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Baselworld célèbre cette année autant l’architecture que les montres. Les marques ont investi massivement dans de nouveaux stands. La folie des grandeurs qui s’est emparée du salon n’est toutefois pas du goût de tous
L’architecture et le design risquent de voler la vedette à la belle horlogerie cette année à Baselworld, 41e cru du genre. Durant les premiers jours du salon bâlois, qui ouvre ses portes officiellement jeudi, il va très probablement être assez peu question de montres. La faute aux célèbres architectes Herzog & de Meuron. Ou, plus précisément, à la vaste extension et au réaménagement des halles de la plus grande exposition horlogère au monde. Un projet du groupe bâlois MCH, propriétaire des lieux et organisateur du salon, qui est désormais finalisé et dont l’investissement s’est élevé à 425 millions de francs.
Jusqu’au 2 mai, tous les regards seront évidemment braqués sur les nouveaux stands des marques horlogères qui ont envahi les nouveaux volumes disponibles. Les observateurs, clients, détaillants scruteront comment elles ont investi leur nouvel univers, pris leurs aises, comment elles l’occupent, comment elles se mettent en scène. Pour ces sociétés, c’est l’occasion de faire étalage de leur puissance et de leur santé, pour celles qui peuvent se le permettre, notamment dans la prestigieuse halle 1, «le saint des saints» réunissant les plus grandes marques et groupes.
Il faut dire que l’espace ne manque pas, puisque le nombre d’exposants dans cette halle très convoitée est passé de 45 en 2012 à seulement 21 cette année. Ces stands, écrins des horlogers, ont été conçus par des architectes de renom et des designers parmi les plus connus. Créativité, inventivité, matériaux nobles, nouvelles technologies se marieront dans un étalage de luxe et de gigantisme durant dix jours. Avec, au menu, des concepts innovants et audacieux. Les créateurs vont ainsi incarner l’univers des marques, se traduisant à travers le choix des matériaux, des formes et des technologies employées. Le secret est encore bien gardé, les journalistes ne découvriront ces nouveautés que mercredi, alors que le salon ouvrira ses portes le jour d’après. Passage en revue de ce qui a déjà été annoncé.
La Montre Hermès a fait appel, pour son nouveau stand, à l’architecte le plus en vue du moment, le Japonais Toyo Ito, lauréat du dernier Prix Pritzker, le Nobel de l’architecture. Il compte, parmi ses réalisations, la tour Porta Fira à Barcelone, le nouvel hôpital Cognacq-Jay à Paris, ou encore le stade de Kaohsiung à Taïwan et d’innombrables boutiques de luxe (Tod’s, Mikimoto, etc.). Si la marque de luxe française n’a rien voulu révéler de l’apparence de son stand, il pourrait faire partie des plus visités du salon. Car, pour le jury du Prix Pritzker 2013, Toyo Ito, «créateur de bâtiments intemporels», a su «donner une dimension spirituelle à ses réalisations, et une poésie qui transcende tous ses travaux».
Chez Tag Heuer, il a fallu 18 mois d’études techniques et de travail architectural pour le nouveau stand de la marque chaux-de-fonnière. Il compte 1863 m2 et 40 salons privés, répartis sur trois niveaux. Une centaine de personnes a travaillé pendant sept semaines pour monter «ce paquebot de luxe» (terminologie officielle), arrivé d’Italie à bord de 50 camions. La décoration intérieure évoque l’univers pop art des années 1960. Conçu par l’architecte italien Ottavio Di Blasi, le stand se compose d’une façade tridimensionnelle.
Chez Chanel, les codes noir-blanc de la maison seront mis en exergue. La marque de luxe s’est offert, pour ses 10 ans de présence à Bâle, un tout nouvel espace de 1580 m2. Réparti sur 3 niveaux de 500 m2 chacun, il sera trois fois plus grand que celui de l’année précédente. Il a été créé et aménagé par l’architecte américain Peter Marino. L’impression générale, au vu d’une image de synthèse? Un monolithe blanc, lumineux, avec une base noire en aluminium.
