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Le patron omniprésent de Hublot s’est fait le porte-voix du modèle suisse à travers le monde. Reportage.
Le spectacle peut commencer. Comme à son habitude, c’est sans PowerPoint léchés ou aide-mémoire rassurant qu’il monte sur scène. Seulement un micro et son rire tonitruant facilement reconnaissable. «Je ne me prépare pas. Jamais», lâche-t-il quelques minutes avant que les projecteurs se braquent sur lui.
Jean-Claude Biver fait son show au Nikkei Global Management Forum qui a lieu chaque année en octobre dans un grand hôtel de Tokyo. Une sorte de petit World Economic Forum nippon où défilent pendant deux jours les plus grands capitaines d’industrie pour parler stratégies d’entreprise et distiller des conseils de management devant des centaines d’intéressés.
Certes, on connaît la chanson. Ou du moins le refrain. Après avoir réanimé Blancpain et secouru Omega, Jean-Claude Biver prodigue en 2004 un massage cardiaque à Hublot. Dès lors, le chiffre d’affaires de la maison horlogère basée à Nyon affiche une croissance exponentielle, année après année. En 2008, la marque, gonflée à bloc par un marketing agressif, rejoint le giron de LVMH pour 500 millions de francs. Bilan évalue aujourd’hui la fortune de l’entrepreneur à 100 millions, tandis que le chiffre d’affaires de Hublot est estimé à près 400 millions de francs.
Emotif, extraverti, Jean-Claude Biver donne son avis sur tout, dort peu, produit son propre fromage. Le visionnaire a récemment conçu une montre pour le rappeur Jay-Z car «nous devons parler aux clients de demain». Lors de la mise en vente du Temps en octobre dernier, son intérêt pour le quotidien romand n’a finalement que peu surpris en Suisse.
Réaction contrastée au Japon où les journalistes locaux demeurent vivement intrigués par sa volonté de racheter un média. Notre Biver national prend soudainement des allures de Jeff Bezos européen…
De Londres à Davos
Si la Suisse est habituée à ses aventures médiatisées, la bête de scène poursuit sa conquête de l’international. L’opération séduction est menée tambour battant au Japon, un marché majeur pour Hublot. Bien plus important à l’heure actuelle que la Chine, qui ne représente que quelques pourcents de ses ventes, tandis que le secteur horloger suisse y tutoie les 30% de chiffre d’affaires.
«Le Nikkei Forum l’avait déjà invité il y a cinq ans et le public avait été conquis, se rappelle le président de l’IMD Business School Dominique Turpin, partenaire et modérateur de l’événement. Contrairement aux autres orateurs qui lisent leur discours sur la scène, Jean-Claude Biver parle avec le cœur et sa sincérité se sent.»
Que l’on soit conquis ou non par sa rhétorique, difficile de nier que l’agitateur tranche net avec les autres pontes de cette 15e édition du forum tokyoïte tels que Fabrice Brégier, Jeffrey Immelt ou Hiroshi Mikitani qui dirigent respectivement Airbus, General Electric et le géant en ligne japonais Rakuten.
Jean-Claude Biver participe en moyenne à une trentaine de conférences par année partout dans le monde. Mais depuis 2012, année où il abandonne sa casquette de CEO de Hublot pour ne conserver que son statut de président, le nombre de ses interventions a plus que doublé.
Les écoles les plus prestigieuses comme la London Business School et l’Institut européen d’administration des affaires (Insead) l’invitent à venir partager son expérience. Le Forum de Davos l’accueille à bras ouverts. «La première fois que j’ai participé à l’Open Forum du WEF en tant que speaker en 2012, ma table ronde avait pour thème le manque de charisme chez les hommes politiques: où sont passés les nouveaux Thatcher, Kennedy, Churchill, raconte l’entrepreneur. J’étais entouré de Gordon Brown, Ehud Barak et Jean-Claude Trichet. Quand je suis arrivé à la salle des orateurs, je me suis senti mal un instant car je n’avais rien préparé du tout…»
Face à 2000 personnes
Grâce à un personal branding surdéveloppé, Jean-Claude Biver reste aujourd’hui le meilleur ambassadeur de Hublot. Avant son escale japonaise, le globe-trotter participait aux 30 ans de Ferrari à Hongkong. «Je suis intervenu juste après Luca di Montezemolo, le patron de la marque. J’étais le seul orateur à m’exprimer, mis à part lui, devant une assistance de 2000 personnes. Une visibilité incroyable pour Hublot.»
Au-delà de la stratégie marketing de sa marque, le Luxembourgeois d’origine, Suisse depuis 2011, s’est fait le porte-voix du modèle suisse et de son avenir. Exemple en septembre dernier, au Forum Wirtschaftsimpulse de Schaffhouse.
C’est entre l’ancien économiste en chef de l’ONU Heiner Flassbeck et la conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf qu’il défend le modèle suisse, «le meilleur qui soit». En improvisant, bien sûr. A la fin 2013, il participe à une conférence à Harvard, toujours en tant qu’«ambassadeur de la Confédération». A Pékin, il se prononce sur l’esprit d’entreprise suisse.
Au fait, combien ça coûte un show Biver? «Je n’encaisse jamais un centime. Tant que je ne suis pas rémunéré, je suis libre de mes propos. Mais si les institutions organisatrices ont prévu des budgets pour les orateurs, je leur demande de verser la somme à l’association Action Innocence.»
BILAN |