permet d’affirmer, selon des spécialistes, que l’horloger français Louis Moinet (1768-1853) est l’inventeur du chronographe. Jusqu’ici, cet honneur était attribué à Nicolas Matthieu Rieussec (1781-1852). Or, Louis Moinet aurait élaboré un garde-temps de ce type sept ans plus tôt que son illustre confrère.

«En 1816, cet horloger a conçu, développé et produit un chronographe d’une technique très en avance sur son époque. Battant à une fréquence de 216 000 alternances par heure ndlr: en général la plupart des montres d’aujour­d’hui se situent plutôt à 28&, soit 30 Hz, le garde-temps peut mesurer le 1/60e de seconde. Une révolution dans l’histoire de la mesure des temps courts qui fait de Louis Moinet l’un des pères de la chronométrie», s’enflamme Arnaud Tellier, spécialiste de l’horlogerie et ancien conservateur du Musée Patek Philippe. Le garde-temps est également appelé «compteur de tierces». Il s’agit donc du premier mouvement à haute fréquence de l’histoire, selon les experts.

«Nous avions déjà connaissance de l’existence de cette pièce. Elle est décrite dans un ouvrage de Louis Moinet. Mais nous ne savions pas si elle existait encore. Nous l’avons cherchée en vain durant plusieurs années», explique Jean-Marie Schaller, directeur des Ateliers Louis Moinet, petite marque basée à Saint-Blaise (NE) et créée il y a une quinzaine d’années, dont l’objectif est de promouvoir l’héritage de son lointain fondateur.

Le garde-temps refait cependant surface le 14 mai 2012, lors d’une vente aux enchères chez Christie’s à Genève. Numéro du lot: 235. Ironie de l’histoire, c’est Arnaud Tellier qui s’occupe de rédiger la notule pour le catalogue de vente. Il se rend bien compte qu’il s’agit d’une pièce d’une grande importance technologique, mais n’a pas le temps de l’analyser plus en détail. La montre doit vite partir chez le photographe. Deuxième clin d’œil, Arnaud Tellier est alors encore consultant pour le Musée Patek Philippe. Il veut aussi acquérir la pièce, afin d’étoffer encore la collection déjà unique de son employeur. Il affronte donc Jean-Marie Schaller dans cette mise à l’encan épique. Ce dernier remporte finalement les enchères, avec une offre de 50 000 francs (62 500 francs taxes comprises). Le prix ayant dépassé la limite que s’était fixée Patek Philippe, Arnaud Tellier jette l’éponge. Le garde-temps, affichant le 60e de seconde par une aiguille centrale, les secondes et les minutes sur deux cadrans séparés, ainsi que les heures sur un cadran 24 heures, avait une estimation de base, d’après la maison de vente aux enchères, de 3000 à 5000 francs seulement.

Après cet achat, tout s’enchaîne comme dans un conte de fées. Très vite, le nouveau propriétaire réalise que la montre, calculant les temps intermédiaires, pourrait être cette fameuse pièce décrite par son créateur. Quatre poinçons sur la montre attestent la chronologie. Identifiés sur le fond du boîtier, ils permettent d’affirmer «de manière catégorique» que son élaboration a débuté en 1815 et qu’elle a été terminée l’année d’après. La pièce est ensuite certifiée, «sans équivoque possible», par le Musée international de l’horlogerie (MIH). Une analyse qui a duré plusieurs mois. Donnant aussi leur blanc-seing à cette authentification, les spécialistes et historiens Dominique Fléchon et Bernard Vuilliomenet ont également mis en exergue le côté avant-gardiste du garde-temps. La montre, en excellent état de conservation et fabriquée à des fins de calculs astronomiques, appartenait auparavant à une famille princière de l’Europe du Nord. Le fameux chronographe, muni du retour à zéro – autre innovation pour l’époque –, faisait partie d’une collection, comprenant notamment cinq montres estampillées Breguet, horloger de génie. Il semble que l’ancien propriétaire ignorait la valeur technique et historique de l’objet acquis par Jean-Marie Schaller.

«Nous sommes aujourd’hui très heureux de pouvoir remettre Louis Moinet sur son piédestal. Les écrits le prouvent: il était considéré par ses pairs comme l’un des plus grands horlogers», se réjouit Jean-Marie Schaller. Si le tourbillon est intimement associé à son fondateur Abraham-Louis Breguet (1747-1823), les historiens devront désormais lier le chronographe à Louis Moinet, entre autres auteur aussi du Traité d’horlogerie en 1848.

Il était une fois, il y a près de deux cents ans, un horloger modeste, peu (re)connu et tombé dans le quasi-oubli. L’histoire, même lorsqu’elle se trompe, a cependant cette capacité unique et précieuse de sublimer le présent.

Bastien Buss
LE TEMPS

 



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