Corum fait également peau neuve, dans un écrin requérant pas moins de 44 jours de montage et 19 de démontage. Conçus par les bureaux d’architecture et de design neuchâtelois Studer Architecture et I+N Studer, des éléments porteurs en aluminium, munis de leds, partent du sol et s’élancent jusqu’au sommet du stand.
Festina joue à plein l’interactivité. Sur la partie extérieure du son stand, un écran à leds de 300 m2 permettra de se rapprocher du public. Alors que l’écran interactif diffuse des contenus, ce support permet aussi aux visiteurs d’envoyer des messages, de faire part d’avis et de commentaires, mais également d’envoyer des photos par l’intermédiaire des réseaux sociaux Facebook, Twitter et Instagram. Le stand, ovale, s’étend sur une surface de plus de 2000 m2.
De Grisogono va, quant à lui, se doter de 728 m2 au lieu de 560 m2 l’année dernière, avec un nouveau lounge ouvert sur l’extérieur. Des animations visuelles seront diffusées sur des écrans de 6 m de haut. La seule structure métallique de cet espace pèse 30 tonnes.
Cette course au gigantisme, à la surenchère, preuve supplémentaire que les grandes marques ont intégré tous les codes du luxe, a aussi un prix. Le nouvel écrin bâlois n’ira pas sans inflation. Le prix de location est ainsi passé de 350 à 420 francs le m2 d’une année à l’autre. Soit une hausse de 20%.
Que cela mette des marques en difficulté, les organisateurs n’en ont cure. Ils disent privilégier la qualité à la quantité. Et peu importe que cette année, seulement 1460 exposants soient attendus, tandis qu’ils étaient encore 1800 en 2012 et 2400 il y a une dizaine d’années. Des tarifs qui n’ont toutefois pas découragé la plupart des horlogers de construire de nouveaux stands. «Il y en aura environ 1000 nouveaux», selon les organisateurs. En d’autres termes, plus de deux tiers des marques vont en changer.
Pour quel prix global? Mystère. Aucune marque n’a voulu dévoiler son budget. Selon le comité des exposants suisses, il s’agirait de centaines de millions de francs au total. Un seul stand peut coûter jusqu’à 5 millions de francs. Tous ne sont pas pris dans cette spirale. «Nous n’allons pas faire de dépenses somptuaires. Nous aurons un stand légèrement plus grand que l’an dernier, sans plus. On manquait de toute manière de place. Les investissements se doivent de correspondre à l’image de la marque», selon François Thiébaud, président de Tissot.
Cette course suscite d’ailleurs de nombreuses critiques. Dans nos colonnes, Nick Hayek vilipendait récemment cette folie des grandeurs. «Je n’aime pas cette tendance. Bien sûr, nous aurons plus de place, près du double, notamment avec l’intégration de la marque Swatch, présente pour la première fois à Baselworld, mais cette extension a pratiquement été forcée par l’agrandissement de la foire. Cette course à la taille n’est pas productive», disait-il.
Le patron d’une prestigieuse manufacture genevoise se demande, par ailleurs, comment les petites marques feront pour s’en sortir et mettre autant d’argent dans une exposition qui dure à peine 10 jours. Bien sûr, les stands sont réutilisés d’une année à l’autre, mais tout de même, déplore-t-il. «Ce sont des montres que nous vendons, pas des tableaux dans une galerie d’art. Retrouvons un peu de raison», selon lui. Une petite marque confie: «Cette année, je dois débourser 80 000 francs pour mon stand. Une somme qui me serait utile pour des dépenses bien plus nécessaires.» Un confrère jurassien ironise: «Bâle 2013 sera peut-être une grande année pour l’horlogerie, mais en tout cas pas grâce à la taille des stands.» Des reproches qui ont laissé de marbre Vulcain. La marque locloise, après 33 ans d’absence, a décidé de revenir au bord du Rhin exposer ses pièces. C’est que Baselworld reste le rendez-vous horloger incontournable, où de nombreuses commandes sont passées et où des marques jouent l’entier de leur année. Difficile de faire sans, quitte à devoir en payer le prix.
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